renan

 

Faudra-t-il déboulonner la statue qui orne la grande place de Tréguier ? Erigée en l’honneur d’un enfant de la ville, elle représente la déesse Athéna couronnant Ernest Renan (1823-1892), l’intellectuel le plus influent de la IIIème République.

Or l’icône pourrait être rattrapée par le mouvement décolonial de l’histoire. Le philologue traîne en effet un dossier caché. Surtout connu pour avoir choqué les catholiques et déconstruit la divinité du Christ (« La Vie de Jésus », 1863), il est aussi l’auteur de plusieurs écrits sur l’islam, plutôt cash et pas très « vivre-ensemble ». Une expression qu’il avait lui-même inventée !

Prenant les devants, les Algériens ont « cancelé » le mécréant breton dès 1962. A peine décolonisés, ils ont en effet débaptisé Renan, une implantation coloniale modèle fondée pour accueillir des réfugiés alsaciens et nommée ainsi en son hommage un an après sa mort. Cette municipalité de la wilaya d’Oran porte aujourd’hui le nom de Hassi Mefsoukh.

 

Une expédition archéologique au Liban qui tourne au cauchemar

En 1860, l’empereur Napoléon III envoie dans l’ancienne Phénicie une mission scientifique dotée de gros moyens. A sa tête, il place un chercheur de 37 ans déjà reconnu, séminariste défroqué évoluant dans les cercles du pouvoir (mais vraisemblablement pas franc-maçon comme le veut la légende), un Breton bretonnant multilingue : latin, grec, hébreu, chaldéen, syriaque, plus des notions assez étendues d’arabe classique, de persan et de sanscrit…Il s’agit de Renan.

La Phénicie est alors la moins connue des grandes civilisations méditerranéennes, son mystère suscite une grande curiosité ; un ami de Renan, jeune auteur du nom de Gustave Flaubert, est d’ailleurs sur le point de publier un roman sur le sujet, Salammbô (1862). Sous le nom de Syrie, les vestiges de sa civilisation et de sa langue (le syriaque) perdurent difficilement au XIXème siècle, dans le cadre de l’empire turc.

Ernest Renan sera assisté de sa sœur Henriette, presque aussi savante que lui, et pourra compter sur les bras de 140 militaires français, mis à sa disposition pour entreprendre 10 mois de fouilles sur les sites antiques de Sidon, Tyr, Byblos…

La présence des soldats n’est pas un luxe. En mars 1861, au lieu-dit du Tombeau d’Hiram, Renan met à jour une mosaïque de 120 m2, située dans les décombres d’une église syriaque datant d’avant la conquête arabe. Il s’attire alors la colère des « fanatiques metualis », un groupe chiite armé qui domine le sud libanais :

 « Notre mission leur paraît quelque chose quelque chose d’impie au premier chef, tout objet figuré est pour eux une idole, et nous leur faisons l’effet d’odieux idolâtres… Même le bakchich, ici tout-puissant, ne peut vaincre ce fanatisme obstiné. »

(lettre de Renan à Mme Cornu, filleule de Napoléon III, 22/3/1861, citée par Jean-Pierre Van Deth, « Ernest Renan », 2012)

La mosaïque sera tout de même sauvée et transportée en France, où elle ira rejoindre les collections du Louvre avec une centaine d’autres trésors estampillés « Ernest Renan ».

 

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Capture d’écran du site du Louvre : Détail de la Mosaïque du Tombeau d’Hiram (aujourd’hui Umm-al-Amad), une des découvertes d’Ernest Renan.

 

La mission de Renan prend place dans une situation géopolitique tendue : la première « intervention occidentale » en pays d’islam invoquant une base humanitaire. Quelques mois plus tôt, l’armée française a débarqué 6000 soldats à Beyrouth, pour protéger les premiers habitants du pays, les chrétiens maronites, massacrés par des Druzes avec la complicité passive des autorités turques – un quasi génocide (de 5 à 20 % de la population chrétienne tuée).

 « C’est ici que le fanatisme musulman est porté à son comble. Un parti frénétique, cantonné dans la mosquée et dans le bazar, règne par la menace de mort et d’incendie, réduit à néant le pouvoir turc et maintient une haine farouche contre ce qui n’est pas l’esprit exalté de l’Islam. C’est là que l’on comprend quel malheur a été l’islamisme (= la religion musulmane), quel levain de haine, d’exclusivisme il a semé dans le monde, combien le monothéisme exalté est contraire à toute science, à toute vie civile, à toute idée large. Ce que l’islamisme a fait de la vie humaine est chose à peine croyable; l’ascétisme du MoyenAge n’est rien en comparaison. L’Espagne n’a jamais inventé une terreur religieuse qui approche de cela ». (Lettre de Renan à Marcellin Berthelot, 18/4/1861)

Contrastant avec les splendeurs de l’époque antique, le délabrement du Liban ottoman fait peine à voir. Il faut 7 heures pour parcourir les 40 km qui séparent Beyrouth du site de Byblos !

 « Quel pays, grand Dieu, pour le confortable ! Pas une trace de route. On chemine avec sa bête parmi les rochers ou sur le sable. Heureusement les montures sont accoutumées à cela et vont d’elles-mêmes. On va très lentement. »  (lettre de Renan à sa femme, 30/11/1860).

« Comme toutes les villes turques, Beyrouth demande à n’être vue que de loin. Dès qu’on y pénètre, toute illusion disparaît. Excepté dans les maisons des Francs (= les expatriés occidentaux) (il est bien entendu que nous habitons une de ces maisons), tout y est d’une indigne malpropreté, les demeures, les rues et les habitants. Et pourtant, cela a de l’effet! C’est grossier, c’est repoussant; ce n’est point vulgaire« . (Lettre d’Henriette Renan à sa mère, 30/10/1860)

Les Renan finissent par quitter Beyrouth et se réfugient dans la montagne chrétienne, à Amschit, « gaie et souriante, comme la population au milieu de laquelle nous sommes toujours si bien accueillis. » (Journal de voyage d’Henriette Renan, juillet 1861).

Amschit devient leur base d’opération, dont ils descendent pour rejoindre les terrains de fouille, situés dans les plaines côtières, là où se trouvaient les florissantes cités antiques. Au XIXème siècle, ces terres sont laissées à l’abandon :

 « Dans ces plaines que parent au printemps les plus belles fleurs, pas une trace de culture, pas un effort intelligent (…) A quelques pas de Tortose (aujourd’hui Tartous, en Syrie), on rencontre des troupeaux de gazelle, des serpents, des loups, des panthères…Les eaux qui approvisionnaient la ville de Maratus (Amrit) restent stagnantes au milieu de ses ruines et rendent inhabitables pendant huit mois de l’année l’une des plus magnifiques et des plus fertiles contrées au monde ! » (Journal de voyage, Henriette Renan, avril 1861).

Indicateurs de sous-développement, les moustiques ont en effet pris le contrôle des côtes libanaises et y transmettent la malaria.

Et c’est une crise de paludisme qui tue Henriette Renan le 24 septembre 1861, à l’âge de 50 ans, dans le village chrétien d’Amschit, où elle repose encore. Egalement sévèrement atteint, Ernest en réchappe, des médecins occidentaux ayant fini par arriver au village et par y amener un traitement à base de quinine.

 

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1860, Débarquement du corps expéditionnaire impérial à Beyrouth.

 

Le Liban à l’origine de la théorie du « vivre-ensemble »

Le traumatisme libanais a laissé des traces dans la réflexion d’Ernest Renan, qui sont encore visibles dans son plus célèbre texte : « Qu’est-ce qu’une nation ? » (1882).

C’est dans ce texte que se trouve la fameuse expression « désir de vivre ensemble », un des critères retenus par Renan pour juger si un groupe humain est une vraie nation ou pas. Or le monde musulman de l’époque ne passe pas le test :

« L’Italie est une nation, et la Turquie, hors de l’Asie Mineure, n’en est pas une. »

Ce qu’entend Renan par vivre ensemble, ce n’est pas être ressortissant d’un même espace politique et économique (l’Italie venait à peine d’être unifiée). C’est entretenir avec ses compatriotes des relations aussi exigeantes et aussi constructives que celles d’un mariage solide :

«  Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune (…) avoir souffert, joui, espéré ensemble (…) et continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis (…) C’est une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur (…) On aime en proportion des sacrifices qu’on a consentis, des maux qu’on a soufferts. On aime la maison qu’on a bâtie et qu’on transmet. »

Le monde musulman a inventé le contraire du modèle national : le multiculturalisme, avec ses ghettos et son chacun pour soi :

« Prenez une ville comme Salonique ou Smyrne (villes alors turques), vous y trouverez cinq ou six communautés dont chacune a ses souvenirs et qui n’ont entre elles presque rien en commun. »

Vivre ensemble implique l’assimilation totale, ce que Renan nomme la fusion des populations:

« Qu’est-ce qui caractérise, en effet, ces différents États (France, Allemagne, Italie, Espagne) ? C’est la fusion des populations qui les composent. Dans les pays que nous venons d’énumérer, rien d’analogue à ce que vous trouverez en Turquie, où le Turc, le Slave, le Grec, l’Arménien, l’Arabe, le Syrien (= le Libanais), le Kurde sont aussi distincts aujourd’hui qu’au jour de la conquête ».

Contrairement au monde musulman, en Europe les envahisseurs se sont assimilés :

 « D’abord le fait que les peuples germaniques adoptèrent le christianisme dès qu’ils eurent des contacts un peu suivis avec les peuples grecs et latins. Quand le vainqueur et le vaincu sont de la même religion, ou plutôt, quand le vainqueur adopte la religion du vaincu, le système turc, la distinction absolue des hommes d’après la religion, ne peut plus se produire. La seconde circonstance fut, de la part des conquérants, l’oubli de leur propre langue. Les petits-fils de Clovis, d’Alaric, de Gondebaud, d’Alboin, de Rollon, parlaient déjà roman. »

Ces épisodes très lointains ont toujours des répercussions très actuelles sur le développement des peuples : « La politique turque de la séparation des nationalités d’après la religion a eu de bien plus graves conséquences : elle a causé la ruine de l’Orient ».

 

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Renan à 37 ans. Portrait par Henry Scheffer, 1860. Musée de la Vie Romantique, Paris.

 

Une conférence islamophobe à la Sorbonne…en 1883

L’expérience libanaise n’est pas la seule source de la pensée de Renan sur l’Islam. Au début de sa carrière d’historien des religions, il lui consacre même une bonne partie de ses recherches dans les vieux manuscrits, avec notamment une étude pionnière sur le philosophe arabe Averroès. Or ses conclusions le rendent de plus en plus critique au fil du temps. Le sommet de « l’islamophobie » est atteint avec son avant-dernier grand texte, une conférence tenue à la Sorbonne en 1883 : « l’islamisme et la science ».

Les circonstances de l’évènement sont savoureuses : un quiproquo de la vie universitaire comme il s’en passe encore de nos jours chez les orientalistes. Quelque temps auparavant, Renan a fait la connaissance d’un personnage au parcours et aux motivations pour le moins troubles : Jamāl Al-Dīn Al Afghani, un intellectuel oriental de passage à Paris, où il est bien accueilli car franc-maçon.

Le courant est immédiatement passé entre les deux hommes qui ont longuement palabré sur le destin des civilisations par le biais d’un interprète. A la fin de l’entretien, Renan est persuadé d’avoir eu affaire à un libre penseur décidé à secouer comme lui le joug de sa religion, un Averroès du XIXème siècle. Cette rencontre valide à 100 % ses analyses et le motive à en faire part à ses collègues de la Sorbonne qu’ avaient pu les mettre en doute.

Ce que Renan n’a pas compris, c’est qu’Al Afghani pratiquait vraisemblablement la taqqiya (le mensonge tactique en direction des mécréants). Derrière des paroles mielleuses, c’était un agent d’influence du sultan-calife Abdülhamid II de Turquie, l’un des plus sanguinaires persécuteurs de chrétiens de l’histoire ottomane (jusqu’à 325 000 victimes, 350 villages détruits, 645 églises mises à bas). Loin d’être un libre penseur, « l’Afghan » est aujourd’hui considéré par certains comme un des fondateurs de l’islam politique moderne, et Tariq Ramadan lui-même a souligné son influence sur les premiers Frères musulmans.

Au final, Renan était-il « islamophobe », ou plutôt l’était-il devenu en raison de ses voyages et de ses lectures ? Ce terme polémique désigne le mélange de haine, de méfiance et de peur que suscite aujourd’hui l’Islam en Occident. Or Renan n’a jamais eu peur de l’Islam. Pour lui, c’était une civilisation du passé, qui avait cessé de jouer un rôle moteur dans l’humanité depuis le 13ème siècle et qui était condamnée par le mouvement de l’histoire. Dans sa vision darwinienne des civilisations, les plus avancées sont aussi les plus fortes. A son époque, c’est l’Europe qui domine démographiquement et qui colonise, jamais il n’a envisagé que la balance puisse s’inverser.

 

Enora

 

Verbatim : extraits de textes d’Ernest Renan sur l’Islam

« Rien de plus inexact que de se figurer les Arabes avant l’islamisme comme une nation grossière, ignorante, superstitieuse : il faudrait dire au contraire une nation raffinée, sceptique, incrédule (…)

Les historiens musulmans nous racontent que Mahomet aimait son cheval et sa chamelle, qu’il essuyait leur sueur avec sa manche. Quand sa chatte avait faim ou soif, il se levait pour lui ouvrir (…) Dans son intérieur, il nous apparaît comme le plus honnête père de famille. Souvent, prenant par la main Hasan et Hosein, nés du mariage d’Ali et de sa fille Fatima, il les faisait sauter et danser, en leur répétant des paroles enfantines qui ont été conservées (…)

Quant aux traits de la vie de Mahomet qui, à nos yeux, seraient des taches impardonnables à sa moralité, il serait injuste d’y appliquer une critique trop rigoureuse (…) Il permet le brigandage ; il commande des assassinats ; il ment et il permet de mentir à la guerre par stratagème (…) Il était surtout impitoyable pour les rieurs. La seule femme pour laquelle il se montra rigoureux à la prise de la Mecque fut la musicienne Fertena, qui chantait habituellement les vers satiriques que l’on composait contre lui (…)

Je ne sais s’il y a dans toute l’histoire de la civilisation un tableau plus gracieux, plus aimable, plus animé que celui de la vie arabe avant l’islamisme (…) Or, cette fleur de délicatesse de la vie arabe finit précisément à l’avénement de l’islamisme. Les derniers poètes de la grande école disparaissent en faisant à la religion naissante la plus vive opposition (…)

Mahomet n’est pas plus le fondateur du monothéisme que de la civilisation et de la littérature chez les Arabes (…) Le monothéisme, le culte d’Allah suprême (Allah taâla) avait toujours été le fond de la religion arabe. La race sémitique n’a jamais conçu le gouvernement de l’univers autrement que comme une monarchie absolue.

Le reproche qu’on a adressé à Mahomet d’avoir altéré les histoires bibliques est tout-à-fait déplacé. Mahomet prenait ces récits tels qu’on les lui donnait, et la partie narrative du Coran n’est que la reproduction des traditions talmudiques et des évangiles apocryphes, surtout de l’Évangile de l’Enfance. »

« Mahomet et les origines de l’islamisme », 1851.

 

 « Comparez Guenièvre et Iseult à ces furies scandinaves de Gudruna et de Chrimhilde, et vous avouerez que la femme telle que l’a conçue la chevalerie – cet idéal de douceur et de beauté posé comme but suprême de la vie – n’est une création ni classique, ni chrétienne, ni germanique, mais bien réellement celtique (…)

Quant à chercher parmi les Arabes, ainsi qu’on l’a voulu, l’origine de cette institution (la chevalerie courtoise), entre tous les paradoxes littéraires auxquels il a été donné de faire fortune, celui-ci est vraiment un des plus singuliers. Conquérir la femme dans un pays où on l’achète ! rechercher son estime dans un pays où elle est à peine regardée comme susceptible de mérite moral ! Aux partisans de cette hypothèse je n’opposerai qu’un seul fait : la surprise qu’éprouvèrent les Arabes de l’Algérie, quand, par un souvenir assez malencontreux des tournois du Moyen Age, on chargea les dames de distribuer les prix aux courses du Beiram. Ce qui semblait au chevalier un honneur sans égal parut aux Arabes une humiliation et presque une injure ! »

« La poésie des races celtiques », 1854.

 

« L’Orient, surtout l’Orient sémitique, n’a jamais connu de milieu entre la complète anarchie des Arabes nomades et le despotisme sanguinaire et sans compensation. L’idée de la chose publique, du bien public, fait totalement défaut chez ces peuples (…)

En politique, comme en poésie, en religion, en philosophie, le devoir des peuples indo-européens est de rechercher la nuance, la conciliation des choses opposées, la complexité, si profondément inconnues aux peuples sémitiques, dont l’organisation a toujours été d’une désolante et fatale simplicité.

Dans l’art et la poésie, que leur devons-nous ? Rien dans l’art. Ces peuples sont très-peu artistes ; notre art vient tout entier de la Grèce. — En poésie, sans être leurs tributaires, nous avons pourtant avec eux plus d’un lien (…)

Dans la science et la philosophie, nous sommes exclusivement grecs. La recherche des causes, savoir pour savoir, est une chose dont il n’y a nulle trace avant la Grèce, une chose que nous avons apprise d’elle seule. Babylone a eu une science, mais elle n’a pas eu le principe scientifique par excellence, la fixité absolue des lois de la nature. L’Égypte a su de la géométrie, mais elle n’a pas créé les Éléments d’Euclide. Quant au vieil esprit sémitique, il est de sa nature anti-philosophique et anti-scientifique. Dans Job, la recherche des causes est presque présentée comme une impiété. Dans l’Ecclésiaste, la science est déclarée une vanité (…)

On parle souvent d’une science et d’une philosophie arabes, et, en effet, pendant un siècle ou deux, au moyen âge, les Arabes furent bien nos maîtres ; mais c’était en attendant que nous connussions les originaux grecs. Cette science et cette philosophie arabes n’étaient qu’une mesquine traduction de la science et de la philosophie grecques. Dès que la Grèce authentique se lève, ces chétives traductions deviennent sans objet, et ce n’est pas sans raison que tous les philologues de la Renaissance entreprennent contre elles une vraie croisade (…)

En fait d’industrie, d’inventions, de civilisation matérielle, nous devons, sans contredit, beaucoup aux peuples sémitiques. Les alphabets grecs et latins, dont tous nos alphabets européens dérivent, ne sont autre chose que l’alphabet phénicien. Le phonétisme, cette idée lumineuse d’exprimer chaque articulation par un signe et de réduire les articulations à un petit nombre (vingt-deux), est une invention des Sémites (…)

Nous ne devons aux Sémites ni notre vie politique, ni notre art, ni notre poésie, ni notre philosophie, ni notre science. Que leur devons-nous ? Nous leur devons la religion. Le monde entier, si l’on excepte l’Inde, la Chine, le Japon et les peuples tout à fait sauvages, a adopté les religions sémitiques. »

« De la part des peuples sémitiques dans l’histoire de la civilisation », leçon d’ouverture du cours de langues hébraïque, chaldaïque et syriaque au Collège de France, 1862

« Toute personne un peu instruite des choses de notre temps voit clairement l’infériorité actuelle des pays musulmans, la décadence des États gouvernés par l’islam, la nullité intellectuelle des races qui tiennent uniquement de cette religion leur culture et leur éducation (…)

A partir de son initiation religieuse, vers l’âge de dix ou douze ans, l’enfant musulman, jusque-là quelquefois assez éveillé, devient tout à coup fanatique, plein d’une sotte fierté de posséder ce qu’il croit la vérité absolue, heureux comme d’un privilège de ce qui fait son infériorité (…)

Persuadé que Dieu donne la fortune et le pouvoir à qui bon lui semble, sans tenir compte de l’instruction ni du mérite personnel, le musulman a le plus profond mépris pour l’instruction, pour la science, pour tout ce qui constitue l’esprit européen (…)

Oui, de l’an 775 à peu près, jusque vers le milieu du treizième siècle, c’est-à-dire pendant 500 ans environ, il y a eu dans les pays musulmans des savants, des penseurs très distingués. On peut même dire que, pendant ce temps, le monde musulman a été supérieur, pour la culture intellectuelle, au monde chrétien. Mais il importe de bien analyser ce fait pour n’en pas tirer des conséquences erronées (…)

Un véritable mouvement philosophique et scientifique fut la conséquence de ce ralentissement momentané de la rigueur orthodoxe. Les médecins syriens chrétiens, continuateurs des dernières écoles grecques, étaient fort versés dans la philosophie péripatéticienne, dans les mathématiques, dans la médecine, l’astronomie (…) Tel est ce grand ensemble philosophique, que l’on a coutume d’appeler arabe, parce qu’il est écrit en arabe, mais qui est en réalité gréco-sassanide (sassanide = iranien)…

Bientôt la race turque a pris l’hégémonie de l’islam, faisant prévaloir partout son manque total d’esprit philosophique et scientifique. A partir de ce moment, à quelques rares exceptions près, comme Ibn-Khaldoun, l’islam ne comptera plus aucun esprit large ; il a tué la science et la philosophie dans son sein (…)

Les libéraux qui défendent l’islam ne le connaissent pas. L’islam, c’est l’union indiscernable du spirituel et du temporel, c’est le règne d’un dogme, c’est la chaîne la plus lourde que l’humanité ait jamais portée. Dans la première moitié du moyen âge, je le répète, l’islam a supporté la philosophie, parce qu’il n’a pas pu l’empêcher… Mais, quand l’islam a disposé de masses ardemment croyantes, il a tout étouffé. La terreur religieuse et l’hypocrisie ont été à l’ordre du jour. L’islam a été libéral quand il a été faible, et violent quand il a été fort (…)

La science met la force au service de la raison. Il y a en Asie des éléments de barbarie analogues à ceux qui ont formé les premières armées musulmanes et ces grands cyclones d’Attila, de Gengiskhan. Mais la science leur barre le chemin. Si Omar (le successeur de Mahomet), si Gengiskhan avaient rencontré devant eux une bonne artillerie, ils n’eussent pas dépassé les limites de leur désert. Que n’a-t-on pas dit, à l’origine, contre les armes à feu, lesquelles pourtant ont bien contribué à la victoire de la civilisation ? Pour moi, j’ai la conviction que la science est bonne, qu’elle seule fournit des armes contre le mal qu’on peut faire avec elle, qu’en définitive elle ne servira que le progrès, j’entends le vrai progrès, celui qui est inséparable du respect de l’homme et de la liberté. »

« L’islamisme et la science », 1883.

 

Source: Breiz-Info - 2022

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