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S'il est vrai, comme l'a dit Carl Schmitt, que tous les concepts significatifs de la théorie moderne de l'État ne sont rien d'autre que des concepts théologiques vidés de leur contenu théologique (ou sécularisés)[1], dans le cas du multiculturalisme l'idée peut être poussée plus loin et nous pouvons atteindre la sphère opposée : les concepts de base du multiculturalisme ne sont rien d'autre que des concepts théologiques qui, après avoir été vidés de leur contenu théologique, ont été remplis d'un contenu antithéologique. En d'autres termes, le multiculturalisme a non seulement une nature sécularisée, mais aussi, si l'on peut dire, une nature diabolique, au sens littéral du terme.

Le multiculturalisme est, en fait, un avatar de l'individualisme libéral, un individualisme des temps modernes, qui se considère suffisamment mature pour passer de la phase « locale » de ses manifestations à la phase « globale ». Le libéralisme mondialisé ne pouvait en effet que conduire au multiculturalisme. L'un des concepts centraux du libéralisme individualiste est celui des droits (de l'homme). La structure de base du multiculturalisme repose sur l'idée de droits, au sens des droits de l'homme, à laquelle s'ajoute la philosophie de la diversité couplée à celle de l'égalitarisme. Enfin, l'ensemble de la construction se termine par l'idée d'affirmation de soi ou d'action positive. Mais, comme l'a souligné David L. Schindler, d'un point de vue théologique (catholique, en l'occurrence, ce qui coïncide avec l'orientation religieuse de Carl Schmitt, citée précédemment), le libéralisme et son concept de « droits » reposent sur une logique répressive. Cette logique répressive repose en définitive sur un fondement relativiste.

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Les droits de l'homme dans leur version libérale, dit D. L. Schindler (photo), sont essentiellement des droits négatifs et non positifs: ils se réduisent à la nécessité de respecter l'indépendance de l'autre, mais il n'est pas question d'aider (dans un sens positif, utile) l'autre d'une manière ou d'une autre. Le libéralisme ne porte l'idée de droits qu'au niveau d'une interférence formelle, négative, tout au plus neutre, des êtres humains entre eux. A aucun moment il ne pose la question du droit-responsabilité envers l'autre [2]. Cette vision neutre du droit est ensuite reprise dans la pensée juridique et constitue la base de toutes les conceptions juridiques actuelles: elles sont ainsi séparées de l'idée de Dieu ou d'autrui, construites autour d'une image formelle de l'individu [3].

De même que l'idéologie des droits de l'homme part apparemment d'une vérité indiscutable de nature théologique (la dignité humaine, qu'elle invoque souvent à son propre appui), pour aboutir à une idéologie qui dénature cette dignité, en « fabriquant » tous les « droits » possibles, les uns plus étranges que les autres (on en arrive au nom des droits de l'homme à accepter l'avortement, c'est-à-dire la négation du droit fondamental à la vie des êtres encore à naître mais vivants ! [4]), l'idéologie du multiculturalisme part d'une « vérité » apparente et visible, à savoir la diversité culturelle, ethnique ou religieuse, pour imposer l'idée que cette diversité peut s'imposer devant l'unité des composantes qui composent le tout. Dans l'idéologie moderne des droits de l'homme, les droits priment sur les responsabilités, ce qui est contre nature. Toute société est un équilibre entre les responsabilités et les droits; en effet, on pourrait dire que dans les sociétés « normales » (c'est-à-dire les sociétés traditionnelles ou celles dans lesquelles les valeurs traditionnelles sont encore vivantes, comme les sociétés orientales), les responsabilités viennent en premier, après quoi naissent les droits [5]. La dignité humaine ne se manifeste pas tant par des droits que par des responsabilités !

L'idéologie des droits de l'homme falsifie la relation spirituelle et naturelle entre la responsabilité et les droits. L'idéologie du multiculturalisme falsifie la relation spirituelle et naturelle entre l'unité et la diversité. La diversité est la fille de l'unité, et non l'inverse. Le multiculturalisme, quant à lui, ne met l'accent que sur la diversité, négligeant ou considérant comme dangereux le versant de l'unité, qu'il soupçonne de... relents totalitaires.

L'idée d'unité n'a qu'une relation formelle et extérieure avec l'idée de totalité. Une totalité peut être, et est le plus souvent, une simple somme formelle, extérieure et donc artificielle. La véritable unité se trouve dans l'idée d'universalité. Ici, cependant, l'universalité ne signifie pas « propagation universelle », mais l'unité qui traverse et donc unit tous les différents aspects du tout. Le multiculturalisme, en négligeant l'idée d'unité comme universalité, se retrouve involontairement en plein « totalitarisme », c'est-à-dire en pleine totalité artificielle, par l'addition d'éléments extérieurs qui n'ont aucun rapport naturel, naturel entre eux. Le multiculturalisme peut donc être suspecté, d'un point de vue théologique, d'être diabolique, dans la mesure où il rassemble des éléments qui sont en fait séparés, ou, plus précisément encore, qu'il a lui-même préalablement séparés, pour mieux les mettre en évidence et les façonner en termes individuels.

 

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Le multiculturalisme connaît deux grandes étapes dans la construction de sa réalité sociale et métaphysique : la première étape (obligatoire) est celle de la décomposition des unités, du détricotage des unités qui composent le monde social et son projet métaphysique. La deuxième étape est celle de l'agglutination de ces éléments décomposés lors de la première étape. Toutes les approches multiculturalistes sont d'abord des tentatives de séparation, puis de recomposition artificielle du monde social après le processus de séparation. À l'instar d'un tableau qui est d'abord brisé en plusieurs fragments pour être recollé et qui n'est finalement qu'un puzzle dont les séparations et les fragments ne peuvent jamais être « résorbés », le multiculturalisme nécessite de briser les éléments constitutifs de l'unité sociale pour ensuite, conformément à ses prémisses philosophiques de type « Lumières », recoller ces fragments de manière rationnelle, méthodique et «correcte ».

 

Les « victimes » du multiculturalisme : la culture, la politique, l'identité, l'individu, la communauté

La première victime du multiculturalisme est la culture elle-même - comprise comme un ensemble de valeurs organisées et un culte des valeurs. Le multiculturalisme organise le culte de la diversité, mais se désintéresse totalement du contenu profond de la culture, qui est avant tout religieux et éthique. Le multiculturalisme produit un culte rationnel de certaines réalités immanentes, celles qui lui conviennent (diversité, minorité, égalité), mais ignore d'autres réalités, certaines métaphysiques, d'autres immanentes (race, majorité, Dieu).

Le multiculturalisme est une protestation contre la Culture, car elle assimile (le terme est répudié), et le multiculturalisme est, au contraire, la soi-disant « révolution expressionniste » [6]. En effet, toute culture est un lieu d'assimilation, au sens de l'intégration dans les significations traditionnelles de la vie. Mais le multiculturalisme ne peut admettre la perte de l'individualité du moi, car il met toujours l'accent sur l'affirmation de soi. Traditionnellement, la différence entre le moi et le Soi a été une pierre angulaire de la compréhension de la destinée ultime de l'homme. Alors que le moi est éphémère et trompeur, le Soi est pérenne et seul vrai.

 

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Selon Ananda Coomaraswamy (photo, ci-dessus), la tradition réclame la libération du soi compris comme l'ego. Dans le monde moderne, en revanche, c'est l'ego ou le moi cultivé qui est pleinement valorisé. Il est le seul à être pris comme référence. Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que la réalisation la plus remarquable de l'affirmation culturelle égolâtre d'aujourd'hui soit une sorte de diversité bruyante, fatigante et prévisible ; une fois que l'essence métaphysique des cultures (manifestée par le Soi) est bloquée, elles se transforment en chœurs collectifs, prévisibles et sans créativité. Après tout, la culture est aujourd'hui un produit artificiel, comme tout produit de la société de consommation. Plus une culture est affirmée, plus elle est artificielle.

Il en va de même dans un autre domaine de prédilection du multiculturalisme, celui des droits des minorités. Les minorités sexuelles ne sont plus « seulement » des minorités sexuelles, mais sont culturellement « consacrées », créditées d'une manière presque métaphysique. Ils sont des «créateurs de culture » et représentent, en eux-mêmes, un mode de vie et donc un style culturel. On assiste donc à une « culturalisation » du sexe et des minorités sexuelles, qui jette le discrédit sur la culture. La question sexuelle est érigée en question essentielle de la vie humaine aujourd'hui, sans aucune référence à l'éthique traditionnelle, qui met en garde contre les dangers inhérents à toute exagération de la préoccupation des plaisirs corporels. Parce que la diversité culturelle doit toucher tous les éléments sociaux, on a estimé que les minorités sexuelles avaient également droit à une vie « culturelle » au sein de la population. Ainsi, la vie sexuelle (hétéro comme homosexuelle) est placée au même niveau d'importance que la vie religieuse ou la vie culturelle « traditionnelle ».

Sur le plan socio-politique, les choses sont encore plus dramatiques, surtout si l'on considère le contexte mondial dans lequel se déroule la vie humaine moderne aujourd'hui. Dans cette perspective, le multiculturalisme s'attaque aux fondements de la politique. Les minorités ethniques sont la cible ici. L'idée qu'une minorité, en général, est digne de l'attention indivise dont elle bénéficie aujourd'hui était une idée totalement étrangère à la politique classique. Même les Pères fondateurs de la démocratie américaine ont veillé à ce que la République ne soit pas mise en danger par des factions, c'est-à-dire des minorités constituées sur des bases diverses, qui dénatureraient le sens de l'ensemble politique, de la communauté politique américaine. Les Pères de la nation américaine avaient encore la notion d'un corps politique transcendant, qui va au-delà de la simple somme des intérêts ou des perspectives individuels. Le multiculturalisme, en revanche, met en avant l'idée de minorité ; la majorité est considérée comme oppressive ; tout au plus admet-on que l'ensemble ou le corps politique est la somme de minorités, de factions individualisantes. En d'autres termes, au lieu de rechercher les éléments de rapprochement entre tous, qui engendreraient l'ensemble et l'unité politique, le multiculturalisme reste le défenseur de l'idée de la séparation fondamentale des différentes ailes du corps politique. Ainsi, la politique n'a plus un caractère intégrateur, mais se transforme en une lutte acharnée pour la suprématie entre les différentes factions politiques. Le couloir de l'anarchie et de la violence est ainsi ouvert.

La relation entre le multiculturalisme et l'idée d'identité est également intéressante et instructive, car elle est essentielle à son approche.

Dans les temps anciens, l'identité personnelle était toujours secondaire par rapport à l'identité communautaire [7]. Aujourd'hui, l'identité personnelle passe avant l'identité de groupe. En même temps, le multiculturalisme met trop l'accent sur l'idée d'un groupe différencié, mais ce faisant, il ne fait qu'individualiser la communauté. Mais une « communauté » individualisée, c'est-à-dire composée d'individus, est un non-sens. Le multiculturalisme sape ses propres prémisses théoriques en renversant la relation traditionnelle et naturelle entre le tout et la partie.

Le multiculturalisme n'est cependant pas une simple déclaration, mais un programme, une lutte pour l'affirmation. Toute l'idéologie de l'affirmative action est liée à cette lutte pour la reconnaissance et à l'imposition du thème ; en effet, si les racines du multiculturalisme sont, comme nous l'avons vu, individualistes, le thème de la reconnaissance ne fait rien d'autre que de montrer, comme le disait Hegel, la non-autosuffisance de l'homme [8].

 

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Le multiculturalisme est hostile à l'individu et à l'individualité, d'une manière étrange mais explicable. Partant de l'idée de récupérer l'individualité, elle doit nier toute idée d'individualité et d'originalité, car elle présume que toutes les individualités sont égales. L'égalitarisme est donc la guillotine sous laquelle tombent toutes les idées généreuses du multiculturalisme ; produit d'une modernité post-Révolution française (1789), d'un individualisme qui conduira, économiquement parlant, à l'absolutisme du marché, où tout a un prix et où tout est à vendre, le multiculturalisme ne fait rien d'autre qu'établir un marché de l'identité, dans lequel, évidemment, les plus brillants, c'est-à-dire ceux qui ont les étiquettes les plus colorées, semblent être les plus importants. La logique externe et superposée de cet immanentisme économico-social fait du multiculturalisme la variante idéologico-culturelle d'un infra-capitalisme à saveur ethnique, raciale ou culturelle.

Or, le multiculturalisme s'attaque naturellement à l'idée de communauté. Il est vrai que notre identité ne se construit qu'à travers le miroir des autres ; à cet égard, le multiculturalisme semble avoir raison. Mais son erreur fondamentale est de « dynamiser » les identités collectives sur le modèle des identités individuelles et de manière rationnelle et auto-affirmée. Ainsi, les identités collectives sont « forcées » d'occuper la même place sur un podium de valeurs idéales, de participer à la même compétition (dans laquelle tous les prix sont égaux) et de s'affirmer au même moment, ce qui n'est pas naturel.

Comme toute idéologie, le multiculturalisme exagère dans les deux sens : lorsqu'il « force » les collectivités à s'affirmer, mais aussi lorsqu'il interdit les importations culturelles ou civilisationnelles qu'il considère comme contrefaites : les exemples récents donnés par un auteur français sont pertinents [9]. Dans son ouvrage La face cachée du multiculturalisme, l'auteur canadien Jérôme Blanchet-Gravel utilise le soi-disant principe multiculturaliste du refus de l'appropriation culturelle pour illustrer une série d'étranges exagérations, comme l'interdiction faite aux handicapés de pratiquer le yoga (considéré comme l'apanage des Orientaux), l'interdiction faite aux Canadiens de porter des coiffes à plumes parce qu'elles appartiennent aux Indiens, ou l'interdiction de vendre des boomerangs parce qu'ils n'appartiennent qu'aux Aborigènes australiens ! Mais, une fois de plus, derrière ces précautions apparemment correctes concernant les importations culturelles mimétiques et contre nature, se cache un souci tout aussi contre nature de la « diversité », comme si une culture pouvait être anéantie par la forme sans fond qu'elle engendre dans une autre aire culturelle. Ce soin s'apparente en fait au soin que le muséographe apporte à une exposition unique mais morte dans son musée ou son domaine de connaissance.

 

Le multiculturalisme et le « renouveau » spirituel de l'Occident

Dans les cercles sociologiques et philosophiques canadiens (le Canada est l'un des pays les plus « exposés » en termes de multiculturalisme réel et concret), on a soutenu que le multiculturalisme pourrait être l'occasion d'un renouveau spirituel de l'Occident, dans la lignée de l'Orientalisme spécial de René Guénon [10].

 

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L'affirmation intéressante est une exagération. La « crise du monde moderne » que Guénon a théorisée n'avait et ne pouvait avoir aucun remède, du moins pas un remède ordinaire. L'orientalisation dont parle le même auteur ne signifie pas du tout le « multiculturalisme orientalisant », mais la transformation intérieure de l'Occident, l'orientalisation de l'Occident et, pratiquement, la désoccidentalisation. Mais un tel phénomène n'est pas à imaginer à notre époque, presque un siècle après que Guénon ait écrit. C'est plutôt le phénomène inverse, l'occidentalisation de l'Orient, qui se produit. Quant à l'Occident, son destin est celui d'une perpétuelle agonie du multiculturalisme (débats toujours actuels sur les transformations sociales réelles et les mesures ou accents que le multiculturalisme peut apporter à cette image de la réalité). Ce n'est pas pour rien que les sociologues s'expriment de plus en plus sur le multiculturalisme aujourd'hui, apportant avec eux l'appareil spécifique de leurs périodisations (les différences entre la situation économique et sociale de l'Occident dans les années 60 et celle des années 90 ou d'aujourd'hui) et de leurs conceptualisations (race, religion, valeurs économiques et politiques - ce sont les sujets de base de la sociologie concernée par les problèmes du multiculturalisme). Mais ces débats ne pourront pas, à notre avis, changer le cours majeur des événements, et le multiculturalisme « mature », celui qui est idéologique, continuera à flotter à la base de la pensée commune des sociétés occidentales modernes, pour leur malheur [11].

Quelle est la caractéristique la plus vivante et en même temps la plus nuisible du multiculturalisme ? C'est le respect pieux mais fondamentalement très « non culturel » de toute « culture » ou de toute manifestation « culturelle ». Respecter tous les fragments d'une civilisation matérielle à partir d'une position de touriste complétée par un anthropologue amateur est tout ce que le multiculturalisme peut offrir aujourd'hui, surtout dans les pays les plus développés de l'Occident.

En fait, le rétablissement spirituel par le multiculturalisme cherche des solutions à la perte d'identité spirituelle avec le désengagement du Divin de notre monde. Nous ne pouvons pas découvrir plus qu'une collection de faits culturels dans ce musée d'antiquités qu'est devenu le monde moderne.

Le multiculturalisme est le drame qui concerne toute Culture : lorsqu'elle n'a plus la capacité de s'intégrer, elle évolue dans deux directions apparemment opposées mais qui s'entrecroisent : d'une part, idéologiquement et politiquement, elle cherche à assurer « l'égalité des chances » et l'expression culturelle (pour compenser le manque d'intégration), d'autre part, elle force une intégration de nature politico-citoyenne, à l'aide d'incitations matérielles. Ce qui était autrefois l'intégration à l'universalité par l'attraction culturelle de la communauté est devenu une incitation politique et économique à la citoyenneté. Ce qui était autrefois hiérarchie et différenciation axiologique, définie selon les critères traditionnels de la culture, est devenu tolérance et respect des différences ; mais ce respect et cette tolérance négligent précisément l'idée de hiérarchie.

Le monde et la culture occidentaux modernes sont handicapés par l'incapacité de hiérarchiser en termes traditionnels. Pour se débarrasser de cette angoisse, il déclare une « amnistie générale » et une égalité de principe de tous les faits culturels ou cultures différents. Mais l'incapacité à hiérarchiser dans sa propre culture est liée à l'incapacité à saisir l'authenticité des autres cultures. C'est pourquoi les cultures « assimilées » sont, en fait, des cultures défigurées. Ceux qui sont tolérés sont carrément ignorés. Le multiculturalisme ignore ce qu'il déclare d'importance égale et défigure ce qu'il semble pouvoir comprendre.

Le dilemme du multiculturalisme moderne est similaire à celui de la théorie du désarmement : pour parvenir à la paix, tous les États doivent désarmer. Le problème est que personne ne veut être le premier à désarmer dans un contexte où il n'est pas certain que tous les autres suivront automatiquement.

 

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Dans une perspective multiculturaliste, l'identité est l'arme de prédilection : quiconque veut vivre en harmonie avec les autres doit abandonner la séparation hostile que chaque culture entretient avec ses voisins. Le multiculturalisme, au lieu d'atténuer les conflits culturels par son relativisme inhérent, a souvent l'effet inverse, précisément parce qu'il prêche un monde de respect universel et de paix qui n'existe qu'en théorie. La conscience de cette utopie rend d'autant plus dramatique l'acceptation de la lutte entre les cultures comme alternative à leur mort spirituelle par une tolérance qui se neutralise mutuellement.

Quelle serait la solution à la neutralisation et au désengagement provoqués par le multiculturalisme ? Certainement, une ré-hiérarchisation de l'ensemble du corpus social et culturel du monde moderne. Mais cette ré-hiérarchisation passe nécessairement par la lutte et le conflit, combattre l'inférieur et détourner l'inférieur, imposer le supérieur et chasser le dégradé. Mais cela signifierait en fait l'abnégation d'un Occident qui, selon les plus grands philosophes de la Tradition (Evola, Guénon, Coomaraswamy), à l'époque moderne, surtout après la Renaissance, n'a fait que couper les ponts avec la Tradition, dans les pas d'un conformisme matériel et économique toujours renouvelé, toujours prêt au progrès.

Cristi Pantelimon

Ex: https://www.estica.ro/article/sensuri-ascunse-ale-multiculturalismului/

Notes:

[1] Carl Schmitt, Théologie politique, Bucarest, Ed. Universal Dalsi, 1996, p. 56.

[2] D. L. Schindler, La logique répressive des droits libéraux, in « Communio », hiver 2011, p. 531, sur https://www.communio-icr.com/files/Schindler_Repressive_Logic_of_Liberal_Rights.pdf.

[3] Le fils de D.L. Schindler irait plus loin dans cette ligne de pensée et affirmerait, dans le titre d'un livre récent, rien de moins, que la liberté moderne a un caractère maléfique - D. C. Schindler, Freedom from Reality : The Diabolical Character of Modern Liberty, University of Notre-Dame Press, 2017.

[4] Une critique récente de cette idéologie des droits de l'homme, utilisée aussi comme une arme géopolitique, dans Alain de Benoist, Au-delà des droits de l'homme. Pour défendre les libertés, Paris, Pierre-Guillaume de Roux, 2016.

[5) C'est dans cette perspective que s'inscrit le troisième chapitre de l'ouvrage d'Alain de Benoist consacré aux droits de l'homme, qui pose la question des droits de l'homme sous l'angle de la diversité culturelle. L'auteur montre que les droits de l'homme, compris de manière occidentale, sont un aspect minoritaire de la question. D'ailleurs, contrairement à la tendance individualiste des droits de l'homme, une déclaration universelle des droits des peuples a été adoptée à Alger le 4 juillet 1976, précisément pour marquer l'idée de la prévalence de la communauté par rapport aux droits-créances des individus (p. 99 dans l'ouvrage cité par A. de Benoist).

[6] Alain de Benoist, Nous et les autres. Problématique de lʼidentité, Krisis, Paris, 2006, p. 7.

[7] Alain de Benoist, Ibidem, p. 3 et suivantes.

[8] Ibid, p. 7.

[9] http://www.bvoltaire.fr/la-face-cachee-du-multiculturalisme-de-jerome-blanchet-gravel-editions-du-cerf/.

[10] http://classiques.uqac.ca/contemporains/blanchet-gravel_jerome/Le_multiculturalisme/Le_multiculturalisme.pdf

[11] Un exemple de discours rationnel-sociologique, sans conséquences essentielles, à notre avis, dans M. Wieviorka https://www.raison-publique.fr/IMG/pdf/Wieviorka_multiculturalisme.pdf.

Cet article a été publié à l'origine dans le numéro 3/2018 du magazine Critical Point.

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