virgile

 

Brasillach, jeune normalien, avait 22 ans et était (déjà !) le critique littéraire du journal de l'Action Française, quand parut en 1931 ce livre, pour célébrer le deuxième millénaire de la naissance de Virgile. Présence de Virgile vient d'être réédité par les éditions Pardès, qui ont entrepris la réédition de tous les livres de Brasillach et de Drieu La Rochelle. Présence de Virgile n'est évidemment pas une biographie universitaire, vues les sources tout de même limitées mais, dit Rémi Soulié dans la préface, « un songe, une rêverie ». Brasillach relève cependant qu'il ne s'est « pas permis de prêter à Virgile, ni une phrase, ni une pensée qui ne soient indiquées dans les Mémoires de ses amis, dans ses lettres, dans ses poèmes ». Il note avec humour: « Les seuls 'éléments véritables' que les livres ne nous aient pas fournis sont le soleil, la mer, l'herbe des prairies. Nous avons osé conjecturer que toutes ces choses existaient du temps de Virgile ». Trois Idées scandent la vie de Virgile, jusqu'en son épitaphe: les pacages, les champs, les héros, soit, les Bucoliques, les Géorgiques et l'Enéide.

 

Jeunesse de Virgile

Il était né « comme les bêtes des champs, en plein air, dans un fossé, tout contre la terre, un matin d'automne, un 15 octobre, dans un petit village de la plaine du Pô, non loin de Mantoue », nous raconte Brasillach. Son père était un homme de la terre, industrieux, économe, et plein de vertus paysannes. Virgile avait ainsi été élevé à la campagne, parmi les pacages et les vergers, jusqu'à douze ans, vivant la vie de tous les petits garçons de fermiers des environs, partageant leurs très anciens repas de châtaignes bouillies et de fromages. Sa mère lui racontait de vieilles histoires de fées, de magiciens qui transforment les plantes. C'est d'elle sans doute, dit l'auteur, qu'il tenait une forme de piété très douce, la croyance aux forces de la terre, l'amour du pardon et de la pitié, l'amitié pour les bêtes. Il découvrait « les bêtes, le ver rouge, la fourmi, la taupe aveugle et fine à toucher, mais c'étaient les abeilles qu'il aimait ». Et puis, il y avait cette « odeur du thym, du fenouil, de la lavande grise et bleue » qui se mêlait à « ce bourdonnement pressé, qui est comme le bruissement même de l'été ». Il y avait aussi « des saules glauques, les crocus rougissants et les jacinthes rouillées. Et toute la prairie sentait bon ». Et puis, un beau matin de ses dix-sept ans, il était arrivé à Rome. Brasillach décrit « une ville énorme et stupéfiante, un monstre vivant auquel il ne pouvait comparer aucune ville ». « Il fut assailli par une foule violente et bigarrée, des marchands éclatants, des appels obscènes; c'étaient des vendeurs d’allumettes soufrées échangeant leur marchandise contre de la verroterie brisée; des trafiquants de soupe, de légumes cuits, des montreurs de serpents, des prestidigitateurs, l'homme 'le plus fort au monde' ». Et puis, il y avait ce peuple de Rome, qui se « nourrit pour dix sou: des fèves au vinaigre, de la polenta de farine, des têtes de mouton bouillies, des saucisses à l'ail et à la ciboule ». C'est là que, sur des bancs, on boit un vin cuit, on mange des gâteaux, on joue aux dés. Brasillach décrit ainsi Virgile: « C'était un grand garçon assez fort, le teint coloré, l'air paysan. Il avait les cheveux courts, le front découvert aux tempes, les orbites profondes, avec des yeux enfoncés, les pommettes saillantes, le menton accusé, la bouche charnue; cela formait une figure maigre et grave. Mal vêtu, mal chaussé, au milieu d'amis élégants, il savait à peine se raser et fréquentait peu les coiffeurs ».

 

Le « choc des pays trop beaux »

Sa santé lui commandait le midi italien. Ni les brumes de Mantoue, ni les marais romains ne lui convenaient. Naples lui permettait de côtoyer l'enseignement de célèbres professeurs qui y avaient organisé, à l'instar de l'ancienne Grèce et de l'Orient, des écoles modèles, parmi les jardins, l'air salé, le soleil. Lorsque la ville lui apparut, il fut ébloui: « Il reçut le choc des pays trop beaux, trop rêvés, avec la dorure translucide du soleil. Il sut dès lors qu'il s'y fixerait à jamais dès qu'il le pourrait ». Cette cité, dit Robert Brasillach, « dont les êtres les plus infimes semblaient avoir le secret du bonheur, était plus orientale encore que latine. Les vaisseaux du port venaient de Syrie, d'Egypte, des îles aux beaux noms ». Virgile va découvrir, en écoutant Philidème, un Syrien de Gadara, d'admirables choses. Un sauveur ferait renaître l'âge d'or. Son maître évoquait les vieilles prophéties étrusques et le bruit qui couraient sur l'antre de la Sibylle. Avec ses compagnons réunis autour de Philidème, il évoquait le retour éternel des choses. Les troupeaux, disaient les légendes toscanes, auront des laines de couleur et on n'aura plus besoin de teindre. Mais surtout, il y avait cette croyance que l'enfant d'une vierge, cet enfant du miracle, sauverait le monde. Et puis, il y avait l'étrange philosophie de Pythagore, et ce troublant chapitre onzième d'Isaïe: « Le loup habitera avec l'agneau, Et la panthère reposera avec le chevreau, (...) Et un petit enfant les conduira ».

 

Vers la gloire

Après la mort de son père, Virgile avait vingt-huit ans, il devenait le chef de la famille, et dut aller retrouver les « paysages les plus chers, les prés mouillés de son enfance, et les abeilles ». Mais il n'était plus le petit paysan ignorant. Il fit la connaissance de Pollion, le gouverneur de la province, un homme intelligent, fort grand seigneur. Celui-ci comprit vite que ce jeune homme mal vêtu avait peut-être du génie. Pollion avait fait ce constat: « L'Italie n'a pas de poète bucolique ». Il conseilla vivement à Virgile de donner à l'Italie ce qui lui manquait: « un poète sensible aux champs, à la pureté de l'air, aux soirs sur la plaine rase ». Avec l'appui de Pollion, il fit paraître deux ou trois de ses poèmes. A l'époque, les lettres étaient presque tout entières dominées par l'alexandrisme, qui avait fait de l'obscurité, dit Brasillach, la première vertu: de « beaux poèmes alexandrins, fermés comme des temples, avec leurs périodes interminables, leurs métaphores dures et baroques, la minutie de leurs détails, et puis, au milieu de cet hermétisme, quelques vers purs, ténébreux ». Virgile allait rencontrer Mécène, un homme extraordinaire, grand homme d'Etat, en fait le véritable ministre des Affaires étrangères d'Octave, le plus raffiné, le plus mandarin des lettrés, qui réunissait chez lui les orateurs, les grammairiens et les poètes. Il était toujours vêtu de larges vêtements très souples, paré de bijoux, et affectait dans sa parole et ses ornements une délicatesse très féminine. Il sera, jusqu'au bout, le mécène de Virgile et son nom passera dans le vocabulaire courant. Virgile va connaître la gloire, quand son poème Silène fut déclamé par Cythéris, dans le plus vaste théâtre de Rome, déclenchant l'enthousiasme du peuple et des sénateurs.

 

Les Bucoliques, les Géorgiques

Virgile va publier les Bucoliques, dont le charme le plus évident, dit Brasillach, « venait de leur force paysanne et sauvage. Quelle que fût la beauté des personnages, elle était anéantie par la beauté des décors » de certains paysages. L'auteur évoque « l'imprenable suzeraineté de certains paysages, de certaines plantes: une prairie, un hêtre, les roseaux d'un lac que le soleil frappe et qui brille, un village lointain que l'on devine à ses feux, un horizon barré par les montagnes, c'était ce qui lui appartenait à jamais ». Virgile avait trente-quatre ans. Il allait publier les Georgiques, ce poème qui « s'enivrait et se gorgeait de beautés naturelles et riches »: « le jeune cyprès que porte un dieu, les blés coupés, la terre vivante qui aime qu'on lui commande, le feu léger qui court à la surface des chaumes, l'eau fraîche dans les guérets, l'amandier en fleurs, les étoiles bienfaisantes, les pluies, les vents, le soleil ». Virgile, dit Brasillach, avait fini par comprendre que la sagesse était dans la parole sacrée: « L'Univers est plein de dieux ». Virgile, à quarante-trois ans, allait s'atteler à un grand poème national, qui serait comme la Bible et la Somme des grandeurs romaines. A côté du prince (Octave), il prenait peu à peu figure de symbole de la patrie. Il devenait, dit l'auteur, « quelque chose comme ce qu'a été Barrès en France, pendant la guerre de 1914, ou mieux encore, à cause de la dévotion impérieuse du peuple italien, ce qu'a été D'Annunzio ». « Et il avait en effet le sens poétique d'une union avec la terre et les morts, comme Maurice Barrès, et l'enthousiasme païen et l'orgueil comme Gabriele D'Annunzio. Mais il avait, plus que ces deux-là, une tendresse, une humanité insurpassées », écrit Brasillach.

 

La fin

Cela faisait onze ans que Virgile travaillait à l'Enéide. Il estimait qu'il lui fallait encore deux ans pour terminer son œuvre. Dans l'Enéide, Virgile remercie, sans craindre, dit Brasillach, de tomber dans le poncif nationaliste et la rengaine chauvine, « tous ceux qui avaient façonné, comme une œuvre d'art, cette nation dont il sortait. Il l'aimait, il l'aimait de toute son amitié fraternelle, pour ses bois, ses prairies, ses routes, ses bêtes ». Il était plein de lassitude et était déterminé, son devoir étant accompli, d'abandonner la poésie: il n'avait plus rien à dire, commente Brasillach. Il entreprit son dernier voyage vers cet Orient prestigieux, laissant son œuvre inachevée et demandant à ses amis de brûler son manuscrit, au cas où il ne reviendrait pas. Il mourut le 21 septembre. Ses amis si fidèles, refusèrent cependant de respecter sa volonté. Le manuscrit fut sauvé. On transporta son corps à Naples, où il fut enterré au flan du Pausilippe, dans les paysages qu'il avait tant aimés. Sur sa tombe, on grava l'épitaphe qu'il avait lui-même composée: « Mantoue m'a donné la vie ; la Calabre me l'a ôtée ; et maintenant Parthénope garde mon corps. J'ai chanté les pacages, les champs et les héros ».

En conclusion, (re)découvrons le premier vers des Bucoliques et de l'Enéide, que nous sommes certainement nombreux à avoir appris dans nos cours de latin, à l'époque lointaine où l'on enseignait encore le latin: « Tityre, tu patulae recubans sub tegmine fagi, Silvestrem tenui musam meditaris avena » (Tityre, étendu au couvert déployé d’un hêtre, tu prépares un poème sauvage sur ta fine flûte); « Arma virumque cano, Troiae qui primus ab oris Italiam, fato profugus, Laviniaque venit » (Je chante les armes et l'homme qui, premier entre tous, chassé par le destin des bords de Troie, vint en Italie, aux rivages ou s’elevait Lavinium).

Robert Spieler – Rivarol 2021

« Présence de Virgile » de Robert Brasillach, 181 pages, Editions Pardès - 16 euros,

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