Enquête sur l’avenir du mouvement national paru dans le numéro 2824 de l'hebdomadaire RIVAROL du 14 septembre 2007
RIVAROL : La droite nationale et radicale a obtenu des résultats très décevants lors des dernières consultations électorales. Professeur d’université, ancien conseiller régional FN puis MNR de Rhône-Alpes et président de Terre et Peuple, Comment l’expliquez-vous ?
Pierre VIAL : Ma réponse ne sera pas la même selon le plan sur lequel on se place. Si on se place sur le plan électoral, ce sera la fin d’un cycle, tout au moins si le FN ne redresse pas la barre sur la question de l’immigration. Car – et il n’est pas besoin d’être expert ès sciences politiques pour le savoir – pourquoi les électeurs votaient-ils Le Pen ou FN ? Parce que c’était pour eux le moyen (et le seul, tout au moins pour beaucoup) de manifester leur refus, viscéral et total, de l’immigration. Seul Le Pen osait « dire tout haut ce que les autres pensent tout bas » et cela lui a valu la reconnaissance, méritée, d’un grand nombre de braves gens, qui le percevaient comme leur héraut (et donc leur héros). Quand on met bout à bout le nombre d’électeurs qui, au moins une fois, ont osé voter Le Pen, le résultat est impressionnant. Mais… du jour où Le Pen a changé de discours (catastrophique déclaration d’Argenteuil…), le charme était rompu. Et Sarkozy a ramassé la mise. Je n’insiste pas, tout cela est connu.
Par contre, si le FN revenait à une ligne clairement anti-immigration (je sais que beaucoup le souhaitent au sein du FN), tout redeviendrait possible. Car la question de l’immigration va rester et empirer. Et Sarkozy ne fera rien de sérieux car, même s’il le voulait – et étant ce qu’il est, il ne le veut pas – ceux qui l’ont porté au pouvoir ne le lui permettraient pas. Ceci étant, sans la condamner, je ne me fais aucune illusion sur la voie électorale. Pour l’avoir pratiquée depuis 1989 (je voulais voir « de l’intérieur » ce qu’il en était, au conseil municipal de Villeurbanne, au Conseil régional Rhône-Alpes, à la Communauté urbaine de Lyon) j’ai pu constater à quel point un élu de notre camp était condamné à, au mieux, témoigner. Tant qu’on n’a pas le pouvoir… l’outil électoral est illusoire. Ce n’est pas une raison pour y renoncer, à condition d’être totalement lucide sur les règles du jeu et, donc, les limites de l’exercice.
RIVAROL : Vous avez proposé, peu avant les législatives, la constitution d’un Front Charles Martel qui pourrait aussi prendre un autre nom. Qu’entendez-vous exactement par là ? La Fédération identitaire qui vient de se créer répond-elle, au moins partiellement, à votre vœu ? Et que vous inspirent les réactions négatives qu’a suscitées votre initiative chez certains nationaux ?
Pierre VIAL : Comme je l’ai, je crois, clairement exprimé, ma proposition d’un « Front Charles Martel » s’inscrivait dans un contexte où beaucoup de gens, compte tenu de l’évolution du FN sur le sujet, pouvaient être désespérés de voir se fissurer (j’évite de dire « s’écrouler »…) ce rempart contre l’immigration qu’a été pendant si longtemps le FN. La tentation étant, du coup, de baisser les bras, de considérer qu’il n’y a plus rien à faire face à la marée montante et, donc, d’accepter l’inacceptable. J’ai voulu et je continue à vouloir contribuer à redonner un peu d’espérance en appelant à rester mobilisés tous les Gaulois (j’aime bien ce terme : sous une forme sympathique, il dit bien ce qu’il veut dire) qui entendent résister. Tout est toujours possible : là où il y a une volonté, il y a un chemin. Ma conviction est qu’il y a toujours (et qu’il y aura, je l’espère en tout cas, de plus en plus) beaucoup de Gaulois qui ne peuvent se résoudre à vivre dans un pays occupé par des envahisseurs et pour qui le choc des civilisations existe, puisqu’ils le vivent au quotidien, quoi qu’en disent certains qui, par dogmatisme idéologique ou conformisme pseudo-intellectuel, nient cette évidence.
Il faut susciter une nouvelle dynamique, redonner aux Gaulois (tout au moins à ceux qui ne sont pas encore totalement lobotomisés par le Système) l’envie de se battre. J’ai voulu donc leur envoyer un message : vous n’êtes pas seuls, beaucoup pensent comme vous et si tous ceux-là décident d’agir ensemble, il est possible de faire exister et agir une force populaire bien réelle. Le pays réel dont parlait Maurras n’est pas mort et il faut en faire la démonstration, pour montrer aux ennemis de ce pays réel qu’ils n’ont pas encore gagné la partie.
Quant à ceux qui ont critiqué mon initiative, ils correspondent à plusieurs profils. Il y a ceux qui ont cru ou feint de croire que, parce que dans Front Charles Martel il y a Front, je voulais concurrencer le FN, sur le plan électoral. Je les rassure : je n’ai aucune envie de jouer à cela et je n’en vois pas l’intérêt. Ce serait absurde et je prise peu les absurdités. Il y a, par ailleurs, ceux qui considèrent que l’immigration n’est pas vraiment un problème. Je leur souhaite, simplement, de ne pas subir personnellement la démonstration que c’est bien un problème et même LE problème. Mais je sais qu’ils auront, forcément, un jour ou l’autre l’occasion de s’en apercevoir. Dois-je préciser que je n’en aurai alors aucun chagrin ?
Et puis il y a ceux (cette catégorie se recoupe en partie avec la précédente) qui considèrent qu’il faut être du côté des musulmans pour faire pièce à l’axe USA-Israël. Je maintiens plus que jamais la position que j’ai toujours eue : nous n’avons à être les supplétifs ni des uns ni des autres, l’affrontement entre l’axe USA-Israël et le monde musulman n’est pas notre guerre. Préoccupons-nous des nôtres et de ce qui se passe chez nous, il y a suffisamment à faire…Il y a encore, parmi mes détracteurs, ceux qui veulent rester à tout prix dans leur petite chapelle, cocon confortable et si satisfaisant pour l’ego. Enfin, il y a ceux à qui la ligne idéologique que je représente donne de l’urticaire. Au-delà de leur diversité je dois avouer à tous ces gens que je n’ai rien à faire de leurs critiques car je sais être dans le vrai.
En ce qui concerne la Fédération identitaire c’est une entreprise sympathique mais à mon sens trop limitée puisqu’il s’agit essentiellement, en fait, de regrouper le Bloc identitaire… et quelques « compagnons de route » qui sont là soit à titre personnel soit en tant que satellites du Bloc identitaire. Il faut voir plus grand et plus loin, dans le cadre français (l’initiative d’une « Journée de l’identité » programmée en octobre autour de la revue Synthèse nationale de Roland Helie me paraît excellente car regroupant un maximum d’invités) soit, plus encore, dans le cadre européen (comme je l’ai évoqué dans le dernier numéro de la revue Terre et Peuple avec un dossier « Pour un réseau identitaire européen »). Je travaille en tout cas à cela.
RIVAROL : Sur quels fondements le courant national et identitaire peut-il se reconstruire et se développer ? Avec quelles erreurs et quels types de schémas dépassés devra-t-il rompre ?
Pierre VIAL : Le fondement indispensable est la nécessité de réunir les diverses composantes de notre courant politique sur un mot d’ordre commun clair : le combat pour notre identité. Une identité qui repose sur l’ensemble de notre héritage historique. Nous sommes fils de l’Acropole et de la cathédrale de Reims. Ceux qui prient sur l’Acropole et ceux qui prient à Reims ont le même ennemi et doivent le combattre ensemble. Sinon ils périront, les uns et les autres. C’est donc la conscience de l’enjeu qui doit reconstruire notre camp et l’enjeu c’est l’existence de la civilisation multimillénaire qui est la nôtre et qui est menacée d’être submergée. L’erreur mortelle à ne pas commettre c’est d’oublier cette réalité pour ne penser qu’aux luttes d’influence entre chapelles rivales ou à de mesquins calculs électoraux destinés, au mieux, à obtenir quelques strapontins (avec les prébendes qui vont avec…). Nécessité absolue pour construire un appareil digne de ce nom : privilégier totalement l’implantation locale, le recrutement de futurs cadres en les dotant d’une formation solide, leur permettant de surmonter les vicissitudes de l’actualité.
RIVAROL : Beaucoup ont critiqué le mode de fonctionnement très centralisé et très personnel tant du FN que du MNR. Etes-vous favorable au principe d’une direction collégiale, au risque de diluer les responsabilités, de créer des divisions et de nuire à la visibilité du mouvement ?
Pierre VIAL : Soyons réalistes. Il a toujours été nécessaire qu’un mouvement fût incarné par une personne perçue comme porteuse d’un projet à dimension historique. Qu’aurait été le FN sans Jean-Marie Le Pen ? Ceci étant, la nécessité d’identification entre un mouvement et son chef ne doit pas inciter celui-ci à s’enfermer dans l’autarcie, en coupant les têtes qui dépassent. Car c’est toujours, à terme, source d’erreurs et donc d’échecs. Le premier devoir d’un chef politique est donc de savoir mettre son ego au vestiaire pour pouvoir, ainsi, réunir les meilleures chances de succès pour le projet dont il est porteur, en groupant autour de lui des personnes de qualité, compétentes et efficaces. La vieille tradition européenne le dit : le chef authentique est celui qui sait être « le premier parmi ses pairs ». Pas moins. Mais pas plus.
RIVAROL : Vous connaissez les divisions au sein de notre mouvance entre les nationalistes français partisans d’un Etat-nation fort et les identitaires eurorégionalistes. Pensez-vous possible ou souhaitable de dépasser ce clivage important au nom de la seule lutte contre l’immigration extra-européenne ? Est-il possible de détacher la lutte pour la défense de l’identité de celle du combat pour le recouvrement de la souveraineté ?
Pierre VIAL : Il ne peut y avoir de souveraineté s’il n’y a pas la force pour porter cette souveraineté. Cette force, politique, économique, culturelle, militaire ne peut exister sans l’adhésion enthousiaste des peuples mobilisés psychologiquement dans la volonté de construire un grand destin. Ce qui suppose une forte conscience identitaire (on y revient toujours…). Une conscience qui repose sur une réalité que mes amis Saint-Loup et Jean Mabire ont appelé « les patries charnelles ». Or l’ennemi mortel des patries charnelles c’est le jacobinisme. Jean-Marie Le Pen a tout dit lorsqu’il s’est défini un jour comme « Breton, Français et Européen ». La meilleure chance de pérennité pour la France, c’est de devenir une république confédérale (une institution qui n’a pas mal réussi à la Suisse).
RIVAROL : Vous vous êtes toujours défini comme un Européen tout en étant opposé à l’actuelle Union européenne. Quelle Europe peut promouvoir un grand courant national ? Faut-il privilégier une alliance avec la Russie de Poutine pour faire contrepoids à l’hégémonisme des néo-conservateurs américains ? Et quel rôle peut actuellement jouer la France sur le plan géopolitique.
Pierre VIAL : Quand je vois qui attaque Poutine, je me dis qu’il ne peut pas être vraiment mauvais…Je suis viscéralement attaché à ma grande patrie européenne : à Madrid comme à Saint-Pétersbourg, à Dublin comme à Athènes, à Rome comme à Berlin je me sens non pas « à l’étranger » mais chez moi. Je parlais tout à l’heure de souveraineté reposant sur la puissance. La puissance c’est l’Eurosibérie, avec une colonne vertébrale qui est l’axe Paris-Berlin-Moscou. Ce n’est pas un hasard si les gens qui contrôlent le pouvoir aux Etats-Unis perçoivent très clairement un tel axe comme inacceptable pour eux, car le seul à même de contester leur volonté hégémonique. J’entends certains me dire « c’est un rêve ». Oui, comme dit Merlin, « un rêve pour certains, un cauchemar pour d’autres ». Et c’est avec des rêves de grandeur qu’on bâtit l’Histoire.
RIVAROL : D’aucuns dans notre mouvance ont fait le choix au second tour de voter pour Nicolas Sarkozy tandis que d’autres, suivant les conseils de Le Pen et de RIVAROL, s’abstenaient. Vous avez été l’un des rares à faire le choix inverse en votant pour Ségolène Royal. Regrettez-vous ce choix et, sinon, ne peut-on pas vous faire le grief d’avoir mêlé votre voix à celle des jeunes allogènes qui se sont massivement prononcés en faveur de la candidate socialiste ?
Pierre VIAL : « Non, rien de rien, non je ne regrette rien… ». En politique comme à la guerre il faut se déterminer en fonction de la dangerosité de l’ennemi. En clair, il faut tirer sur l’ennemi le plus dangereux. Or, en l’occurrence, comme on dit dans le jargon d’aujourd’hui, « il n’y a pas photo ». Ségolène Royal à l’Elysée, cela aurait débouché sur une joyeuse pagaïe qui ouvrait le jeu des possibles pour nous. Avec Sarkozy, le rouleau compresseur est en marche. Voter Sarkozy, c’était aider à tisser la corde pour se faire pendre (les naïfs – c’est un euphémisme – seront contraints de s’en rendre compte tôt ou tard). J’attends avec intérêt que les grands stratèges autoproclamés qui ne manquent pas dans notre camp viennent m’expliquer comment on pouvait essayer sérieusement de bloquer Sarkozy sans voter Royal… Quant à l’abstention, je n’ai jamais aimé Ponce Pilate.