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L'illusion égalitaire

Dans les rayons standardisés du « prêt à penser » contempo­rain, l'une des idées qui, pour être fausses, sont pourtant le moins contestées, est celle de la prédominance absolue du milieu sur l'hérédité. L'homme, selon cette thèse, serait tout entier condi­tionné par son environnement. A l'arrière-plan, se trouve bien évidemment un à priori idéologique : l'égalité fondamentale entre les hommes ne serait altérée que par les mauvaises conditions de la vie sociale. La société seule est responsable, non les hommes. La doctrine n'est pas neuve. Sa première expression globale remonte à 1754 : c'est le fameux Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, de Jean-Jacques Rous­seau.

En deux siècles, l'argumentation des « environnementalistes » a peu changé : la formation de l'intelligence et de la personnalité doit tout au milieu; l'hérédité, si elle joue un rôle, ne peut être que dangereuse, puisqu'elle fausse le jeu de l'égalité. Certains iront même plus loin et soutiendront que l'environnement, le milieu, c’est-à-dire tout l'acquis de l'homme par opposition à ce qui est inné et transmis héréditairement, pouvaient être intégrés dans la lignée génétique et stockés dans la « mémoire de l'hérédité ».

C'était soutenir que les Chinois installés en Afrique devenaient aussitôt négroïdes et que les manchots n'engendraient plus que des enfants à un bras.

De cette inscription quasi instantanée du milieu dans le patrimoine génétique de l'espèce, on aperçoit aussitôt le parti politique qui pouvait en être tiré : l'environnement excellent créé par la mise en œuvre des doctrines marxistes modifiait nécessaire­ment l'homme par une transmission héréditaire des caractères acquis à travers ce milieu.

Bien que cette théorie n'ait jamais résisté ni à l'analyse ni à l'expérimentation, elle trouvera une grande audience en U.R.S.S. et la trouve encore en France même, pour des motifs politiques parmi certains enseignants.

Le lyssenkisme

Son plus grand défenseur sera Trofim D. Lyssenko (1898-1976), président de l'Académie fédérale Lénine des sciences agronomiques, directeur de l'Institut génétique de Moscou, et trois fois prix Staline. Lyssenko, dont Jaurès Medvedev disait qu'il faisait penser à un homme qui souffrait constamment des dents, que Julian Huxley traitait d'analphabète scientifique et Jacques Monod de « charlatan autodidacte et fanatique », soutenait jusqu'à l'extrême limite de l'inconséquence les principes de l'acquis intégré à l'hérédité. « L'hérédité, affirmait-il, est l'effet de la condensation des influences des conditions du milieu extérieur, assimilées par les organismes au cours d'une série de générations antérieures... Cette doctrine résout les grands problèmes théoriques en apportant une solution aux problèmes pratiques importants de l'agriculture socialiste... Elle fait désormais partie du trésor de nos connais­sances, du fonds d'or de la science... Elle transforme la nature vivante pour le bien du peuple soviétique. Gloire au grand ami et au grand coryphée de la science, notre guide et notre éducateur, le camarade Staline, etc. (1). »

Dans les rues de Moscou on chante :

« Joue gaiement mon accordéon

Que je chante avec mon amie

La gloire éternelle de l'académicien Lyssenko. »

Dans le monde scientifique international on ne chante pas, et ce sera la stupéfaction. Le biologiste anglais Haldone, et en France les Pr. Marcel Prenant (2) et Jacques Monod démissionne­ront du parti communiste.

Mais d'autres courront au secours de Lyssenko. Dans un numéro spécial de la revue Europe, Aragon piaffera. « Entre un moine (Mendel) et un communiste (Lyssenko), choisissez ! »

Jacob Segal écrira (3) froidement que la génétique bourgeoise est « calquée sur la psychologie du Junker prussien » et Francis Cohen affirmera que Lyssenko a raison parce qu'il est approuvé par Staline, «... la plus haute autorité scientifique du monde entier (4) ».

Le lyssenkisme devait cependant avoir deux conséquences tragiques. D'abord Lyssenko pénétré de son rêve messianique, persuadé que par son système il va modifier héréditairement l'homme en agissant sur son milieu, se met à persécuter tous ceux qui en Russie n'acceptent pas ses théories. Il fait régner un terrorisme idéologique et aussi le terrorisme tout court. En 1940 il fait arrêter par la N.K.V.D. son prédécesseur à la tête de l'Académie fédérale Lénine, l'agronome connu Davilov, qui discutait ses thèses. Celui-ci sera déporté en camp de concentration et y mourra le 29 janvier 1943. Avant de disparaître, il dira : « On pourra nous mener au bûcher, on pourra nous brûler vifs. Mais on ne pourra nous faire renoncer à nos convictions... (5). »

A sa suite, de nombreux chercheurs ont été déportés en Sibérie ou dans l'Oural.

La seconde conséquence, c'est que, puissant et redouté, Lyssenko fait appliquer partout son système, malgré les échecs qui en montrent l'inanité (6). Un immense et coûteux effort de mise en valeur des « terres vierges », en 1962, aboutit à un désastre. L'agriculture russe, une des plus riches du monde, souffre encore aujourd'hui des conséquences de ses méthodes et doit importer de larges quantités de céréales du Canada, des États-Unis et d'Europe.

Pourtant le lyssenkisme n'a pas complètement disparu. « Beaucoup de personnes en U.R.S.S., écrit Jaurès Medvedev, refusent encore d'abandonner la collection de dogmes primitifs qu'elles ont imposés avec tant de vigueur pendant tant d'an­nées...(7). » II n'existe plus en effet de chercheurs généticiens de quelque importance en Russie, mis à part Alexandre Bayev, qui travaille en Sibérie.

En France, l'espèce lyssenkiste n'a pas disparu malgré toutes les découvertes, notamment en biologie moléculaire, qui ont totalement anéanti les thèses de Lyssenko. M. Lucien Sève affirmait encore récemment que « les dons (c'est-à-dire l'hérédité psychologique) n'existent pas (8) » et un autre marxiste, M. Jean-Pierre Faure, annonçait « après le règne absolu de la génétique, le retour au milieu...(9) ».

Nos rousseauistes contemporains n'ont plus l'excuse d'ignorer les recherches de Darwin, les théories de Mendel et les acquis récents des sciences de la vie. Apparemment ils veulent pourtant les méconnaître et rejettent en bloc les conclusions scientifiques sur les prédispositions génétiques, sous prétexte qu'elles ne s'accordent pas avec leurs préjugés idéolo­giques.

Qu'est-ce que l'intelligence?

Si Lyssenko se trompe en pensant qu'il était possible d'intégrer promptement dans le stock génétique inné ce qui procédait de l'acquis du milieu, comment, en revanche s'analyse aujourd'hui ce que nous savons dans ce domaine?

Le comportement de l'animal, comme celui de l'homme, s'exprime à partir d'éléments innés, acquis ou mixtes; Les comportements innés correspondent au programme
génétique héréditaire de chaque espèce. Ce programme se traduit par des actes réflexes qui s'exécutent d'instinct. Leur automatisme est héréditaire. Le caneton, même élevé par une poule, court à la mare pour barboter; l'oiseau vole, l'araignée tisse sa toile, le loup chasse. Les migrations sont des comportements innés étonnants.
Les sternes arctiques nidifient dans l'aire australe du continent américain et volent des milliers de kilomètres jusqu'à l'aire boréale de ce continent pour résider et se nourrir. Ils abandonnent à quelques semaines leurs jeunes qui parcourent plus lentement et
bien des semaines plus tard le même chemin inconnu pour eux. Les opérations de baguage ont montré que le plus souvent les petits retrouvaient alors leurs parents. L'action en ce cas est parfaitement innée.

Les comportements innés, une fois retenus par la sélection, sont définitivement fixés dans le patrimoine génétique de l'espèce.

Les comportements acquis sont individuels et résultent de l'exemple, de l'expérience, de l'éducation. Ils ne se transmettent pas par l'hérédité. Ils ne sont pas génétiquement fixés et ils sont donc réversibles. Il s'agit d'un « appris » familial ou social.

Les comportements mixtes (à la fois innés et acquis) sont nombreux. La danse des abeilles est innée, mais les signes sonores qu'elles émettent à cette occasion doivent être appris. La fraction acquise du comportement augmente avec le degré de développe­ment intellectuel de l'animal. Elle est plus élevée chez les oiseaux et les mammifères et plus élevée encore chez les primates. Chez les vertébrés supérieurs, rares sont les comportements qui ne sont pas mixtes.

Tous les comportements : innés, acquis ou mixtes, s'expri­ment par l'intermédiaire du système nerveux et en premier lieu par l'intervention des neurones du cerveau et de leurs innombrables connexions. Ce sont les stimulants procurés par les sens qui
enrichissent les connexions neuronales, qui en mettent certaines en valeur, et qui en laissent tomber d'autres en désuétude.

La qualité des capacités intellectuelles dépend du nombre de neurones du cerveau et de la richesse de leurs connexions. L'acquis dû à la socialisation de l'animal ou de l'homme enrichit le fonctionnement cérébral. Entre le niveau hominien et celui de
l'homme, le volume du cerveau et le nombre de neurones sont passés du coefficient 1 au coefficient 2,5 ou 3.

L'intelligence spécifique est héréditaire dans une même espèce et correspond à tous les éléments innés de cette espèce. C'est ce que l'on appelait jadis l'instinct. L'intelligence spécifique est quasi automatique et présente généralement toutes les caracté­ristiques d'une remarquable adaptation au milieu.

L'intelligence individuelle résulte de l'éducation. Elle relaie l'intelligence spécifique inscrite dans le patrimoine génétique de l'espèce et peut la remplacer par le résultat d'expériences ou d'enseignements   qui   s'enregistrent   dans   la   mémoire   et   se
conservent dans le système nerveux (cerveau).

La qualité de l'intelligence individuelle, et particulièrement celle de l'homme, est liée à la qualité du cerveau et de ses connexions neuronales. Elle augmente avec le nombre des expé­riences et des enseignements enregistrés par l'individu. Si l'acquis
de l'intelligence individuelle ne se transmet pas, en revanche la qualité biologique du cerveau obéit aux mêmes lois de l'hérédité que le reste du corps humain.

L'intelligence est donc une aptitude innée et générale à appréhender des connaissances et à étudier des relations entre elles.

L'intelligence spécifique est complètement héréditaire. L'aptitude à l'intelligence individuelle à travers la qualité du cerveau est assez largement héréditaire. « Environ 80 % de tous les facteurs   contribuant   à   créer   les   différences   individuelles   de l'intelligence sont héréditaires, 20 % proviennent du milieu. En d'autres termes, l'hérédité est quatre fois plus importante que le milieu (10). »

L'idéologie dominante et la vérité

Bien que l'intelligence soit essentiellement déterminée par l'hérédité, les théories qui la font dépendre de l'environnement demeurent l'idéologie dominante. L'idée de prendre en considéra­tion l'explication génétique est presque toujours écartée. La théorie génétique, entend-on, ne pourrait que condamner à l'immobilisme social et déboucher en fin de compte sur l'oppression : il faut donc qu'elle soit fausse. On appréciera au passage la rigueur du raisonnement : ça n'est pas bien, donc ça n'est pas vrai...

Le précédent de Lyssenko n'a apparemment servi à rien. L'opposition à la théorie génétique révèle ainsi dès l'abord sa véritable nature. Il ne s'agit pas d'une opposition scientifique, mais politique et pour ainsi dire morale. Elle peut se résumer de la manière suivante : quel que soit le régime politique, étant donné qu'un écart moyen de trente points au moins sépare les Q.I. (quotiens intellectuels) des classes plus élevées, des Q.I. des classes populaires, si l'intelligence est déterminée largement par l'hérédité, il y a toutes chances pour que cet écart se perpétue inchangé de génération en génération, et donc que le système de « classes » relativement ouvertes se transforme progressivement en un système de castes héréditaires fermées. Le même raisonnement s'appliquant d'ailleurs tout aussi bien dans les sociétés socialiste et marxiste.

Cette attitude n'est pas seulement indéfendable sur le plan intellectuel — on ne se réfugie pas dans l'erreur sous prétexte que la vérité nous déplaît —, elle est aussi injustifiable sur le plan moral. Les scrupules de ceux qui se font environnementalistes « par générosité » se fondent sur une conception erronée de la théorie génétique. En réalité, comme on le verra, ce n'est pas l'hérédité mais bien le milieu qui est facteur d'immobilisme social.

L’échec des « pédagogies nouvelles »

Cette mise à l'index des travaux de la génétique moderne a conduit à l'échec patent de toutes les réformes culturelles et éducatives fondées sur le préjugé environnementaliste, selon lequel une action sur le milieu serait de nature à modifier le quotient intellectuel des élèves.

Dans son ensemble, le milieu enseignant a été en effet particulièrement sensible à cette théorie.

Sociologie, psychologie, psychiatrie et sciences de l'éducation fonctionnent aujourd'hui encore comme si la génétique n'existait pas. Les réformes de l'enseignement ont été élaborées à partir de cette croyance que les différences d'aptitudes constatées entre les enfants pourraient être effacées par l'éducation. On peut constater, à propos de ces multiples expériences de « pédagogie nouvelle », un fait significatif : les seules qui se soient déroulées d'une manière satisfaisante sur le plan scientifique (conditions d'expérimentation, critères d'appréciation des résultats) se sont soldées par de retentissants échecs. Aucune amélioration sensible du Q.I. des sujets n'a pu être observée.

A cet égard, un exemple probant nous est fourni par l'expérience de « Performance contracting » organisée aux États-Unis par L’O.E.O. (Office of Economie Opportunity) et relatée par le Pr. Hans Eysenck (11). Un groupe d'entreprises spécialisées dans la psychologie appliquée avaient été chargées d'améliorer, par toutes les méthodes qu'elles jugeraient utiles, les aptitudes générales d'un groupe scolaire de niveau particulièrement faible. Le point de référence était un groupe témoin de niveau équivalent qui, ne bénéficiant pas du même traitement, devait en bonne logique être rapidement distancé sur le plan des résultats par le groupe expérimental.

Les organisateurs étaient confiants : l'application d'une péda­gogie appropriée ne pouvait qu'entraîner une élévation générale du Q.I. des élèves. Hélas, à l'issue de l'expérience, il fallut bien se rendre à l'évidence : aucune différence notable de progrès n'était enregistrée entre les deux groupes, dont les résultats restaient en tout point aussi médiocres. « Rien de tout cela, concluait le rap­port de l'O.E.O., ne permet de penser que l'on puisse attendre quelque chose de la pratique de « Performance contracting » pour l'amélioration des résultats scolaires d'enfants défavorisés. »

Un obscurantisme antiscientifique

II est temps de tirer les leçons de ces échecs et d'en déterminer les causes. Ils proviennent d'une obstination. Celle de ne concevoir la politique sociale ou éducative que comme résultante de l'environnement. Les tenants de cette thèse se refusent à intégrer un certain nombre de découvertes scientifiques à leur conception du monde. Ils ne veulent pas prendre en compte les acquis de la génétique moderne dans l'élaboration de la politique de l'enseignement, de l'orientation et de la sélection professionnelles. Il y a là un véritable obscurantisme antiscienti­fique, qui s'étend d'ailleurs à d'autres domaines comme la criminologie ou le traitement des troubles mentaux, dont il retarde sensiblement les progrès. Dans ce dernier cas, par exemple, la négation de toute prédisposition héréditaire aux troubles psycho­tiques et l'entêtement à ne leur rechercher que des causes et des remèdes tenant à l'environnement (cf. psychanalyse) ont retardé les progrès de la chimiothérapie, dont nul ne songe pourtant à contester aujourd'hui l'efficacité.

Cette attitude de refus est un « blocage » de nature idéolo­gique. Elle repose en dernière analyse sur une confusion entre les fins de la politique sociale et ses moyens. Les buts d'une politique sociale doivent être fixés à partir des valeurs morales et philoso­phiques qui animent notre civilisation (justice, liberté, épanouisse­ment individuel). Ils doivent tendre par tous les moyens à permettre à chaque individu de développer au mieux ses qualités et ses talents. En revanche, ces moyens doivent, sous peine de se heurter aux réalités, être déterminés en fonction non pas de principes, mais de données scientifiques (la réalité biologique, les possibilités humaines).

Les sciences de la vie sont parvenues aujourd'hui à des conclusions relativement claires sur la nature de l'homme. Nous ne pourrons pas indéfiniment refuser d'en tenir compte.

Génotype et environnement

Ce n'est pas le rôle des idéologues et des politologues, quels qu'ils soient, de mesurer l'action respective des facteurs hérédité et milieu dans la constitution de la personnalité humaine. C'est à la recherche scientifique de définir les aptitudes de l'homme, d'étudier dans quelle mesure elles sont quantifiables et d'évaluer la fonction des divers facteurs dans leur détermination. Encore faut-il accepter de prendre en considération les résultats de ses travaux.

« Tout caractère a une double origine : génétique et envi­ronnementale. Le génotype détermine les potentialités de l'orga­nisme. L'environnement détermine laquelle ou lesquelles de ces potentialités se réaliseront au cours du développement de l'indi­vidu (12). » II faut donc faire la part, dans la détermination des différences entre individus, des causes héréditaires, des causes environnementales et aussi de l'interaction de ces deux variables.

Personne, de nos jours, ne prétend plus nier l'existence de différences intellectuelles entre les hommes. Mais nombreux sont encore ceux qui se refusent à admettre l'idée que l'hérédité puisse jouer dans ces différences un rôle décisif. A une époque qui se flatte d'avoir renversé tous les tabous, en voilà au moins un qui est toujours debout, ferme comme la pensée de Bouvard et Pécuchet.

Il ne résiste pourtant pas devant cette réalité : l'influence de l'hérédité sur la personnalité précède, prédomine et conditionne celle de l'environnement. Les hommes naissent inégaux en intelligence et en capacité. Leur héritage génétique leur confère des aptitudes diverses.

Cette controverse sur l'égalité gagnerait d'ailleurs à être éclaircie. On a trop souvent tendance à confondre, sous le vocable général d' « égalité », des notions tout à fait distinctes : l'égalité génétique des aptitudes, qui est une vieille utopie; l'égalitarisme, qui est une aspiration idéologique dont il convient de déterminer dans quelle mesure elle est compatible avec la réalité biologique et avec la liberté individuelle; enfin, l'égalité devant la loi et l'égalité des chances, qui sont des droits humains universellement souhai­tables et valables.

Héritabilité de l'intelligence

Les travaux de Jinks et Fulker (1970) ont permis d'évaluer à 0,80 environ le taux d'héritabilité de l'intelligence. Toutes les expériences réalisées sur le sujet confirment peu ou prou cette évaluation.

Les « vrais » jumeaux, c'est-à-dire ceux qui sont le fruit de la fécondation d'un seul ovule par un seul spermatozoïde, ont une hérédité chromosomique en tout point identique. Il est donc possible, en les élevant séparément dès les premiers temps, d'isoler et d'évaluer d'une manière précise l'influence de l'environnement sur leur Q.I.

L'expérience a été faite sur plus d'une centaine de sujets, et ses résultats semblent évidents : le coefficient moyen de corrélation des Q.I. de deux « vrais » jumeaux élevés séparément est de 0,75. Ce chiffre montre combien, dans ce cas exemplaire, la marge d'influence de l'environnement est réduite.

Une autre démonstration intéressante de l'erreur des théories du milieu nous est offerte par ce qu'on appelle le phénomène de retour au Q.I. moyen. Si l'on compare les Q.I. moyens des parents des différentes catégories socio-professionnelles à ceux de leurs enfants, on constate que ces derniers tendent à rejoindre le Q.I. moyen de la population globale (100) : la plus forte régression s'observe chez les fils de cadres supérieurs (de 140 à 120), tandis que la progression la plus importante est enregistrée chez les enfants d'ouvriers non spécialisés (de 85 à 95).

Un tel phénomène qui devrait satisfaire les égalitaires sociaux contredit radicalement la thèse de la détermination de l'intelligence par l'environnement. Si le milieu était essentiel pour la formation du Q.I., il est clair en effet que les fils d'ouvriers se verraient interdire toute progression par leur environnement matériel et culturel défavorable, alors qu'au contraire les enfants de parents riches et doués bénéficieraient nécessairement des avantages de cet environnement. Or, c'est précisément l'inverse que l'on peut constater avec ce phénomène du « retour à la moyenne ».

Influence du milieu

Outre les moyens de mesure directe du caractère héréditaire du Q.I., on dispose de diverses méthodes d'évaluation de l'influence de l'environnement qui viennent corroborer les données ci-dessus. Tel est le cas des enfants élevés en orphelinat. Si — comme le prétendent les tenants de la théorie du milieu — les différences intellectuelles étaient dues à des variables envi­ronnementales, un environnement uniforme devrait avoir pour conséquence une restriction sensible des écarts de Q.I. Or il n'en est rien. Dès 1931, des expériences effectuées par E. M. Lawrence en Grande-Bretagne ont montré que l'éventail des Q.I. reste pratiquement aussi ouvert entre des enfants vivant en orphelinat (environnement uniforme) qu'entre des écoliers vivant dans des milieux divers.

On peut aussi prendre l'exemple des enfants adoptifs élevés loin de leurs parents naturels. Selon la thèse environnementaliste, un coefficient de corrélation très élevé devrait être observé entre le Q.I. de l'enfant et celui de ses parents adoptifs, et pratiquement nul entre lui et ses parents naturels. C'est l'inverse qui se produit : le rapport de corrélation entre le Q.I. des enfants et celui de leurs parents naturels est presque aussi important que s'ils avaient été élevés par eux. Quant au coefficient de corrélation avec les parents adoptifs, il varie de 0,20 à 0!

Q.I. et statut social

L'ensemble des données expérimentales permet d'affirmer que, dans la constitution de l'intelligence telle qu'elle est mesurée par le Q.I., les facteurs d'environnement (statut socio-économique, mode d'éducation, etc.) revêtent une importance nettement moins grande que l'hérédité.

S'il est vrai qu'il y a une relation entre Q.I. et statut social (le niveau intellectuel moyen varie selon les catégories considérées), cette relation n'est pas mécanique. Elle ne signifie pas que la transmission du statut social implique celle du Q.I. Selon la théorie génétique, ce n'est pas l'appartenance à une classe sociale qui détermine le Q.I., mais plutôt l'inverse...

Si l'intelligence était fonction du milieu social et de l'éduca­tion, le système des classes serait forcément rigide et toute mobilité sociale serait impossible. C'est le phénomène génétique du retour à la moyenne qui, en se répercutant du Q.I. sur la condition socio-économique, rend possible cette mobilité sociale (13) et une meilleure égalité réelle.

Les hasards qui président à la séparation et à la recombinaison des gènes sont tels, en effet, que pour chaque classe de parents, les enfants se répartissent dans des classes diverses. Là est le vrai facteur de réduction des inégalités et des antagonismes sociaux. Les catégories ne peuvent plus se considérer comme des entités étrangères et adverses lorsque des parents voient leurs propres enfants évoluer vers d'autres catégories. Ainsi, loin de se figer, l'écart ne cesse de se réduire de telle sorte qu'au bout de quelques générations, cette séparation entre classes ne se retrouve absolu­ment plus dans la répartition des Q.I.

Le même raisonnement s'applique aux sociétés marxistes où le système de castes (le parti), de classes et de catégories est tout aussi rigide qu'en régime libéral.

L'égalité des chances

C'est le milieu, c'est-à-dire l'environnement créé par l'homme, et non pas l'hérédité, qui tend à aggraver les inégalités naturelles en les perpétuant artificiellement. C'est donc sur lui qu'il convient d'agir pour assurer à chaque génération une véritable égalité des chances.

Mais il faut d'abord s'entendre sur la signification de cette expression. La seule égalité véritable est celle des chances données à chacun d'épanouir au maximum ses dons et de développer ses aptitudes — et non pas une égalité des situations imposée artificiellement à des êtres essentiellement différents. Une société juste n'est pas une société dans laquelle tous les individus sont placés au même niveau et considérés comme identiques, quels que soient leurs talents et leurs mérites personnels. C'est celle dans laquelle chacun peut s'élever dans l'échelle sociale en fonction de ses aptitudes personnelles et de son travail indépendamment de toute considération sociale, culturelle ou financière.

Pour lutter contre l'influence conservatrice du milieu, il faut favoriser un système de promotion par le mérite qui utilise au mieux les potentiels intellectuels et moraux de chacun. C'est l'intérêt de l'individu et c'est celui de la société. Tel doit être par exemple en matière d'éducation, le sens d'une démocratisation authentique. Il ne s'agit pas d'organiser une éducation uniforme qui prétende étendre à tous les mêmes méthodes et objectifs d'enseignement. Fondé sur l'idée fausse d'une égalité originelle des aptitudes, ce mode d'éducation réussit à la fois à étouffer les capacités des plus doués et à décourager les moins doués. Il s'agit au contraire de concevoir une éducation différenciée qui soit susceptible d'offrir à chacun les meilleures chances de succès en fonction de ses aptitudes. Admettre la diversité innée des individus, c'est se donner les moyens d'organiser l'égalité des chances.

Si l'on refuse cette méthode d'orientation et de sélection en fonction des aptitudes, la sélection s'opère cependant — mais en fonction de critères sans rapport avec la valeur personnelle. C'est encore plus injuste.

Dans la mesure où la sélection par le mérite disparaît, elle est inévitablement remplacée par une sélection politique sociale ou financière.

L'erreur égalitaire

Quant au refus pur et simple de la sélection, c'est-à-dire le refus de la vraie égalité, il débouche sur une pratique politique aussi injuste qu'inefficace. Sur le plan humain, c'est l'organisation artificielle de l'égalité, c'est-à-dire le nivellement par le bas qui frappe systématiquement les plus capables quelle que soit leur appartenance sociale. Elle prive aussi le pays de ses élites.

C'est si vrai que même les régimes fondés sur le dogme égalitaire sont contraints, pour survivre, de le renier en reconsti­tuant des substituts d'élites. Dans la plupart des pays communistes, le dogme de l'égalité a été si bien transgressé que s'est reconstituée une nouvelle classe bourgeoise composée des cadres du parti, des cadres administratifs et de l'armée, dotée de privilèges particuliers.

Et, si la doctrine officielle reste celle de la marche progressive vers la société sans classes, la réalité quotidienne relève au contraire d'une sorte d'élitisme caractérisé par la sélection du mérite certes, mais aussi par la sélection politique, le népotisme et la géron­tocratie.

Personnalités et aptitudes

Face à la sélection arbitraire, la sélection par le mérite paraît être le système le plus efficace et le plus humain. Il permet à chacun de trouver sa juste place dans la société, en fonction de sa personnalité et de ses aptitudes.

Soumettre tous les enfants, considérés comme identiques, aux mêmes méthodes et aux mêmes objectifs d'enseignement au même âge serait aller à contrepente de la diversité d'origine et de développement. En réalité, toutes les méthodes pédagogiques ne conviennent pas également à tous les types de personnalités. Si les méthodes impersonnelles d' « enseignement programmé » réus­sissent par exemple très bien avec les enfants introvertis, les extravertis leur préfèrent tout naturellement les types d'enseigne­ment « par la découverte ».

De même sur le plan des aptitudes, les filières d'enseignement appropriées aux enfants intellectuellement doués ne conviennent pas nécessairement aux autres : faut-il contraindre ces derniers à participer à une compétition intellec­tuelle pour laquelle ils ne sont pas faits et dans laquelle leur handicap ne cessera de se creuser?

Les enfants mûrissent de manière très différente, à des âges variés et par des voies diverses. Combien de femmes et d'hommes de grand talent ont été jugés bien médiocres à dix-huit ans.

Il existe deux types très différents d'aptitudes intellectuelles, définis pour la première fois par le Pr. Arthur Jensen (14).

L'aptitude associative qui est la faculté d'enregistrer des connaissances et de former des associations. Elle est mesurée par les tests de mémoire. Quant à l'aptitude cognitive, c'est-à-dire la faculté d'abstraire et d'élaborer des concepts, elle est évaluée par les tests de quotient intellectuel.

Il semble bien que les méthodes d'enseignement actuelles mettent trop exclusivement l'accent sur l'apprentissage cognitif, défavorisant ainsi les enfants plus aptes à l'apprentissage associatif. Or une grande partie de l'enseignement de base peut être acquise indifféremment par l'une ou l'autre méthode. En l'état actuel de l'enseignement, nombre d'enfants ne parviennent pas à acquérir certaines notions fondamentales, simplement parce qu'elles leur sont enseignées d'une manière qui ne leur convient pas.

Ainsi les mathématiques modernes font appel à une forme d'esprit dont beaucoup d'élèves ne sont pas dotés. Bonne pour une minorité d'enfants, cette méthode d'enseignement a été arbitrairement étendue à tous les autres, qu'elle pénalise, exclut et détourne de l'étude des mathématiques.

Les risques de cette méthode sont aussi grands que ceux du français global dont on a eu la chance de se détacher plus tôt.

Le mérite ou la médiocrité

Une grande partie du corps enseignant hésite entre des objectifs contradictoires, entre le passé et l'avenir, le changement et la permanence, entre l'enseignement de tradition et l'enseigne­ment de « rupture ».

Les choix faits ne sont pas convaincants. Ils négligent par exemple les matières traditionnelles, le français, la grammaire, l'histoire, etc. au bénéfice de matières privilégiées dites modernes et d'avenir : les mathématiques, les sciences, la chimie, etc.

L'enseignement ne fait pas la synthèse si nécessaire entre les deux formations : la moderne, pour appréhender les techniques et les sciences de demain, et la traditionnelle, pour assurer nos racines profondes, celles qui tiennent à notre culture, notre savoir, notre civilisation. Ces racines pourtant nous définissent, et constituent notre différence d'avec les autres et la richesse que nous apportons au monde.

Autre hésitation devant les perspectives ouvertes par l'éduca­tion de masse ou l'éducation d'élite. Il est tout à fait évident, au-delà de la confusion politique volontairement entretenue sur ce sujet, que les deux formations sont d'un grand intérêt pour le pays.

L'éducation de masse parce qu'elle correspond à notre niveau de civilisation et aux besoins croissants des économies avancées et l'éducation des élites parce que celles-ci constituent le fer de lance de chaque pays. L'importance, l'influence d'une nation se trouvent liées de plus en plus étroitement à la qualité et à la capacité de son élite, du savant à l'entrepreneur, de l'administrateur à l'ingénieur, de l'agriculteur au médecin.

La valeur, aujourd'hui, d'une nation c'est sa civilisation, à quoi s'ajoutent le génie de l'invention, de la création, et l'aptitude de ses habitants à passer de la théorie à l'application. C'est à ses élites et à ses cadres qu'elle en est d'abord redevable.

Les seuls critères décisifs de leur formation doivent être les talents, aptitudes et mérites personnels.

Le choix décisif est entre méritocratie et médiocratie. Mais a-t-on réellement le choix?

Car il nous faut être sans illusion. La société scientifique à laquelle nous accédons est celle de l'intelligence. Par la complexité de ses structures, de son fonctionnement, de ses méthodes, par sa mobilité aussi, elle sera un défi incessant lancé à l'intelligence. Elle le sera également en multipliant les choix individuels à l'infini.

Si l'on enferme un cheval de labour et un cheval de course dans un très petit enclos, les qualités de vitesse du second ne seront pas en évidence. Mais si on leur ouvre la porte vers les grands espaces, le cheval de course ne sera bientôt plus qu'un petit point à l'horizon. Ainsi la société scientifique ouvre-t-elle les grands espaces de l'esprit à l'intelligence de l'homme.

Sources : Michel Poniatowski, L’avenir n’est écrit nulle part-Ed. Albin Michel-1978

Notes :

(1)T. Lyssenko, Agrobiologie, génétique, sélection et production des semences. On lira aussi avec intérêt son discours

(2)Auteur de Paléontologie et Transformisme, Albin Michel, 1950.

(3) Jacob Segal, Mitchourine-Lyssenko. Éditeurs français réunis.

(4) La Nouvelle Critique, novembre 1949.

(5) Davilov fut réhabilité vingt ans plus tard en 1965.

(6) Il prétendait par exemple qu'un zygote hybride (œuf fécondé produit de
l'union de deux cellules sexuées différentes) ne développe pas ses caractères selon
les lois de l'hérédité, mais selon la « voie la plus bénéfique possible » par
application d'une loi particulière qu'il définissait ainsi : « Le zygote n'est pas
fou. »

(7) La décision en 1975 du gouvernement soviétique de réaliser « un
important programme de recherche et d'enseignement de la génétique et de la
biologie moléculaire » n'a pratiquement pas pu être mis en œuvre.

(8) L'École et la Nation.

(9) La Pensée, août 1975.

(10) Pr. Hans Eysenck

(11) Pr. Hans Eysenck, L'Inégalité de l'homme, op. cit.

(12) Cf. J. E. Meade & A. S. Parkes, Biological Aspects of Social problems, Oliver & Boyd, 1965.

(13) Cf. figure 5, p. 104, in L'Inégalité de l'homme, op. cit. : relation entre Q.I. et statut social, et phénomène de retour au Q.I. moyen.

(14) Arthur Jensen, Educability and Group Différences, Methuen, 1973.




, L'Inégalité de l'homme, Éditions Copernic, 1978.



 

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