Eléments – n° 56 - Hiver 1985 

 

"Ah bon, vous êtes contre la religion ?" C’est ce que s’entend dire habituellement toute personne affirmant son refus du christianisme. Contre-sens révélateur du conditionnement des esprits réalisé par seize siècles de matraquage idéologique : il ne saurait y avoir, pour un Européen, d’autre religion que le christianisme. C’est ce que, déjà, remarquait Eckermann au sujet de Goethe : "Ses contradicteurs l’ont souvent accusé de ne pas avoir de foi. C’est simplement qu’il n’avait pas la leur parce qu’elle était trop petite pour lui. S’il voulait leur expliquer la sienne, ils en seraient étonnés mais surtout incapables de comprendre."

Aujourd’hui encore, les sectateurs de Jésus s’emploient à caricaturer ceux qui, récusant leurs croyances, entendent cependant être des hommes de foi et de religion. Comme les bûchers de l’Inquisition sont difficilement rallumables – et c’est bien malheureux, soupirent certains intégristes – il reste comme arme, contre les païens (1), la bonne vieille recette de la diffamation : les non-chrétiens sont, forcément, des athées – il faut mettre dans le même sac les saucissonneurs du vendredi saint et ceux qui font monter dans le ciel de juin la flamme du solstice, les derniers adhérents de l’Union rationaliste et ceux qui vont méditer sur le secret de l’être en écoutant les sources nichées au cœur des forêts. C’est pour apporter sa contribution à la lutte contre ce bourrage de crâne, contre cette escroquerie intellectuelle et spirituelle, que Sigrid Hunke a écrit La Vraie Religion de l’Europe.

 
 "On prétend, constate-t-elle, évaluer ce qu’est la religion ou décider qui a de la religion au moyen d’un concept fixé une fois pour toutes à l’aune du christianisme." Il faut donc agir contre "cette confiscation dictatoriale et unilatérale de l’idée de religion". Pour se dresser, aussi, contre une tradition d’obscurantisme dogmatique que l’on retrouve tout au long de l’histoire de l’Eglise, Maître Eckhart, parlant de l’intolérance béotienne de ses persécuteurs, disait déjà : "Ils tiennent pour erroné ce qu’ils ne comprennent pas et pour hérésie ce qu’ils jugent erroné."

 
 

Combien de commentateurs, plus ou moins honnêtes – et plutôt moins que plus – ont refusé de comprendre que le "Dieu est mort" de Nietzsche n’était jamais que le "diagnostic, historiquement daté, de la disqualification que subissent les représentations religieuses spécifiquement chrétiennes" ? Nietzsche, en lançant une formule qui semble provocatrice – et qui l’est au meilleur sens du mot, pour provoquer un réveil de la véritable tradition religieuse européenne – "veut redéfinir des liens religieux nouveaux qui ne seront pas d’inspiration chrétienne". Mais, comme toujours, pour avoir une pleine compréhension de la crise spirituelle que nous vivons, il faut avoir une démarche généalogique, commencer par le commencement.

 

Le commencement, c’est le surgissement dans les sociétés européennes d’un mental étranger, né en Orient, hanté par un Dieu terrible et jaloux, le Dieu biblique pour qui "les desseins du cœur de l’homme sont mauvais dès l’enfance" (Genèse, 8, 21). Dans cette sombre vision du monde, le mythe du péché originel est à la base des rapports de l’homme à Dieu. Le dualisme qui en découle est sans appel, puisque fondé ontologiquement : le Créateur et la créature ne sont pas de même essence. D’où un système religieux où, pour être pleinement exaltée, la grandeur de Dieu suppose l’abaissement et la sujétion extrêmes de l’homme, un homme mauvais car appartenant à une nature, à un monde d’ici-bas eux-mêmes marqués intrinsèquement par le mal. Les créatures ne sont rien, le Créateur est tout. Vision pessimiste forgée chez des peuples en butte à un environnement naturel hostile, perçu comme une "vallée de larmes" à laquelle on ne peut échapper qu’en accédant à un autre monde.

 

Ces éléments de croyance, présents dans le judaïsme (2), vont être incorporés dans le christianisme naissant par Paul qui, comme on le sait, a joué un rôle décisif dans l’élaboration des concepts doctrinaux de base de la nouvelle religion et dans leur expansion (3). Paul insiste sur la fonction rédemptrice du Christ et sur la seule issue, pour l’homme qui cherche à se libérer d’un monde pécheur : le salut éternel. Mais il est bien entendu, rappelle-t-il à ses fidèles, que "ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu" (Ephésiens, 2, 8). Car l’homme ne peut rien par lui-même, prisonnier qu’il est par un corps marqué, irrémédiablement, par le péché – ce corps que l’homme pieux traîne comme un boulet : "Malheureux homme que je suis, s’écrie Paul. Qui me délivrera de ce corps mort ?" (Romains, 7, 18-24). Seule la grâce divine peut permettre à l’homme de franchir l’insondable fossé qui le sépare du monde céleste. Augustin, évêque d’Hippone, pousse jusqu’au bout cette logique de la grâce, jusqu’à la prédestination : Dieu sauve, parmi les hommes, qui il veut bien et bien entendu les raisons de son choix sont insondables.

Les porte-parole de la vrai religion de l’Europe.

 

Ainsi se met en place, dans l’Eglise des premiers siècles, une idéologie qui recueille d’ailleurs et intègre les éléments incontestablement dualistes présents dans l’œuvre de certains penseurs grecs. Parménide, Pythagore, Platon surtout, ont en quelque sorte préparé le terrain au christianisme, ce qui permettra à certains Pères de l’Eglise d’affirmer que les philosophes, bien qu’ayant vécu plusieurs siècles avant le Christ, étaient en somme chrétiens sans le savoir…

Erigée en institution, l’Eglise est confrontée à la nécessité d’adapter son message aux peuples auxquels elle s’adresse. Or, en Europe, ces peuples sont rétifs à un dualisme nettement tranché. C’est pourquoi l’Eglise va développer un dualisme qu’on peut qualifier de mitigé. C’est le cas tout au moins de l’Eglise séculière, l’Eglise engagée dans le siècle – à charge pour le monarchisme, un monarchisme d’ailleurs né en Orient, d’incarner, en principe, un strict refus des contacts avec un monde pervers. Quant à ceux, tels les Cathares, qui voudraient défendre un dualisme strict (et qui d’ailleurs affirment être, de ce fait, les seuls vrais et bons chrétiens), ils seront dénoncés comme hérétiques (4). Mais l’hérésie, c’est aussi et surtout tous ceux qui, loin de reprocher à l’Eglise, comme le font les Cathares, de n’être pas assez dualiste, l’accuse au contraire de l’être beaucoup trop. C’est à ces "hérétiques" que s’intéresse Sigrid Hunke et l’un de ses principaux mérites est d’établir la filiation spirituelle qui unit au fil des siècles les porte-parole de "la vraie religion de l’Europe", en une longue chaîne dont les maillons sont ces écrivains, philosophes, poètes, mystiques et savants qui ont osé se dresser contre le dualisme chrétien.

Pélage nie tranquillement le péché originel.

 

Le premier de tous est Pélage. Au début du Vème siècle, ce Breton (ce qui signifie à l’époque, qu’il est né dans les îles Britanniques) ose défier les ténors de l’idéologie chrétienne, Jérôme et Augustin. Lui, un laïc – et c’est une première raison qu’ont les ecclésiastiques de lui dénier le droit à la parole – nie tranquillement le péché originel (ce qui revient à saper la base même de l’édifice chrétien). L’homme naît, affirme-t-il, exempt de péché. Bien plus, il peut vivre sans péché – s’il en a la volonté suffisante. Pélage heurte ainsi la doctrine de la prédestination, qu’il juge scandaleuse puisqu’elle nie le libre arbitre de l’homme et lui refuse toute responsabilité. Le fatalisme qu’entraîne le caractère imprévisible, incompréhensible d’une grâce divine distribuée sans que l’on connaisse les critères de sa distribution (mais y en a-t-il ?) est, pour Pélage, incompatible avec la quête de la perfection, perfection qui, "produit d’un tel perpétuel effort, d’une constante aspiration, d’un constant dépassement et d’une constante métamorphose, est un bien que l’on possède à la seule condition de toujours le reconquérir". L’homme n’est pour Augustin qu’impuissance et déchéance. Pour Pélage il est, tout au contraire, le lieu sacré de la rencontre entre le divin et le monde. "Je crois, assure-t-il, qu’il est des hommes en qui Dieu habite." Et, à une jeune fille qui lui demandait des conseils spirituels : "Tu peux définir toi-même ton destin." Les âmes fortes se construisent elles-mêmes : "Tes richesses spirituelles, personne ne peut te les donner hormis toi-même." Cela va de pair avec une allègre célébration du monde : Dieu n’exige pas, ne peut exiger que "nous refusions de voir les joies de la vie, les merveilles de la nature et la beauté de tous les êtres".

On est évidemment loin des lamentations sur la "vallée de larmes"… C’est ce qui fait dire à Henri-Irénée Marrou, auteur d’une Histoire de L’Eglise de l’Antiquité tardive (Seuil, 1985) (5), que la doctrine de Pélage a un "aspect humain, trop humain", que sa théologie est "d’un optimisme abusif" ; en effet – et voilà qui est impardonnable – "telle qu’il la conçoit, la sainteté ne se rapproche-t-elle pas singulièrement de l’idéal stoïcien ?"

On comprend qu’Augustin ait entrepris une lutte sans merci contre Pélage : "A travers Augustin et Pélage, note Sigrid Hunke, s’opposent deux optiques religieuses, deux conceptions du monde et de soi totalement différentes." Non sans difficulté, car le pélagianisme recueillait de nombreux suffrages en Occident – il correspondait en effet à une disposition d’esprit traditionnelle chez les Européens. L’Africain Augustin obtînt que la pensée de Pélage fût mise hors la loi. Elle allait cependant courir, implicitement ou explicitement, au sein de toute l’histoire de la pensée européenne. Les Italiens Caelestius et Julian, les Francs Cassian et Vincent, le Hollandais Erasme, l’Anglais Shaftesbury, le Suisse Pestalozzi, les Allemands Kant, Fichte et Goethe, le Français Teilhard de Chardin, les Russes Berdiaev et Théophane reprendront à leur compte la bonne nouvelle apportée par Pélage : l’âme de l’homme ne peut être prisonnière du Dieu jaloux, totalitaire, de la Bible. "L’homme libre et conscient de lui-même, écrit Théophane (un évêque de l’Eglise orthodoxe !), est maître de son propre intérieur".

"Tout est en Dieu et Dieu est en tout"

 
 

Jean Scot Erigène, au IXe siècle, apporte une nouvelle dimension à la "vraie religion de l’Europe". il résume en effet le principe de base de la spiritualité européenne (ce que l’on pourrait appeler l’immanence du divin) en une formule qui ressurgira périodiquement : "Tout est en Dieu et Dieu est en tout" Erigène – cet écossais de culture grecque qui est incontestablement le plus grand penseur de l’époque carolingienne – assimile Dieu et la vie. "Dans le plus petit arbre, remarque Sigrid Hunke, le moindre bouquet, l’astre solaire ou le chant de l’oiseau, les vagues et les coquillages, les herbes et la semence qui germe, Dieu se manifeste à lui." Dieu, c’est le perpétuel mouvement de la vie, l’éternel devenir – ce qu’exprime, du néolithique à l’art médiéval, le vieux symbole européen de la roue solaire. Dieu, pour Erigène, "se meut et s’incarne en toutes choses, devient continuellement tout en tout." L’éternel recommencement est la loi suprême : "En fait, il n’est pas de créature physique en possession de la force vitale qui ne retourne à l’origine de cette force car la fin ultime de la vie est son commencement, et son issue n’est autre que son origine dont elle est partie et à laquelle elle aspire toujours à revenir." La grandeur divine, loin d’avoir besoin, pour s’affirmer, de réduire l’humain à un état de sujétion, trouve au contraire tout son sens en s’incarnant en l’homme. Pour être, Dieu a besoin des hommes – ces hommes qui sont porteurs de forces divines.

Protégé du roi des Francs Charles le Chauve, qui l’admire, aime à s’entretenir avec lui et le nomme précepteur des enfants de la cour, Jean Scot peut considérer avec flegme les dénonciations qui le visent : deux synodes l’accusent d’être hérétique et son traité De Praedestinatione est condamné comme "une élucubration de Satan".

Sa fécondité intellectuelle sera de grande portée. Jacques Paul – qui fait au passage un étonnant contre-sens en qualifiant son œuvre de platonicienne – remarque que l’enseignement de Jean Scot "intervient dans toutes les élaborations médiévales qui ont quelques relents de panthéisme" (6). On comprend que le pape Honorius III ait solennellement rappelé, en 1225, la nocivité d’une telle pensée pour l’orthodoxie chrétienne. Car l’enseignement d’Erigène a, quasi clandestinement, franchi les siècles. Au XIIe et au XIIIe siècles, de grands esprits s’y réfèrent : Bernard de Chartres, Alain de Lille, Hildebert de Lavardin (évêque du Mans), Gilbert de la Porrée (évêque de Poitiers), Hildegarde de Bingen (abbesse de Ruppertsberg), Honorius de Regensburg, Othon de Freising. Ce dernier, petit-fils de l’empereur Henri IV et oncle de Frédéric Barberousse, est un des plus actifs intellectuels gibelins : rapprochement logique entre les idées de Jean Scot et le gibelinisme, puisque celui-ci refuse la coupure entre spirituel et temporel, sacré et souveraineté politique, qui veut imposer la papauté.

Amaury de Bène, célèbre maître de la faculté de Théologie de Paris, prêche la sanctification du monde et l’union intime du divin et de la nature humaine. Après sa mort, son cadavre est condamné à être exhumé et quatorze de ses disciples – dont treize ecclésiastiques – sont condamnés à être brûlés vifs. Mais le grain est semé. En France, en Allemagne, en Flandre, en Suisse, en Lombardie naissent des communautés que l’on désignera souvent sous le nom de "frères et sœurs du libre esprit". "Les partisans d’Amaury, note Sigrid Hunke, représentent la première grande communauté de pensée non chrétienne à l’intérieur du monde chrétien. Jusqu’alors, de telles tendances ne s’étaient développées qu’au sein de petits groupes fermés dans les Flandres et la Lombardie. Cette fois, à Paris, des ecclésiastiques et des laïcs vivent dans le secret de leur âme une croyance religieuse tout à fait hors de l’Eglise et de la religion chrétienne."

Ce phénomène de sécession spirituelle revêt une importance historique de première grandeur. Mais l’historien démocrate-chrétien Jean Chelini lui consacre, dans son Histoire religieuse de l’Occident médiéval (A. Colin, 1968) – censée être un ouvrage de référence pour les étudiants historiens débutants – en tout et pour tout huit lignes… Vieille tactique du mur du silence, sur un sujet qui gêne. Au XIIIe siècle, le pape Honorius III avait ordonné que soient brûlés tous les exemplaires du livre de Jean Scot intitulé De divisione naturae – un livre, dit la bulle pontificale, "grouillant de vermine et infestée d’hérésie". Mais il est difficile de tuer les idées. Grégoire XIII doit mettre l’ouvrage de Jean Scot à l’index librorum prohibitorum (liste des livres interdits par la Congrégation du saint Office à tout bon chrétien, leur lecture, leur simple détention et a fortiori leur diffusion étant passibles de graves sanctions). Le livre figurera à l’Index jusqu’à la dernière publication officielle de celui-ci, en 1948…

Est-il utile de dire qu’une telle condamnation est la meilleure des incitations, pour des esprits libres, à découvrir une œuvre ? L’expérience spirituelle d’Erigène – l’unité profonde de Dieu, du monde et de l’homme – sera partagée par Maître Eckhart, Nicolas de Cues, Paracelse, Marsile Ficin, Pic de la Mirandole, Léonard de Vinci, Campanella, Henry More, Teilhard de Chardin, pour ne citer que quelques noms. Et Giordano Bruno, ce dominicain brûlé vif à Rome en 1600 et qualifié par le pape de "prince des hérétiques" - grandiose et redoutable compliment –, Giordano Bruno, qui affirme : "Le royaume de Dieu est au fond de nous-même !"

L’homme, porteur de divin, parce que forme suprême de toutes les forces actives du cosmos : c’est ce message que reprennent à leur compte Herder, au XVIIIe siècle, et Goethe, qui résume ainsi le fondement moniste de la "vraie religion de l’Europe" : nous ne connaissons l’âme qu’à travers le corps et Dieu à travers la nature. C’est le message de Faust : il faut accomplir la divinité intérieurement, en tant que réalisation de soi, et extérieurement comme action créatrice par laquelle l’homme "revêt la forme vivante de la divinité." Quant à Hegel, un Dieu impliquant une vision dualiste du monde est pour lui inacceptable, Dieu ne pouvant être que principe , non de dissociation : "Son être est union, tandis que le Dieu des Juifs signifie séparation, exclut toute libre union et ne laisse pas d’autre issue que la domination et l’esclavage."

Le dualisme veut, par définition, la séparation, l’opposition de la matière et de l’esprit. Vue du monde desséchante, mutilante, par laquelle l’homme, dit Teilhard de Chardin, a "failli périr de faim". Ce jésuite, scientifique de réputation internationale, "le plus grand prophète religieux de notre temps" selon Sigrid Hunke, n’hésite pas à braver de front la vieille malédiction chrétienne de la matière lorsqu’il écrit : "Trempe-toi dans la Matière, fils de la Terre, baigne-toi dans ses nappes ardentes, car elle est la source et la jeunesse de ta vie !" Il ajoute – et c’est la clé de sa pensée : "Matière et Esprit : non point deux choses, - mais deux états d’une même Etoffe cosmique…"

De Maître Ekhart à Teilhard de Chardin

 
 
 
 
 

L’immédiateté de Dieu en l’homme ("Dieu et moi, nous sommes un", dit Maître Ekhart ; et aussi : "Si je n’étais pas, Dieu ne serait pas non plus"), Dieu compris comme unité des contraires (Hölderlin : "C’est eux, eux qui nous ont accordé le feu divin, eux les Dieux, qui nous font aussi le don de la souffrance sacrée") : ce sont les lignes de force que l’on retrouve chez ceux qui, des auteurs médiévaux à Saint-Exupéry et à Teilhard, jalonnent l’histoire de cette pensée et de cette foi que Sigrid Hunke appelle, à juste titre, la religion de l’Europe. Une religion qui, vieille de quelques millénaires, peut être un élément décisif dans l’éveil d’une conscience européenne enfin libérée des vieux tabous judéo-chrétiens.

Dans la crise du monde contemporain, le facteur religieux joue un rôle majeur. "Depuis deux millénaires, écrivait Teilhard, la terre n’a peut-être jamais eu un besoin aussi urgent d’une nouvelle foi, elle n’a peut-être jamais été aussi libre des anciennes formes et prête à la recevoir." Nous vivons le temps du nihilisme, étape sans doute rendue inévitable par un dualisme chrétien qui a "déclaré la guerre à la vie, à la nature, à la volonté de vivre" (Nietzsche). Mais il faut maintenant, dit Sigrid Hunke, "sauver le sens du sacré dans une société à qui la religion chrétienne n’a plus rien à dire, et qui pense pouvoir se passer purement et simplement de la dimension religieuse". Or "c’est dans le domaine religieux qu’auront lieu les mutations les plus profondes, c’est là que se fera la décision, le tournant".

Malraux, naguère, ne disait pas autre chose… Les Européens ont un héritage religieux qui les appelle tout à la fois à retrouver leurs racines et à partir à la conquête des étoiles. Il nous appartient, à nous païens, d’apporter à nos peuples cette bonne nouvelle. Nous en qui vibre la voix du grand messager : "Et si quelque chose vous pousse à partir sur les mers, vous les émigrants, c’est aussi qu’il y a en vous une foi" (Nietzsche, Le Gai Savoir).

1 - On sait qu’un débat porte sur la validité et l’opportunité de ce mot : voir Alain de Benoist, Comment  peut-on être païen ?, Albin Michel, 1981, p. 17. Depuis, de nouvelles pièces ont été versée au dossier, en particulier en ce qui concerne l’étymologie et la signification première du mot, dans le cadre du Bas-Empire romain. Ce n’est pas le lieu ici de traiter de ce débat et nous utilisons par conséquent ce mot par commodité, comme référence commune à nombre d’Européen qui aujourd’hui, tout en récusant le christianisme, entendent s’inscrire dans une tradition religieuse spécifique (d’ailleurs antérieure de beaucoup au christianisme).

 
 

2 - Le peuple d’Israël a intégré, au fur et à mesure qu’il se forgeait une religion nationale très originale, des apports religieux divers, parmi lesquels figure le mythe du péché originel. Ce fondement d’une vision dualiste du monde est attribué par Sigrid Hunke aux Hourrites. Ce point mériterait une discussion quelque peu spécialisée qu’on ne peut aborder ici.

3 - Comme le rappelle Louis Rougier (La genèse des dogmes chrétiens, Albin Michel, 1972), les Evangiles ignorent le péché originel.

4 - Le heurt entre le dualisme mitigé de l’Eglise et le dualisme clairement affirmé de certains mouvements hérétiques n’est pas abordé par Sigrid Hunke, et c’est dommage, car il nous semble être un des aspects majeurs des vicissitudes de la pensée dualiste en Europe.

5 - Texte publié une première fois en 1963 dans le tome I de la Nouvelle histoire de l’Eglise  (Seuil). Le livre de Marrou est, en fait, une défense et illustration de la ligne catholique officielle en matière de doctrine.

6 - Jacques Paul, Histoire intellectuelle de l’Occident médiéval, Armand Colin, 1973.

7 - Sigrid Hunke, La Vraie Religion de l’Europe, Labyrinthe.

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