edmond rostand qui suis je

 

Jacqueline Blanchart-Cassou est l'auteur de nombreux ouvrages sur divers dramaturges des XIXe et XXe siècle, de Feydeau à Sacha Guitry, d'Anouilh à Giraudoux, en passant par Tchekov et Mérimée, sans oublier Labiche et Courteline, parus dans la collection Qui suis-je ? Des éditions Pardès. Elle nous offre aujourd'hui un ouvrage tout à fait passionnant consacré à Edmond Rostand, l'auteur du célébrissime Cyrano de Bergerac. La création de cette pièce, le 27 décembre 1897 a été, raconte l'auteur dans son introduction, « reçue comme un miracle ». Son succès a été prodigieux, tant en France qu'à l'international et surtout, il a été durable.

 

« Le joli petit chéri »

Edmond Rostand est issu d'une vieille famille provençale. On trouve notamment dans cette lignée Alexis-Joseph, l'arrière-grand-père d'Edmond, un industriel et un armateur qui sera élu maire de Marseille en 1830. Joseph-Alexis, un grand-père de l'écrivain, assure les fonctions de receveur des impôts à Marseille et est un fervent amateur de musique, jouant du violon, doué d'une belle voix de ténor. Le père d'Edmond, Eugène, épris d'idées généreuses, est économiste et poète, son oncle, Alexis, mathématicien et compositeur de musique. Edmond naît le 1e avril 1868. Le joli petit chéri de sa mère apprend à lire l'anglais à l'âge de trois ans et récite le Pater en anglais à trois ans et demi. Il est un petit garçon sage et raisonnable, déjà très soucieux de son aspect extérieur. Son futur ami Henry de Gorsse le dépeindra comme « un petit garçon mince et délicat, aux yeux profonds, au visage mat encadré de longues boucles brunes ». Il lit beaucoup, passionné de Walter Scott et fasciné par Napoléon. Son père, bonapartiste, qui consacrera toujours une bonne partie de son temps et de son argent à des œuvres humanitaires, adjure son enfant de se souvenir plus tard que sa vie « eut un rose matin », que d'autres n'ont pas eu sa chance: « Souviens-toi que ce sont tes frères. Va vers eux... » Ses études secondaires sont brillantes, surtout en français et en histoire, et couronnées chaque année par le prix d'excellence. Son orientation vers la poésie et le théâtre devient de plus en plus exclusive. Il quitte le collège en juillet 1886 avec un bulletin scolaire très élogieux: « belle intelligence, esprit fin, distingué ». Il rencontre Rosemonde Gérard, petite-fille d'un maréchal d'Empire, poétesse à ses heures, qui sera son fidèle soutien durant vingt ans. Il va écrire un vaudeville, Le Gant rouge, qu'il fera représenter, le finançant grâce à un emprunt. Ce sera « un four noir ». Il achève une comédie, écrit des poèmes où il exprime son amour pour Rosemonde, qui le lui rend bien. On peut lire dans « l'Eternelle chanson » ces deux vers qui deviendront célèbres, écrits par Rosemonde : « Car vois-tu, chaque jour je t'aime davantage / Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain ». Ils se marient le 5 avril 1890. Edmond a juste vingt-deux ans.

 

Les premiers succès

Son recueil de poèmes intitulé Les Musardines, daté de 1890, rencontre le succès. Il ne s'inspire pas de Baudelaire, Verlaine ou Rimbaud, mais reste un disciple des romantiques: le drame du poète incompris, l'appel de la nature, le sentiment d'exil ou de nostalgie, loin d'un pays aimé, l'élan amoureux. Le sentiment religieux, si présent chez Hugo semble ignoré de Rostand. Son ambition reste terrestre. L'inquiétude le taraude. Ne deviendra-t-il qu'un créateur « raté » auquel « la gloire » est refusée ? L'un de ses textes les plus émouvants est « Le Vieux pion ». Il s'agit d'un surveillant du collège, un peu poivrot, à l'allure de clochard, mais poète: « On t'avait surnommé Pif-Luisant. Les élèves / Charbonnaient ton profil grotesque sur le mur, / Mais tu marchais toujours égaré dans tes rêves, / Tu ne souffrais de rien. Tu vivais dans l'azur. / Car tu faisais des vers. Tu rimais un poème ». Il ne vendra, hélas, qu'une trentaine d'exemplaires de la première édition des Musardines... Rostand va publier une pièce, Les Romanesques, dont la répétition générale a lieu le 21 mai 1894. Il s'agit indéniablement d'une comédie réussie. La critique sera excellente. Rostand va présenter à la grande Sarah Bernhardt une pièce, « La Princesse lointaine ». Sarah est conquise par l'œuvre, et peut-être aussi par l'homme. Mais le succès ne sera pas au rendez-vous. Il n'y aura qu'une vingtaine de représentations. C'est une grande déception pour l'auteur qui va traverser une grave crise de déception, songeant même au suicide. Mais pourtant, nombre de critiques ont, à l'instar de Jules Renard ou du grand comédien Constant Coquelin, découvert le « joli talent » de Rostand. Sarah Bernhardt lui suggère alors d'entreprendre, pour les fêtes de Pâques de l'année suivante, une pièce où l'on verra le Christ. Ce sera La Samaritaine qui rencontrera un succès indéniable. « Toute la foule pleurait ». On juge admirables le décor et l'interprétation, on accorde à l'auteur un véritable don d'émotion servi, il est vrai par l'immense talent de la comédienne. Catulle Mendès évoque cependant une « vision esthétisante de l'Evangile ». Il semble que Dieu ne se soit pas fait homme, mais se soit fait femme, diront certains. Un autre critique écrira plus tard: « C'est un christianisme splendidement précieux, artistiquement factice et aussi vague que l'amour et le culte du Beau ». Mais le succès est là.

 

Coquelin ainé

 

Cyrano de Bergerac, un triomphe

On connait l'intrigue principale de la pièce: Le personnage, physiquement disgracié, Cyrano, affligé d'un trop grand nez, sait mieux exprimer ses sentiments que son rival, le beau jeune homme qui plaît à Roxane; il les lui déclare à sa place et l'aide à la conquérir. Rostand s'inspire d'un personnage réel de l'époque des mousquetaires, qui a été blessé au siège d'Arras. Anecdote amusante: le Cyrano historique semble avoir été homosexuel ! Cette pièce apparaît comme l'œuvre d'un dramaturge expérimenté, en pleine possession de son art. C'est le grand comédien Coquelin qui joue le rôle de Cyrano. Il admire Rostand dont il dit: « Il est aussi grand metteur en scène que metteur en œuvre, personne ne jouerait Cyrano mieux que lui. C'est un peintre et un musicien, c'est un artiste complet ». Ce fut un triomphe, dans un vrai délire, sans égal dans l'histoire du théâtre français. Après une quarantaine de rappels, les conversations continuèrent, on ne parvint à se séparer que vers deux heures du matin. Les articles dans la presse furent dithyrambiques, on évoqua un événement prodigieux. Edmond Rostand avait vingt-neuf ans... Dès le 31 décembre, le président Félix Faure signe le décret qui nomme Rostand chevalier de la Légion d'honneur. En fait, le public de 1897, sans bien savoir pourquoi, note Jacqueline Blancart-Cassou, se sent chez lui dans cet univers. En ces temps où l'affaire Dreyfus divise les Français, une telle œuvre les unit, appréciée qu'elle est des patriotes de tous bords, chacun y prenant ce qui va dans son sens. La pièce sera traduite en quarante-sept langues et, plus d'un siècle après sa création, elle sera encore la pièce la plus jouée au monde. Mais le statut de poète national comporte des obligations: prendre position dans l'Affaire Dreyfus par exemple. Bien que convaincu de l'innocence de Dreyfus, il ne signe pas la pétition que lui présente Clémenceau, mais il se montre en compagnie du colonel Picquard, grand défenseur de Dreyfus. Il a des amis dans le deux camps et ne veut signer que des poèmes, dit-il.

 

L'Aiglon

On sait que Napoléon 1e avait conféré à son fils, né en 1811, décédé en 1832 à l'âge de vingt et un ans, le titre de « roi de Rome » à sa naissance et avait abdiqué en sa faveur après la défaite. Trois semaines plus tard, le retour en France de Louis XVIII avait mis fin à ce règne fictif d'un enfant de quatre ans qui vivait d'ailleurs à Vienne, auprès de son grand-père, l'Empereur d'Autriche. Il était devenu un jeune homme grand et svelte, au beau visage encadré de cheveux blonds et bouclés, mais, atteint de tuberculose, il allait s'éteindre. Ce destin faisait de lui une figure romantique idéale. Notons que son surnom, L'Aiglon, apparaît chez Victor Hugo, dans le poème Napoléon II. Sarah Bernhardt jouera le rôle de l'Aiglon, le « Roi de Rome », qui voudra jusqu'à son agonie, être un « prince français ». Aux portes de la mort, il fait apporter son berceau, veut écouter de vieilles chansons françaises, puis le récit de son baptême. A son dernier appel, « Maman ! », Marie-Louise répond: « François ! », et il a le temps de rectifier: « Napoléon !" » avant de s'éteindre. La représentation de L'Aiglon, le 15 mars 1900, constitue une des plus grands triomphes scéniques de Sarah Bernhardt qui est âgée de cinquante-six ans. La pièce connaît un succès comparable à celui de Cyrano: aux yeux du public, c'est un nouveau chef-d’œuvre, même si les critiques, qui reprochent à la pièce de « verser dans le mélodrame », se montrent plus sévères, Jules Renard, ami de l'auteur écrivant: « Un prodige, un peu long, de virtuosité. C'est écrasant de beauté, et un peu, d'ennui ». Au mois d'août 1900, Edmond est promu officier de la Légion d'honneur et, le 30 mai 1901, il sera élu à l'Académie française.

 

La ferme des animaux...

Rostand imagine mettre sur la scène une cour de ferme et prendre pour héros de sa pièce le Coq qui s'appelle Chanteclerc. Après tout, celui-ci ne célèbre-t-il pas, en poète, le lever du soleil ? De plus, commente jacqueline Blancart-Cassou, il est fier, dominateur, empanaché de sa crête comme... Cyrano ! Toujours aussi consciencieux dans la recherche de documentation pour l'écriture de ses pièces, Rostand se procure toute une série d'oiseaux empaillés et fera même l'acquisition de coqs vivants, de toutes sortes, pour les observer à loisir ! Les acteurs seront transformés en animaux de basse-cour; et le mobilier scénique, brouette, charrette, niche de chien, est proportionné à ces volatiles de taille humaine, donc gigantesque. Dans la pièce, on voit les poules bavarder entre elles, le Merle, méchant et ricaneur, commencer à faire de l'esprit, le Dindon se vanter, le Paon, vaniteux et stupide, le bon chien Patou, un batard poète qui aime, la nuit, laper l'eau du lac, pour avoir « La fraîche illusion de boire les étoiles », la Faisanne amoureuse du Coq mais prompte à le trahir, les Chats-Huants, les Chouettes et les Hiboux comploter contre Chanteclerc, la Pintade, des plus snobs, saluant chacun d'un « Bonjour, vous ! ». Il y a aussi ces sympathiques moineaux, si espiègles, qui sont des sortes de gavroches. Le public est ébloui par ce spectacle si original. Et puis, que de trouvailles amusantes, telle le Chien qui jure: « Nom d'un homme ! » Les critiques n'apprécient cependant que modérément d'être moqués, sous les traits du Paon ou du Merle. L'écrivain précieux Robert de Montesquiou se sent visé à travers ce Paon, vaniteux arbitre des élégances. Et puis, les critiques se retrouvent transformés en Crapauds sur la scène. De quoi en faire défaillir plus d'un !

 

Les dernières années

Edmond Rostand va rencontrer en 1913 la poétesse Anna de Noailles, une jolie femme dont la conversation est particulièrement brillante, qui lui apporte une sorte de regain de jeunesse. Leur admiration est réciproque. Mais sa santé est défaillante. Il n'écrit plus guère. Le 3 août 1914, l'Allemagne déclare la guerre. Il souffre de migraines, et se dit « écrasé de fatigue et de désespoir ». En décembre 1915, il fait la connaissance de Mary Marquet, jeune actrice qui débute sous l'égide de Sarah Bernhardt. Une nouvelle histoire d'amour commence. Très vite, « le bruit court à Paris que Rostand est fou » de Mary. Bien entendu Sarah l'apprend et réagit par une rosserie dont seules les femmes sont capables: elle la félicite en lui offrant un très joli mouchoir de dentelle, avec son surnom, Maniouche, brodé dans un coin: elle s'en étonne: pourquoi ? Et Sarah de répondre: « Mais pour pleurer, mon enfant ! » Mais Sarah restera l'amie intime de Rostand, lui téléphonant quotidiennement et ne manquant pas d'ironiser sur la différence de taille entre son « Minime » et « cette grande jument » ! Rostand retrouve un certain optimisme. Il croit en la victoire, déclarant: « Pétain semble parfait ». Il est présent, enthousiaste, le 14 juillet 1918, au défilé militaire. Debout sur une chaise, tête nue, il crie à tous ces héros: « merci, merci ! » Il sera aussi présent, en compagnie de Mary Marquet, toute la journée, pour fêter l'armistice, à Paris, le 11 novembre 1918. Il ne cesse de tousser. Son état va s'aggraver au cours des jours suivants: il s'agit de la redoutable grippe espagnole. Il se sait perdu et dit: « Je ne pensais pas que ça viendrait si vite ». Le 1er décembre, un prêtre vient lui donner l'absolution. On l'entendra encore, dans la nuit, soupirer: « Agonie ! », « Agonie ! ». Le matin du 2 décembre, il reçoit les derniers sacrements, entre dans le coma et s'éteint à treize heures et vingt minutes. Edmond Rostand est père de deux enfants: Maurice, poète, écrivain, militant pacifiste, qui fut une des personnalités homosexuelles les plus en vue de l'entre-deux guerres, et Jean, écrivain lui aussi, moraliste, biologiste, historien des sciences et académicien français.

Robert Spieler

Edmond Rostand de Jacqueline Blancart-Cassou, 128 pages, 12 euros, éditions Pardès, collection Qui suis-je ? chez votre libraire ou sur Akribeia

FaLang translation system by Faboba
 e
 
 
3 fonctions