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Lorsqu’il s’agit de mêler l’Histoire avec les campagnes militaires, lorsqu’il est question de traiter de la France et de son désir pratiquement ininterrompu d’être incarnée par un seul homme et lorsqu’il faut traiter de l’unification de la France dans un prémisse de celle que nous connaissons aujourd’hui, peut-être est-il bon de se tourner non pas vers un roman, mais sept.

Sept romans traitant d’une période particulièrement sensible pour le royaume de France regroupés en un recueil. C’est le défi que se sont lancés Maurice Druon et ses équipes pour élaborer un ensemble de livres commençant par les derniers actes du règne de Philippe IV, dit le Bel, et qui se déroule tel un parchemin jusqu’au commencement de la guerre de Cent Ans[1].

Le royaume de France est alors une réalité en pleine expansion, rattachant des provinces par la guerre, la négociation ou le mariage. Le royaume de France et de Navarre, sous le règne de Philippe le Bel, ne semble avoir pour ennemi que le Trésor royal qui reste désespérément exsangue. Et cette France-là s’est constituée un réseau d’alliances et d’obligés dans tout le monde chrétien, faisant même d’Avignon, siège papal en lieu et place de Rome, ville éternelle[2].

Ce qui nous est narré, à travers une galerie de personnages historiques, c’est une succession d’échecs, de trahisons et de grandes manœuvres redistribuant drastiquement les cartes du pouvoir en Europe. Des profils, dont la véracité historique est certainement impactée par le temps long, qui apparaissent comme précurseurs de figures anachroniques comme le Cardinal de Richelieu ou Dick Cheney. Ce qui importe plus que celui qui porte la couronne, c’est celui dont la volonté influe sur le pouvoir, surtout à une époque où la cour royale concentre tous les pouvoirs, sans grande opposition.

Cette période charnière pour le royaume de France la voit à son apogée, imposant sa vision, non seulement dans tous les chefs-lieux de France et de Navarre, mais aussi sur le monde chrétien dans son ensemble (et, semble-t-il, sur la papauté elle-même). Nous suivrons sa destinée jusqu’à son enlisement dans des querelles intestines et une guerre fratricide avec l’Angleterre.

Si la fameuse malédiction de Jacques de Molay[3], grand-maître de l’ordre du Temple, fait partie de ses légendes que l’on prend facilement pour vérité historique, il n’en est pas moins que la chute de la maison des Capétiens « directs » et l’affaissement du royaume de France, tel deux entités aux destins liés, est un récit passionnant et mérite d’y consacrer du temps.

Les intrigants sont légion, les favoris conspués et chacun joue un jeu dont l’échec signifie la mort et la disgrâce. Car la seule carrière politique n’est pas la mise, mais ce sont bien les titres, les terres, les honneurs, la proximité avec la cour royale et la vie qui sont en ballotage. Chaque humeur royale peut changer le destin de toute une lignée ; un choix de mariage pour l’héritier impacte tout le royaume (d’une vingtaine de millions d’âmes) et ses alliés et chaque décision crée des obligés et des ennemis.

Cependant, la lignée royale apprendra à ses dépends qu’elle n’est pas immunisée contre les turpitudes du destin. Malgré les efforts de Philippe le Bel, qui laisse derrière lui un État en pleine centralisation, trois fils adultes, assurant la pérennité de sa lignée et une fille alors reine d’Angleterre, il ne pourra empêcher le crépuscule de cette lignée. Nombreux sont ceux qui aspirent au chaos pour consolider leur propre pouvoir. Diviser pour mieux régner, en somme, ce qui fait naturellement de la lignée des Capétiens un obstacle.

Plus que les rois eux-mêmes, ce sont bien les figures qui gravitent autour qui restent les plus passionnantes à suivre. Certains savent se montrer charmants, d’autres sont intraitables et cherchent à le faire savoir.

Maurice Druon concentre alors sa narration sur deux péripéties qu’il développe en parallèle de l’Histoire. Il se focalise sur quelques individus afin de mieux appréhender les enjeux d’une France en déclin, affaiblie pour des raisons triviales.

Nous suivons tout d’abord le combat acharné du comte d’Artois pour récupérer son fief (le comté d’Artois) dont la gestion à été confiée à la propre tante du comte, Mahaut de Bourgogne. Leur haine viscérale et réciproque impactera tout le royaume de France. Enfin, nous découvrirons aussi les pérégrinations d’un jeune banquier lombard Guccio, fraîchement débarqué à Paris, qui sera amené à rencontrer les plus grandes figures de son époque.

L’auteur se permet de créer des liens entre certains personnages et des actes qui sont historiquement réfutables mais qui renforcent la puissance narrative des romans. Ainsi, la mort en détention de Marguerite de Bourgogne, mariée à l’héritier, Louis, laisse place à son assassinat en détention par Louis lui-même, devenu entre-temps roi, pour permettre son remariage. De même, certains personnages ne sont affublés de leur surnom que bien après leur existence (Isabelle de France ne semble jamais avoir été nommée « La Louve de France » de son vivant), mais les huit siècles qui nous séparent permettent certains écarts avec la réalité historique.

Si le récit n’est pas avare en complots politiques, il regorge tout autant de conflits militaires, d’ost[4] royal ou de préparation aux croisades. Les victoires ou les débandades des armées françaises passionneront le féru d’histoire militaire, tout comme la confrontation idéologique entre une France féodale et le premier acte de centralisation passionnera les juristes en herbe.

Il y a beaucoup à apprendre, énormément à remettre en question et des personnages hauts en couleur qui maintiendront l’intérêt vif du lecteur, permettant le déroulement sans accroc des 1500 premières pages se lisant réellement comme une fresque historique.

Le passage au septième et dernier roman, Quand un roi perd la France[5], perturbera peut-être la lecture fluide qui prévalait jusque-là et semble même de trop. Le lecteur y trouvera, dans un style très différent, les premières grandes péripéties de la guerre de Cent Ans. Il apparaît que ces 200 dernières pages apportent un décalage avec le ton des six premiers romans qui est difficilement surmontable.

Tout au long de ce dernier roman, Druon nous transporte dans une France qui se cherche, dont la chute semble inexorable et la confrontation meurtrière avec l’Angleterre inévitable.

Les figures historiques, les complots et les organisations administratives, vues du XXe siècle, sont d’une modernité effrayante. Certains positionnements politiques aussi : « Voyez-vous dame ou donzelle commander les armées […] je vous le dis, la France est trop noble royaume pour tomber en quenouille et être remis à femelle. Les lis ne filent pas ! »[6]. Relativement moderne, et certainement effrayant.

CORNEILLE BEN KEMOUN

 

Bibliographie :

DRUON Maurice, Les rois maudits. Tomes 1 à 7, Paris, Librairie générale française, 2022 (1res éd. 1955-1977), 1756 p.

 

Notes :

[1] Anachronisme regroupant une succession de conflits entre les royaumes de France et d’Angleterre entre 1337 à 1453.

[2] L’un des nombreux surnoms de la ville de Rome renvoyant à sa place singulière dans l’imaginaire européen et chrétien.

[3] Le 19 mars 1314, les dernières paroles de Jacques de Molay lors de son exécution sur le bûcher auraient été, selon la légende, une malédiction à l’encontre du roi Philippe IV, du pape Clément et du Garde des Sceaux Guillaume de Nogaret. La mort du roi et du pape suivent en effet de quelques mois la mort du Templier.

[4] L’ost désigne l’armée en campagne à l’époque féodale.

[5] DRUON Maurice, Les rois maudits. Tomes 1 à 7, Paris, Librairie générale française, 2022 (1res éd. 1955-1977), 1756 p.

[6] Ibid., p. 731

Source : rhm

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