LA PHALANGE CONTRE FRANCO

« LA DICTATURE ECHOUA TRAGIQUEMENT, ET PROFONDEMENT,

PARCE QU'ELLE NE SUT PAS REALISER SON ŒUVRE REVOLUTIONNAIRE. »

(José-Antonio, parlant du gouvernement de son père aux. Cortes. 6 juin 1934).

Les révolutions supportent mal qu'on les juge vingt ou trente ans plus tard. Car on s'aperçoit, parfois, qu'elles n'étaient que des révoltes. Pour une révolution, c'est là le plus difficile : vieillir, c'est durer.
« II y a 25 ans, nous nous sommes battus et bien battus. J'étais ton ennemi et tu étais le mien. Et pourtant notre Espagne, celle que nous voulions, était bien la même : celle de la patrie et de la justice sociale. Pour elle, tu supportais des cohortes bourgeoises qui t'étaient étrangères ; j'endurais des commissaires soviétiques. Où en sommes-nous maintenant ? » C'est ce qu'écrit, en substance, un ancien combattant communiste à un ancien combattant phalangiste, dans une lettre publiée récemment par un hebdomadaire espagnol (1).
Oui, où en sommes-nous pour que les plus engagés s'interrogent ? Pour qu'un Régime, auquel une jeunesse s'est sacrifiée, se détourne de celle qui lui est née et la voit chaque jours' éloigner de lui?
(1) « Juan-Pérez » 10 avril 1964 

La révolution phalangiste, natio­nale-syndicaliste, devait se faire sur une base sociale. La Phalange était le parti des tra­vailleurs et de la patrie. Cet idéal a-t-il été abandonné ? Depuis 1939, la gauche répond affirmati­vement. Est-ce une raison, pour adopter la position contraire, ou ne vaut-il pas mieux reprendre à notre compte la critique afin d'y remédier, en faisant en sorte qu'elle ne se justifie plus ?

Il est certain que les faits, le contexte politique, ont changé dans l'Espagne franquiste. Le vieux cri « Pour la Patrie, le Pain et la Justice », sonne faux. Il aurait pu être le slogan d'un gouvernement ; il en est presque le remords.

En 1964, un responsable de la Phalange peut lancer : « nous n'avons pas renoncé à la Révolution » (2). Dans le journal du « Cen­tre Manuel-Mateo », Antonio Carrasca Garcia peut écrire : « l'évé­nement le plus étrange, c'est que trente ans après, on n'ait pas en­core appliqué les solutions que l'on préconisait alors. Si notre écono­mie a avancé, la situation présente doit encore être dépassée si l'on veut arriver aux objectifs que l'Es­pagne demande. En effet, quelle différence y-a-t-il entre les jurys mixtes, les comités paritaires, et l'actuelle organisation syndicale ? Le national-syndicalisme exige un syndicat compétent, non un orga­nisme consultatif » (3). En 1964 en­core, le même « Centre Manuel-Mateo » peut diffuser, en tracts, les « points fondamentaux de la création des premières centrales ouvrières nationales-syndicalistes », parus en 1935, estimant que ses objectifs s'y identifient, estimant que les revendications formulées il y a 30 ans sont encore vala­bles. Si cela peut s'écrire et se faire, c'est qu'une opposition nouvelle est apparue. Celle des Phalangistes de gauche.  

L'OPPOSITION PHALANGISTE.

Cette opposition est le fait de cercles politiques ou sociaux. Le plus important d'entre eux, puis­qu'il coordonne l'activité de 52 cen­tres dans tout le pays, est le « Circula Doctrinal José-Antonio », que dirigent Luis Gonzales Vincen et son secrétaire général Enrique Villoria. Il a été fondé en 1961-62 et publie « Es Asi ». A côté de lui, le « Cercle Ramiro Ledesma Ramos » et le « Centre Social Ma­nuel Mateo », ont une moindre im­portance, d'autant que leur position les cantonne, le plus souvent, dans l'élaboration théorique. Le premier est présidé par Juan Aparicio Lopez, que secondent notamment José Le­desma Ramos Andrès, et Enrique Compte Azcuaga. Il publie la revue « JONS ». Le second, est présidé par Antonio Zaragoza Rodriguez et José Hernando Sanchez ; son jour­nal, « Orden Nuevo » a fait paraî­tre, en mars 1964, son premier nu­méro.

Ces cercles s'adressent surtout aux étudiants et aux travailleurs, laissant de côté, volontairement, les milieux bourgeois, auxquels ils s'opposent. Ils possèdent, d'ailleurs, des sections importantes dans les Universités. Le cercle José-Antonio encadre une forte section étu­diante. Celle du « Cercle Ramiro Ledesma Ramos » est animé par le directeur de l'intéressante revue « Correo Universitario », Juan van Halen.

L'ŒUVRE DES CONSERVATEURS.

Les critiques de l'opposition pha­langiste portent sur des domaines très variés. Si on les examine, on voit qu'elles se ramènent toutes à la dénonciation de la main-mise des conservateurs, et sur l’Etat, et sur le Mouvement.

Il ne faut pas oublier que. dès la première année d'un conflit civil qui allait durer quatre ans, tous les fondateurs de la Phalange, ceux qui lui avaient donné son sens et son esprit, José-Antonio, Ramiro, Onesimo Redondo, Ruiz de Aida, étaient déjà tombés, laissant place libre aux porteurs de compromis, aux conservateurs, soucieux d'ins­taurer un statu quo favorable à leurs intérêts. C'est de cette épo­que, qu'il faut dater les débuts de l'esprit contre-révolutionnaire, qui a droit

« Nous ne sommes ni dans le groupe de la réaction mo­narchiste, ni dans celui de la réaction populiste. En face de la fraude du 14 avril (1), nous ne pouvons nous join­dre à aucun groupe ayant, plus ou moins ouvertement, des intentions réactionnaires ou contre • révolutionnaires, parce que nous, précisément, nous accusons le 14 avril, non d'avoir été violent, non d'avoir été inopportun, mais d'avoir été stérile, et d'avoir frustré, une fois de plus, le peuple espagnol de la révo­lution ».

José Antonio

Discours, Madrid 19 mai 1933.

(1) Proclamation de la république de 1931

de Cité actuellement. Le premier Conseil National du Mouvement, réuni par Franco le 2 décembre 1937, ne comprenait pratiquement que des conserva­teurs. Depuis, sont venus au pou­voir des hommes qui étaient loin de s'être illustrés dans la guerre civile. Le plus souvent, ils n'étaient même pas phalangistes. Ils étaient, en général, placés par 1' « Opus Deï ». Ce sont eux qui forment le gros de la Phalange « officielle », à laquelle s'opposent, aujourd'hui, les cercles que nous avons cité.

L'immobilisme politique et so­cial d'un pouvoir conservateur a rapidement rendu aux banques et à la haute industrie leurs mono­poles, à la Hiérarchie son pouvoir. L'évolution lente du capitalisme a permis la formation de la caste technocratique, qu'une révolution nationale-syndicaliste n'aurait ja­mais laissé surgir, et pour laquelle les questions sociales ne sont plus que des mots surannés, évoqués aux banquets d'anniversaire. Quant à l'Eglise, le retour des Jésuites, l'extension de 1' « Opus Deï », sa liaison officielle avec l'Etat, ont fa­vorisé plutôt qu'empêché, aux cô­tés d'une fraction intégriste, le dé­veloppement des éléments les plus libéraux. Le professeur Ruiz Gimenez, et l'archevêque de Madrid Al-cala, Mgr Casimiro Gonzales, en sont, de, marquantes illustrations.

Mais c'est surtout sur le plan syn­dical que la critique phalangiste se manifeste. Le discrédit des syndi­cats officiels n'est maintenant plus discutable. La concentration, entre les mains du Caudillo, des respon­sabilités du gouvernement, du chef de l'Etat et de la direction du Mouvement, rend difficile toute mutation interne, et interdit le correctif qu'apporterait un orga­nisme purement politique, non lié au gouvernement. Les phalangistes de gauche ne peuvent donc que sou­ligner, avec une inquiétude crois­sante, le déficit de la balance commerciale espagnole, la misère populaire, son exploitation par un capitalisme toujours en extension, l'action des technocrates, le désé­quilibre entre le secteur écono­mique et le secteur social.

Pour ce faire, il est intéressant de remarquer la part active que prennent, sur ce terrain, les étu­diants, ailleurs trop souvent cou­pés du reste de la nation. Outre ces divers aspects de la faillite économico-sociale, ils s'opposent, dans leur milieu, aux universités pour « ninos de papa », à la sépa­ration des collèges en établisse­ments pour riches et pour pau­vres, au manque de culture popu­laire, à la dépolitisation étudiante, qu'encourage le gouvernement.

A José-Antonio, qui lançait : « Un régime révolutionnaire ne trouve sa justification que dans ses états de service, considérés sous l'an­gle historique et non sous l'angle anecdotique, et mesurés par la confrontation entre ce que se proposait le régime révolutionnaire au jour de la rupture avec le régime antérieur et ce qu'il laisse après lui à la fin de son cycle » (4), les jeu­nes phalangistes d'Espagne répon­dent en écho : « Un régime révolu­tionnaire ne se justifie jamais par son acte de naissance ; il se jus­tifie toujours par ses états de ser­vice » (5). Et c'est un acte d'accu­sation.

Enfin, demeure la question de la succession, qui est passée au cri­ble, elle aussi. Le gouvernement en place est accusé de préparer une restauration monarchique; 1' « Opus Déi » est dénoncé comme moyen de pression sur le chef de l'Etat, pour lui imposer ce système, en la personne du prince Don Juan Carlos, dont la popularité est pour­tant loin d'être établie. On a re­marqué, en particulier, la violente campagne d' « Es Asi » contre la Monarchie, stigmatisée comme fondamentalement contraire, dans son esprit comme dans sa forme, aux principes révolutionnaires de la Phalange.

...ET LES VOLONTES REVOLU­TIONNAIRES.

 

LE CAPITAL ET LE TRAVAIL

« Combien de fois avons-nous entendu dire à des hommes de « droite : « Nous sommes dans une nouvelle époque, il nous faut « un état fort... Il faut harmoniser le capital et le travail... Nous « devons trouver une forme de vie corporative ». Je vous assure que « tout cela ne veut rien dire, ce ne sont que des bulles d'air... Harmoniser le capital et le travail ! C'est comme si l'on disait : je vais « m'harmoniser avec cette chaise ! Quand on parle d'harmoniser « te capital et le travail, ce que l'on veut faire, c'est continuer à « entretenir une minorité de privilégiés sans valeur avec le travail « de tous, des patrons aussi bien que des ouvriers. »

(José-Antonio. Conférence à Madrid. 9 avril 1935).*

Il n'est donc guère de points où l'opposition des phalangistes de gauche ne se manifeste. Elle le fait au nom du National-Syndicalisme, tierce solution sociale, fondée sur la valeur du travail et sur la né­cessité d'une structure syndicale représentative et fonctionnelle, en harmonie avec les particularismes nationaux et populaires.

C'est de cette position que décou­lent la majeure partie des revendi­cations et des solutions proposées par les cercles de la Phalange : la soumission au peuple, au be­soin par référendum, du problè­me de la succession, la participa­tion des jeunes aux décisions qui intéressent l'avenir de l'Espagne, (le leur, donc, ce qui est loin d'être le cas), le retour aux pers­pectives révolutionnaires originelles, l'élimination progressive des oligarchies conservatrices ou finan­cières. Sur le plan social, ils ré­clament la reconnaissance et la satisfaction des revendications des travailleurs, l'aboutissement d'une plus-value, non au capita­lisme ou à l'Etat, mais aux produc­teurs encadrés par les syndicats, la formation de banques syndicales, contrôlées par les ouvriers et à eux, la promotion d'un syndicalisme agraire, l'organisation des syndi­cats verticaux, selon les différentes branches de production, l'élimination des tensions différentielles en­tre secteurs économique et social, ou encore, entre représentants des travailleurs et représentants des entreprises.

Quant à l'entreprise elle-même, à laquelle ils s'attachent particuliè­rement, l'un des responsables du « centre Manuel-Mateo », J. Hernando Sanchez, en parle ainsi : « // faut que, dans l'entreprise, et pour elle, travaillent aussi bien le personnel de direction que celui de la technique, de l'administration, spécialisé ou non qualifié. Ainsi cette pluralité, et l'objectif pour­suivi, assureront-ils la mission commune, c'est-à-dire l'entreprise, en tant que communauté de travail, où les éléments se complètent et se sentent solidaires parce que nécessaires (...) Il faut que le travail soit considéré comme une valeur et non plus comme une marchandise et que, quand l'ou­vrier et le technicien réalisent une œuvre, dans une quelconque indus­trie, ils ne soient pas vendeurs, mais associés pour former, ensem­ble, une entreprise destinée à pro­duire selon l'apport personnel de chacun. Les travailleurs doivent fai­re partie des réunions générales d'actionnaires, et le conseil d'admi­nistration doit être formé par les représentants des travailleurs eux-mêmes, élus dans les diverses caté­gories de travail » (6).

Ce programme a valu, dans les milieux populaires, un vif et com­préhensible soutien aux phalan­gistes de gauche, soutien qui est le seul obstacle possible aux visées des marxistes. On s'en est aperçu surtout pendant les grèves des Asturies

LES POINTS DE BASE DE LA FONDATION DES CENTRALES OUVRIERES NATIONALES SYNDICALISTES

 NOUS voulons un Etat syndicaliste, garantissant la production nationale dans toutes ses industries et dans toutes ses activités.

NOUS voulons un régime distributif, qui garantisse l'existence des espagnols, par l'application du droit, imprescriptible pour nous, au travail pour chacun.

NOUS voulons la disparition des joutes stériles des partis et le rétablissement des normes de solidarité nationale fraternelle entre les espagnols.

NOUS voulons que l'existence des ouvriers ne soit pas à la merci de bourgeois cupides, ni de manœuvres politiques frauduleuses.

NOUS voulons que la totalité des richesses nationales soit mise au service des intérêts nationaux et soumise à la discipline de l'Etat syndicaliste.

NOUS voulons l'augmentation immédiate des conditions de vie, aussi bien économiques que morales, des niasses espagnoles dépouillées.

NOUS voulons la disparition immédiate de la faim dans notre pays, aux prix de ce que représentent la dilapidation et l'injure à la misère des travailleurs.

NOUS voulons que toute l'Espagne reconnaisse la raison qui soutient les masses ouvrières dans leur attente révolutionnaire, si on veut éviter qu'elles l'imposent par la force

« Arriba », 25.111.35

 LES GREVES DES ASTURIES.

La première grève des Asturies eut lieu en 1958, la région étant sous occupation militaire («Régulares» nord africains), jusqu'en 1950. Vint, ensuite, celle de 1962, dont tous les événements posté­rieurs sont le prolongement direct. Mais le fait nouveau qui caracté­rise les troubles des deux dernières années, c'est la faiblesse de plus en plus grande du facteur communiste, et l'implantation proportion­nelle des phalangistes.

Il est assez curieux et révélateur, que, pour briser la grève, le gou­vernement aît dû, récemment, créer, de toutes pièces, un « Frente Obrero », destiné à demander la reprise du travail, présentant la grève comme une entreprise com­muniste. Manœuvre dénoncée, ar­gument démenti, par Marcelino Casado, responsable, aux Asturies, du cercle José-Antonio : « Nous, phalangistes de gauche, nous nous opposons à toute répression et à toute pression qui pourraient être exercées contre les ouvriers, au nom de la Phalange. Nous croyons que les revendications des grévistes sont justes. Ce qui est nécessaire, c'est, d'une part, la publication de l'ordonnance réglementant le tra­vail dans les mines et, d'autre part, une régularisation effective des relations patrons - ouvriers. La structure du syndicat actuel a démontré, une fois de plus, son manque d'efficacité, quand il s'agit d'affronter une situation comme celle que nous connaissons actuellement (...). Cette grève n'a aucun caractère politique ; elle est nette­ment économique et sociale. » (7). Ce qui situe parfaitement le pro­blème (8).

Les ouvriers phalangistes ont donc pris la grève en mains. Déjà, en octobre 1963, suite à des sévices policiers dont des mineurs avaient été victimes, 52 responsables de la Phalange, dont plusieurs députés et intellectuels, avaient protesté auprès du Ministre du Mouvement, demandant des sanctions et se soli­darisant des grévistes. Ils appar­tenaient au cercle José-Antonio.

Peu après, au IIIe Congrès syndical, c'étaient des militants du centre Manuel-Mateo, qui avaient été arrê­tés pour manifestation devant la Maison des Syndicats, arrestation qui, le 12 mars 1964, avait déclen­ché, en signe de soutien, une grève de deux heures, à l'usine Pegaso de Madrid. Puis, des « Officiers Provisoires de la Phalange », dans un « Manifeste » publié dans la presse, prenaient vivement à par­tie les hiérarchies du Mouvement, les syndicats, la Monarchie et l'Opus Deï. Le 14 avril, une lettre signée de 70 jeunes phalangistes oppositionnels et adressée au ministre du Mouvement, reprenait les mêmes thèmes.

Parallèlement, à Oviédo, à Gijon, à la Falguerra, où se trou­vent les centres les plus importants du bassin houiller du cercle José-Antonio, des leaders phalan­gistes n'hésitaient pas à entrer dans une semi-clandestinité, pour stimuler leurs camarades contre la droite, « traître à la Révolu­tion ». L'un d'eux déclarait, à José-Antonio Novais, du « Monde » : « Dans un état phalangiste ou syn­dicaliste, la grève doit être inter­dite et le travail subordonné à l'in­térêt de la Nation. Mais nous vi­vons en plein capitalisme. Le syndi­calisme vertical n'est pas conçu pour un Etat capitaliste, comme celui où nous vivons. Cela fait que nos syndicats sont, dans le meil­leur des cas, inopérants. Quand ils ne penchent pas du côté des pa­trons ...» (9).

La Phalange de gauche éprouve de grandes difficultés. Elle est née du refus de la politique conserva­trice et opportuniste de Franco. Elle représente la seule organisa­tion ouvrière réellement sérieuse. Elle doit survivre au franquisme et pouvoir se développer pour accomplir cette révolution ajournée au lendemain de la guerre civile.

Elle est donc contrainte de s'opposer de plus en plus au ré­gime. Cependant, elle doit compter avec sa brutalité répressive, solli­citée par l'Eglise, les gros proprié­taires et les technocrates.

En avril 1964, le n° 8 de « Es Asi » a été saisi. Le 10 juin, la police a fait saisir les planches de l'organe du « Cercle José Anto­nio », et menacé l'imprimeur de sanctions, s'il continuait à l'impri­mer. Le prétexte donné était que « Es Asi » n'avait pas été contrôlé par la censure. Mais le Cercle rappela que « cette revue n'a pas à passer par d'autre censure que celle du ministre-secrétaire du Mouvement, M. Solis Ruiz, étant donné qu'elle est l'organe d'expres­sion du centre phalangiste ». Une autre protestation contre « le groupe de pression capitaliste qui a mis l'Etat sous séquestre », en­traînait, quelques jours plus tard, l'interdiction définitive de « Es Asi ».

Mieux encore, au moment où il formait avec les requêtes une « Association des Anciens Combat­tants du Mouvement », le 19 juin, Gonzalès Vicen, président du Cercle José-Antonio, a été exclu du Conseil National du Mouvement. En re­vanche, le directeur anti-phalan­giste du quotidien monarchiste « ABC », M. Torouato Luca de Tena, fidèle partisan de don Juan de Bourbon et du prince Juan Carlos, était nommé député aux Cortès, en compagnie du Pr. Luis Gimenez, directeur de la revue catholico-libérale, « Cahiers pour le dialogue », ancien ministre de Franco, ex-ambassadeur au Vatican, ancien directeur de « Pax Romana », aujourd'hui avocat de l'écri­vain marxiste Dionisio Ridruejo.

Cette situation explique, à la fois, la modération de la Phalange de gauche dans sa critique du régime et ses revendications en faveur d'une libéralisation, d'une « démocratisation », de la vie politique espagnole. Il n'y a pas là de con­cession à l'idéologie démocratique, mais une position tactique parfai­tement logique.

Et l'on touche là à une question qui dépasse le cadre espagnol et qui intéresse l'ensemble des mou­vements nationalistes.

Dans l'avant-guerre, leurs prédé­cesseurs défendaient un héritage national contre l'anarchie parle­mentaire et le danger de révolution bolchevique. Aujourd'hui, les peu­ples d'Occident, dont les mouve­ments nationalistes sont les porte-paroles conscients, ont pour adver­saires des régimes autoritaires — même s'ils se camouflent

Derrière les oripeaux démocratiques — et le danger n'est plus dans l'anarchie (où, au moins, on pouvait agir), mais dans le despotisme des bu­reaucraties capitalistes et de l'in­quisition progressiste.

Pour ceux qui ne veillent pas les morts, et veulent vaincre, il de­vient indispensable de se reconvertir, d'adopter sa propagande à cette nouvelle situation, et de se faire les champions des libertés sans lesquelles ils sont réduits à piétiner et à disparaître. Libertés qui, dans le cadre municipal, pro­fessionnel, familial, correspondent aux buts réels du Nationalisme, que détruit le régime et dont personne ne prend, effectivement, la défense.

Qui ne voit pas l'analogie des situations ?

Franco, qui commerce avec Cuba, qui envisage une liaison diploma­tique avec l'U.R.S.S. qui vend à l'Amérique sa base de Jota (Cadix), qui traite avec l'Algérie F.L.N. pour avoir son gaz naturel, qui tente d'entrer au Marché Commun, et reçoit à bras ouverts M. Couve de Murville, n'est pas sans rapports avec Charles De Gaulle. Ces deux militaires, portés au pouvoir par une insurrection, issue d'Afrique du Nord et détournée à leur profit, l'un et l'autre préoccupés par une succession difficile, se retrouvent aujourd'hui, tout naturellement.

En l'an 25 du franquisme, les progressistes espagnols se portent confortablement. Le Régime pros­père. Les militants phalangistes sont arrêtés. Le chant phalangiste, « Mort au capital », est interdit. Mais, comme un De Gaulle qui fêterait le 13 mai parce qu'il le porta au pouvoir, Franco va s'in­cliner tous les 18 juillet, à la vallée de Los Caïdos, sur la tombe de celui que les rouges ont assas­siné et qu'il voudrait bien définiti­vement enterrer.

 Fabrice Laroche

 Notes :

(2) Manuel Cantarero del Castillo. Confé­rence au Cercle José-Antonio. 13 novem­bre 1962.

(3) Orden Nuevo », n° 1, mars 1964.

(4) Cortès, 6 juin 1934.

(5) Lettre des jeunes phalangistes, du 14 avril 1964.

(6} « Orden Nuevo » n° 1.

(7) « Europe-Action hebdomadaire », n° 20,18 mai 1964.

(8) II faut signaler que la réglementation du travail a été promise en 1958 ! Une inter­vention de M. Solis Ruiz, en 1963, n'a rien avancé, la loi — déposée aux Cortès — se heurtant aux groupes de pression, (industrie, Opus Deï) du gouvernement. D'où, durcis­sement de l'attitude des travailleurs, qui demandent un système de contrôle de la comptabilité des entreprises, et une augmen­tation des salaire de 2 000 pesetas, pour les travailleurs de fonds. Au moment où l'on commençait à parler, récemment, de l'adop­tion d'une loi sur le plan de transformation des charbonnages, un projet-loi était déposé aux Cortès sur les loyers, qui revenait à imposer une échelle de prix, ne tenant compte que de leur date de location et non de leur état (salubrité, . exiguïté...) !

(9) « Le Monde », 30 mai 1964.

(10) « ABC », 31 juillet 1935.

(11) Cortès, 19 décembre 1933.

QU'EST-CE QUE L’OPUS DEI ?

L'Opus Deï a été fondée en 1928, à Madrid, par un jeune prêtre qui allait devenir Mgr Escriva, né en Aragon, en 1902. Il avait été ordonné prêtre en 1925. Officiellement, l'Opus Deï se présente comme une association purement spirituelle, permettant à des laïcs, (97 % de ses effectifs) sous réserve de se soumettre à la chasteté, à la pauvreté et à l'obéissance, de se sanctifier sans entrer dans les ordres.

L'association rassemble, au­jourd'hui, des milliers d'adhé­rents dans cinquante-quatre pays. Elle a été autorisée à Madrid, en 1941, à Rome, comme acti­vité diocésaine, en 1943, et ap­prouvée définitivement par le Vatican, le 16 juin 1950, par le décret « Primum inter Instituta ». Désormais organisa­tion internationale, l'Opus Deï a son siège au Vatican, ou, en permanence, 300 cadres venus de tous les pays, particulièrement formés sur le plan théologique, constituent un état-major des plus efficaces.Mais, en réalité, les objectifs de cette nouvelle « Compagnie de Jésus » semblent largement déborder le cadre spi­rituel. L'exemple de l'Espa­gne est à ce titre fort évocateur.

En Espagne, en effet, l'Opus Deï possède sa propre université, celle de Navarre (à Pampelune), secondée par plus de 200 instituts, collèges et résidences étudiantes, des centres culturels ouvriers répartis dans d'autres pays (dont un « centre pré-universitaire multi-racial » ouvert au Kenya par un adhérent nord-africain). Au sein du gouver­nement même, quatre ministres, dont ceux des finances et du commerce (M. Ullastres), sont, membres de l’« Opus Deï », ce qui soumet au contrôle de l'organisation, de nombreuses banques, une chaîne de salles de spectacles, une firme automobile.

Emilio Romero, directeur du quotidien syndicaliste « Pueblo » a pu écrire : « Ce qui surprend les espagnols, c'est l'apparition subite et intense de l'« Opus Dei », par l'entremise de ses membres, ministres, professeurs de facultés, économistes, chercheurs, chefs d'entreprise. Comment ces hommes inconnus encore hier, et dont la plupart ne se sont pas distingués, durant la guerre ci­vile, ont-ils pu arriver à tous ces postes importants, sans que fonctionne un appareil cohérent ? Il nous semble dif­ficile que l'on puisse se situer à tous ces postes importants d'une façon spectaculaire, partout et en si peu de temps » (« Pueblo », 5 février 1964). 

Et, dans « Le Figaro », Jacques Guillemé-Brûlon com­mentait : « II est vrai que « Opus Deï » est devenu syno­nyme de réussite et de puissance ». Sur le plan politique, le plus éminent éditorialiste de l’« Opus Deï », M. Rafaël Calvo Serrer, a écrit : « nous voulons, en Espagne, une monarchie traditionnelle, avec une structure constitution­nelle aussi proche que possi­ble de celle des Etats-Unis », ce qui est à rapprocher d'une autre déclaration d'un cadre de l'organisation : « Nous nous proposons d'être le der­nier gouvernement du général Franco et le premier de la monarchie ; alors, nous mar­cherons sur l'Europe".

Sources: Europe Action n°19-20 Juillet-Août 1964

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