Dans un article publié par la Libre Belgique le 23 juin 1972 sur les vieilles coutumes de Belgique, les feux de la Saint-Jean sont spécialement évoqués :
L'origine des feux de la Saint-Jean se perd dans la nuit des temps. Primitivement, la coutume se rattachait à la célébration du solstice d'été, fixée jadis, par erreur, au 24 juin. L'événement était marqué par de grandes solennités chez tous les peuples et dans toutes les religions.
Pour les Germains, le Midzomer, ou mi-été, donnait lieu à des cérémonies qui se prolongeaient plusieurs jours. Le 24 juin était appelé Midzomerdag (jour de la mi-été). De tous les Lotdagen du calendrier germanique, ces jours fatidiques qui passaient pour décider du sort des moissons, du bétail, des individus et quelquefois même des populations tout entière, celui-ci était l'un des plus important.
Ce jour-là, croyait-on, l'avenir se révélait aux humains, et les plantes acquéraient des propriétés merveilleuses. Mais aussi, durant cette journée, des influences bénéfiques ou maléfiques se faisaient sentir. Le bonheur et le malheur se disputaient les hommes avec un égal acharnement. Il fallait donc prendre de grandes précautions pour échapper aux entreprises des mauvais esprits. En même temps, on devait chercher à se concilier la faveur des bons génies. De là, une foule de pratiques superstitieuses.
De grands feux étaient allumés à la fois en signe de reconnaissance pour les bienfaits prodigués par le soleil à son zénith et pour mettre en fuite démons, mauvais génies, dragons venimeux et autres êtres malfaisants.
Les bûchers du Midzomervuer, du feu de la mi-été, étaient dressés dans les plaines, au centre des lieux habités. On y jetait en offrande toutes sortes d'herbes et de fleurs, et même des animaux vivants, en particulier des coqs rouges et des chats. Jusque fort avant dans la nuit, une des nuits les plus courtes de l'année, hommes et femmes dansaient des rondes autour de chaque brasier tout en chantant. Vieux et jeunes sautaient à travers les flammes pour se purifier et se préserver de toute maladie. Les feux du solstice d'été se rencontraient dans presque toute l'Europe, tant romane ou slave que germanique. En Belgique, les Germains en avaient implanté la coutume à la faveur de leurs migrations.
Dans sa lutte contre les superstitions et les usages païens, l'Église s'opposa à la célébration du solstice d'été et remplaça l'antique solennité par la fête de la Saint-Jean, tout en défendant de la marquer par des feux et des danses. L'interdiction fut rappelée à maintes reprises par les évangélisateurs qui introduisirent la foi du Christ dans les contrées barbares du nord et de l'ouest de la Belgique. En pure perte ! Les Belges étaient opiniâtrement attachés aux croyances de leur pères. Les vieilles réjouissances du Midzomer survécurent en dépit de toutes les prohibitions. Mais, par suite des progrès du christianisme, elle s'identifièrent peu à peu avec la dévotion à Saint Jean-Baptiste. Elles finirent de la sorte par être tolérées parles évêques. Il en alla de même dans la plupart des contrées d'Europe.
Partout, au Moyen-Age, des feux de joie continuèrent d'être allumés le 24 juin, mais ils le furent désormais en l'honneur de Saint-Jean. Les populations y contribuaient en apportant de la paille et du bois. Dans les villages, les bûchers étaient dressés devant l'église ; dans les villes, on en rencontrait aux principaux carrefours. On les allumait à la nuit close, et leur lueur illuminait les rues et les maisons.
Les habitants dansaient et chantaient tout autour de ces feux en se tenant par les mains, comme le faisaient leurs ancêtres païens. Beaucoup sautaient à travers les flammes dans la croyance qu'ils échapperaient ainsi aux maladies. « Qui saute à travers le feu de la Saint-Jean, assurait un vieux dicton, n'a pas à craindre la fièvre ». En Flandre orientale, les femmes pensaient obtenir un accouchement facile et sans douleur.
L'usage barbare d'offrir en holocauste des coqs et des chats fut abandonné d'assez bonne heure. Au lieu de brûler vifs ces pauvres animaux, on se contenta de décapiter un coq rouge dont la tête était conservée comme préservatif contre la foudre. A Bruxelles, ce sacrifice avait lieu sur le Petit-Sablon, et on le trouve encore mentionné sous le régime français.
A Gand, une ordonnance du magistrat interdit les feux de la Saint-Jean à partir de l’année 1570. Dans d'autres grandes villes, la coutume se maintint beaucoup plus longtemps. A Bruxelles et à Bruges, notamment, elle ne disparut qu'au 19e siècle.
En certains endroits, des couronnes de fleurs étaient tressées et suspendues dans les rues. La jeunesse venait danser et chanter autour de ces couronnes, auxquelles on finissait par mettre le feu. Leur embrasement était salué par les cris de joie des assistants. Les jeunes gens sautaient par-dessus les flammes en criant : « Vive Saint-Jean ! Vive l'été ». Au commencement du siècle dernier, on voyait encore ces couronnes dans les villes comme Bruxelles, Louvain et Tirlemont.
D'une manière générale, la tradition des feux de la Saint-Jean se maintint plus longtemps dans les petites localités et surtout dans les campagnes.
Il y a seulement une bonne centaine d'années, dans les bourgs et les villages du Brabant, des Flandres et du Limbourg, les jeunes gens allaient de porte en porte collecter du bois en chantant. La coutume était également en honneur au pays wallon. Dans les environs de Liège, on remarquait encore, au début du siècle dernier, des feux de paille gigantesques. Il fallait plus de huit jours pour qu'ils fussent entièrement consumés.
En Wallonie, quand le feu de la Saint-Jean était éteint, les assistants se disputaient les débris du bûcher. Ces charbons passaient pour préserver de la foudre et de l'incendie. Aussi, les plaçait-on religieusement dans les maisons, sous le toit, à côté du buis bénit. On les regardait aussi comme doués d'une propriété curative. En les pilant et en les délayant dans l'eau, on obtenait, croyait-on, un excellent remède pour les phtisiques.
En quelques endroits, c’étaient les bûchers eux-mêmes qui paraissaient offrir une sauvegarde contre l'incendie et d'autres fléaux. Par exemple, à Goé, dans les Fagnes. Là, les habitants donnaient quantité de paille, de bois et jusqu'à des arbres entiers pour dresser un immense fouwâ (grand feu). Ils étaient persuadés qu'une foule de malheurs auraient éprouvé la localité si la coutume n'avait pas été observée.
En Wallonie
Adrien de Prémorel dans son livre des Éditions Labor de 1941, intitulé « Folklore de la plaine et des bois » évoque lui aussi la Fête de la Saint-Jean comme suit :
Juin possède, avec le solstice d'été, le jour le plus long de l'année. On le situe aux environs du 21. Depuis des temps très anciens, le peuple a choisi le 24, fête de Saint-Jean, pour célébrer la gloire du soleil. Cela nous vaut, surtout en Wallonie, de vieilles coutumes, des croyances dont le peuple affecte aujourd’hui de rire, mais dont il subit encore, au fond, la séculaire magie. « Noël et Jean se partagent l'année », dit un vieux proverbe. C'est pourquoi les Ardennais, à la Saint-Jean, emmaillotaient de paille une roue de chariot qu'ils faisaient, enflammée, dévaler du haut des collines : symbole du soleil dont la course, à son apogée, va décroître. Le jour de Noël, cette même roue devait, avec un cérémonial semblable, remonter la pente.
La plus populaire de ces coutumes était les feux de la Saint-Jean. Partout, dans nos Ardennes, on les allumait au sommet des monts. Un balai, planté au centre du foyer, symbolisait la crémation des sorcières ; une couronne d'herbes et de fleurs qu'on y jetait signifiait l'offrande au soleil des moissons futures. Autour du feu bondissant, s'organisaient des rondes de jeunes filles. Parfois, on jetait en pâture aux flammes des chats nouveau-nés, symbolisant, comme le fameux balai, les « makralles ». Entre deux reprises du feu, les assistants sautaient par-dessus les tisons pour être préservés de la colique. Les cendres, soigneusement recueillies, protégeaient de la foudre. Particulièrement touchante était, en quelques contrées, la coutume de mettre, pour la nuit, des sièges vides autour du brasier : l'âme des pauvres morts venait s'y réchauffer. A Mons, on allumait ces feux en pleine ville et les pauvres gens, de porte en porte, réclamaient du combustible, chantant une curieuse complainte. Un peu partout aujourd'hui, les « grands feux » du premier dimanche de Carême ont remplacé, en printanières flambées, les feux de la Saint-Jean. Mais, tandis que le grand feu du printemps s'allume le soir, c'est à midi, en plein soleil, que flambe le bûcher de la Saint-Jean.
Dans le Borinage
Les feux de la Saint-Pierre étant fort liés à ceux de la Saint-Jean et le Borinage ayant gardé cette tradition, nous donnons le récit qu'en fait Jean Pierard dans son livre « Mon Pays, le Borinage », paru aux Éditions d'Hainaut Tourisme en 1978.
Les feux s'intégraient au cycle qui commençait avec les fêtes de l'Allion en mars, au retour du soleil de printemps, se prolongeant en mai par « l'Escouvion », fêtes des brandons, pour se terminera la fête de Saint-Pierre, le 29 juin.
C'est ainsi qu'à Wasmes s'élèvent dans divers quartiers de la commune, à la fin juin, ces hautes flammes jaillies de tas de bois, que les gamins vont ramasser de-ci de-là ou recueillir en faisant la collecte de porte en porte. Flammes joyeuses qui éclairent les maisons et ce qui reste des vieux terrils pour réchauffer, suivant la légende, les pieds de Saint-Pierre tombé dans le puits et sauvé par Saint-Jean. Ces festivités populaires sont l'occasion d'autres réjouissances. Le samedi qui précède les feux, on dresse, un peu partout, des mâts garnis de fleurs et de guirlandes de diverses couleurs entourant le mât de cocagne (la perche au savon) qui fera autant la joie des participants que celle des spectateurs. Des cadeaux offerts par les habitants à des groupes d'enfants circulant dans le village avec des paniers récompenseront les vainqueurs d'autres joutes conjointement organisées, telles que courses au sac, à la brouette, etc. ... Ces manifestations populaires se sont un peu amenuisées avec le temps, mais est restée bien vivace et toujours très appréciée, la distribution de « pagnons de Wasmes » (tartes au sucre énormes et particulièrement succulentes).
La résurrection des feux Saint-Pierre, due au conservateur du musée folklorique de la commune, constitue une initiative des plus heureuses qui jette le pont entre le passé et le présent par le truchement du folklore, cette histoire vivante qui se lit mieux que tout ce qu'on pourrait écrire sur la vie de nos villages borains.
En France
« Les lampions des fêtes » de Marie Meuron.
En dépit des progrès de l'industrie et disons même de ses aberrations (puisqu'on peut se nourrir scientifiquement à partir des pétroles), c'est de la terre ensoleillée et arrosée que nous vient la vie naturelle.
C'est le paysan qui, partout, quelles que soient ses coutumes, habitudes et façons personnelles, oeuvre au ras du sol, ordonne les richesses, vit, a-t-on dit avec raison, « dans la familiarité des dieux et des constellations ». Le Saint Soleil, la lune et l'eau, les vents amis ou assassins, le temps qu'il lit au ciel dans les présages, l'heure faste de la semaille, des labours, des récoltes et des soins à leur prodiguer, l'art de tailler et de greffer, il doit tout savoir, tout comprendre pour s'ajuster sur les anomalies, codifier ses observations dans des lois ou le recevoir de la tradition pour les perpétuer aisément en proverbes.
Les fêtes paysannes suivent le rythme des récoltes. Pour l'homme de la terre accordé sur le ciel, Les deux Jean mènent l'an : Saint-Jean d'hiver, l'Evangéliste, celui du solstice et de la Noël où les jours commencent à croître, le mène tout doux vers les fleurs. Saint-Jean d'été, le moissonneur, où les jours vont en décroissant sitôt touché le solstice de flamme, mène l'an tout doux vers les fruits. C'est le symbole même de Salomé dansant qui tranche et fait voler la tête de Baptiste, ainsi que l'écrit Mallarmé dans le cantique de Saint Jean :
Le soleil que sa halte......Surnaturelle exalte.....Aussitôt redescends......Incandescent
Et ma tête surgie......Solitaire vigie......Dans les vols triomphaux......De cette faux
La Saint-Jean allume partout des feux de joie. A Aix au sommet du mont sacré, Sainte Victoire, en même temps que le solstice, le haut bûcher, visible à des lieux à la ronde, commémore la fameuse victoire de Marius qui délivra la Provence des Cimbres, et les centaines de prisonniers que, sur l'injonction de Marthe la Salyenne, son inséparable prophétesse, le vainqueur fit jeter en sacrifice dans le gouffre : le garagaï. Ce feu est aussi un hommage au vieux culte païen rendu au Vent.
Partout, les jeunes gens sautent le feu de la Saint-Jean. C'est un gage sûr de prospérité. Parfois on y passe les herbes solaires, amassées en cette nuit faste, le millepertuis, en particulier, qui, macéré dans l'huile, guérira toutes plaies. Les charbons du feu recueillis sont aussi doués de pouvoirs magiques.