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« Le feu sexualisé est par excellence le trait d'union de tous les symboles. Il unit la matière et l'esprit, le vice et la vertu. Il idéalise les connaissances matérialistes ; il matérialise les connaissances idéalistes ». Bachelard, Psychanalyse du Feu

Depuis bientôt 10 000 ans, aux alentours du 21 juin, un appel irrépressible nous réunit autour d'un grand feu pour fêter le rouge Soleil solsticial. D’où nous vient cette invincible pulsion, cette puissante nostalgie de brasiers de danses et de chants ? De quelles profondeurs abyssales nous proviennent des désirs déferlant en nous tels les chevaux du char d'Hélios ? Car cette nuit du Solstice, le midsommar de nos frères scandinaves et finlandais demeurés fidèles au Rite, est aussi fête d'Aphrodite et de Freyja, la Femme souveraine. Souvenons-nous du philtre bu par Tristan et Yseult à ce moment de la course solaire.

Pourquoi cette délicieuse ivresse, cette allègre folie, que les Galiléens à la triste mine appelèrent mal de Saint-Jean ? C'est le Solstice, fête - temps mythique, étape de l'éternel retour - où le Soleil atteint son zénith dans le ciel blanc. Sol Invictus est alors au Tropique du Cancer très loin de l'équateur. C'est pour nous le jour le plus long et, dans les régions polaires d’où nos ancêtres surgirent à cheval, les nuits sont blanches comme la robe des Druides, et l'on danse au Soleil de minuit.

Au feu familial, intime et grave de Jul, autour duquel s'alanguissent les enfants perdus dans leurs rêves, succède, après 6 longs mois d'attente, le joyeux brasier de l'été nouveau. À la bière, lourde et couleur de terre, le vin clair et souple. À la bûche gravée de runes, le Midzomer Vuer aux 7 essences.

Fêtons le Soleil ! Fête maudite s'il faut en croire Saint Eloi, qui, il y a bientôt 13 siècles, fulminait contre « ceux qui célèbrent les solstices et se livrent à de danses tournantes ou sautantes, à des caroles ou à des chants diaboliques ». Anathèmes dérisoires qui ont au moins le mérite, involontaire, de nous indiquer un chemin noyé de ronces.

Fêtons le Soleil ! Fête du feu, émanation terrestre d'un autre feu, céleste et implacable, icône autant qu'idole de l'Esprit du Monde. Ce feu, il nous faudra le nourrir tout au long de la veillée. Oblation et adoration des feux du ciel, dont les flammes nous rappellent - memento mori - un autre brasier, celui du grand passage. Je pense aux bûchers funèbres de Bénarès, dont le souvenir doit nous rendre encore plus allègres, encore plus avides de plénitude. Oui, jubilation et gravité coïncident en nos cœurs païens.

Les feux du ciel nous apporteront sagesse, splendeur - à quel moment de l'année sommes-nous plus beaux ? - et lumière. Lux perpetua. Lumière du Nord, surgie des confins polaires, antique souvenir, inscrit dans notre mémoire génétique, des chasseurs de rennes que nous fûmes un jour, aux pieds des glaciers, du Détroit de Béring à la Mer du Nord, de l'Irlande ancestrale aux Iles Sakkhaline. Nous adorions alors Cernunnos, le Dieu Cerf d'avant l'histoire, Dieu magicien, celui des chamanes, dont les tambours résonnent à nouveau cette nuit. Tout le passé revient : les vieilles tribus blanches d'Hokkaido et de Scandinavie.

Je lève ma coupe à notre cher Kenneth White, le Brillant, notre barde calédonien : aux tribus perdues, Ainous, Toungouses, Pictes et Samoyèdes, salut et fraternité. Je bois aussi à Victor Segalen, le voyant foudroyé. Le divers renaîtra !

A la suite du Maître du Nord, nous tournerons ce soir, par trois fois, autour du bûcher, en un voyage tant matériel que spirituel. Tout en haut des bûches hissées à bout de bras, trône la rouelle de Taranis, réplique exacte du bijou de bronze patiné par les siècles que nous portons à même la peau. Les flambeaux des 4 horizons enflammeront le bois sec et odorant, les libations seront effectuées, selon le Rite. Le feu de l'Astre sera salué, comme nous le faisons depuis des millénaires, les paumes offertes au brasier dévorant. Nous chanterons l'été nouveau ainsi que nos Dieux immortels : Lug et Apollon, Anémis et Sarasvati, Perkunas et Mithra. Nous sauterons main dans la main avec notre Dame, pour nous purifier et nous rendre plus forts face à un monde déliquescent. Cette chevauchée nous rappellera les périples, plus périlleux encore, accomplis par nos chamanes de l’âge du Renne, dans les airs et sous la terre.

Et nous boirons le vin frais de l'été en caressant, du regard puis des lèvres, les épaules de nos compagnes couronnées de fleurs, exquises dans leur robe claire. Car notre plaisir, à nous autres Païens, est pur : l'amour est un sacrement qui se rit des interdits. À l'aube, nous saluerons l'Astre et chasserons la mélancolie naissante. Après le zénith, le déclin. Sainte alternance chantée naguère par Montherlant : « tout ce qui est soumis à l'alternance ». Alternance de la joie et de la gravité, tout aussi païenne. Alternance du lien intangible entre Sol et Luna : adorer l’un sans l’autre serait absurde et mutilant. Car Sol, selon l’Edda de Snorri, est fille de Mundilfari. Au Nord, le Soleil est féminin, et la Lune masculine. Nos ancêtres celtes adoraient Sul, Grande Déesse du Soleil. Au Sud, c’est l’inverse : masculins, nos chers Hélios et Surya… Alternance, au plus profond de nous-mêmes, du masculin et du féminin, de l’animus et de l’anima. C’est en cela que le Solstice est initiation. Qui en est digne dompte Eros et Thanatos, apprend à chevaucher 2 tigres invincibles comme Saulé, la Déesse Soleil des Lithuaniens.

L’un de nos prédécesseurs, D.H. Lawrence, dans Apocalypse, nous confie : « Nous ne pouvons nous assimiler le Soleil que par une sorte de culte, de même avec la Lune, en décrétant un culte au Soleil, culte qui bat dans notre sang ». Écoutons-le. Suivons ces traces.

Christopher Gerard, revue Antaïos n°10 (juin 1996)

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