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Votre jeunesse est la qualité de l’homme à laquelle on a le plus envie de s’adresser. C’est en elle seule que j’ai confiance au milieu de l’effondrement général. C’est à elle seule que je veux parler aujourd’hui. Les hommes de ma génération sont hors-jeu ; s’ils ont l’air de dire le contraire, ne les croyez pas ; méfiez-vous : c’est qu’ils prétendent vous mener. Vous n’êtes pas un troupeau; ils veulent que vous le deveniez.

Ils essayent de vous donner une conscience de masse pour détruire cette conscience individuelle qui fait votre propre beauté. Ils veulent supprimer votre humanité pour vous asservir à leur spiritualité. C’est le travail habituel des générations hors-jeu. Vous êtes, vous, de l’humain tout frais et tout neuf. Restez-le. Ne vous laissez pas transformer comme de la matière première ; refusez d’être un outil entre les mains de quelqu’un, soyez seulement l’outil de votre propre vie. En face de vous, les hommes de mon âge n’ont qu’un seul droit : celui de dresser le catalogue de leurs fautes et de vous en instruire, pour que vous en soyez prévenus. La pureté de votre jeunesse fera le compte.

A l’âge où vous êtes, maintenant, libres (et l’amour vous a mis la main d l’épaule), on nous a pris, nous, et on nous a chargés du harnais de la guerre. Et nous n’avons pas osé affirmer notre force. Oui, à l’instant même, où vous êtes maintenant, aussi forts que vous, aussi radieux que vous, nous avons été tout de suite prisonniers de la mort, et pour nous tout a été fini. Comme si pour vous maintenant tout finissait et que les deux tiers d’entre vous soient jetés par terre, crevés et pourrissants. Car nous avions écoutés les poètes, les écrivains, les hommes en place de la génération hors-jeu, et ils nous avaient jetés volontairement dans le massacre.

Ceux d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, prétendent parler au nom du bonheur des générations futures. Vous êtes, vous autres, la génération dont on nous parlait au futur et dont notre martyre devait assurer le bonheur. L’avons-nous fait ? Non. Nous avons au contraire permis des temps terribles. St vous y consentez comme nous y avons consenti, et pour n’importe quel motif, votre mort n’assurera le bonheur de personne. Ce sera simplement votre mort. Totalement inutile.

Voilà ce que j’avais à vous dire, à vous qui, maintenant, avez le cœur rempli de forêts vivantes, de montagnes et d’océans. Le héros n’est pas celui qui se précipite dans une belle mort : c’est celui qui se compose une belle vie. La mort est toujours égoïste. Elle ne construit jamais. Les héros morts n’ont jamais servi ; certains vivants se sont servis de la mort des héros et c’est ce qu’ils ont appelé l’utilité des héros. Mais après des siècles de cet héroïsme nous attendons toujours la splendeur et la paix.

Seule, la vie est juste. La vie la plus solitaire est intimement mêlée à la vie du monde, et la beauté se développe soudain à travers tous, plus vite que le vent.

Ne suivez personne ! Marchez seuls ! Que votre clarté vous suffise !

Jean Giono.

L’Oeuvre, 26 octobre 1938

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1938-10-26_L’Oeuvre_Un message de Jean Giono à la Jeunesse

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