bri1

 

On a été surpris de voir tous nos grands stratèges s’interroger sur l’attitude de la Chine vis-à-vis de la Russie. Visiblement, ils pensaient sincèrement que la Chine allait faire les gros yeux à cette dernière car, pour eux, ses yeux demeuraient rivés sur la ligne bleue de son commerce extérieur et qu’en aucun cas elle ne pouvait prendre le risque de froisser l’Occident, son principal client.

Argument curieux, car, même si la Chine est devenue par la grâce des pays occidentaux « post-industriels » leur principal fournisseur, elle a un coup d’avance sur eux.

 

La chute du dollar, un danger pour les pays exportateurs

Depuis 2008, la Banque de Chine s’est rendue compte que, dans la réalité, la masse monétaire chinoise était dominée par la Réserve fédérale, compte-tenu des masses de dollars qu’elle engrangeait en conséquence d’un déséquilibre énorme de son commerce extérieur qui rendait la Chine beaucoup plus exportatrice qu’importatrice.

Voici ce qu’écrit l’économiste Hong BingSong dans « La guerre des monnaies » (Edts Le Retour aux Sources) : « Étant donné que la Chine adopte le système de règlement obligataire, les États-Unis forcent la Banque centrale chinoise à émettre de la monnaie de base supplémentaire grâce à l’augmentation du déficit commercial. Et par l’élargissement des banques commerciales, cette monnaie de base produira plusieurs fois l’effet de l’émission monétaire supplémentaire, qui provoquera une inondation de liquidités, augmentera la bulle boursière et immobilière, et aggravera beaucoup l’environnement de la finance chinoise »

Cette vulnérabilité vis à vis de la FED a conduit la Banque de Chine a envisager de se libérer de cette tutelle pesante. Hong BingSong poursuit : « La passivité de sa stratégie financière est extrêmement défavorable à la Chine. Tant que le dollar restera la monnaie de réserve mondiale, la Chine ne pourra pas dépasser une telle situation. Pour créer un environnement financier libre, équitable et harmonieux dans le monde entier, il faut, en dernière analyse, promouvoir la remonétisation de l’or ». 

Cette dernière phrase est fondamentale et marque un tournant décisif dont nous commençons à mesurer les effets. Nous sommes en 2008 et la crise financière des « Subprimes » commence à faire des ravages dans le monde occidental. Décidées à maintenir coûte que coûte ce système bancaire hors de contrôle, les banques centrales, et en particulier la FED et la BCE, décident de le sauver en faisant du « quantitative easing ». Les notions de « banques systémique » et du « Too big to fail » servent à justifier cette politique, qui se traduit par une création monétaire « ex-nihilo » sans précédent. Pour ne pas plomber davantage les bilans des banques privées, les taux d’intérêts chutent, notamment à la FED, pénalisant le cours du dollar qui s’effondre, passant de 0,9 dollar pour 1 euro en 2001 à 1.50 dollar pour 1 euro en 2008, soit une perte de 60 %.

Consciente de cette fragilité, la Chine, qui avait analysé la chute du Yen avec attention, avait constaté la similitude de sa situation avec celle du Japon. En 1987, les « Accords de Bâle » avaient imposé aux banques qui opéraient à l’international une « règle prudentielle » qui limitait leurs en-cours de prêt à seulement huit fois leurs fonds propres. Voici ce qui est écrit dans « la guerre des monnaies » : « Le système bancaire japonais, qui dépend essentiellement du cours des actions et du marché immobilier, a finalement exposé son flanc aux épées acérées de la guerre financière américaine. Le 12 janvier 1990, Wall Street a utilisé une nouvelle « arme nucléaire » financière, les Nikkei put warrants, un instrument de spéculation à terme sur la baisse de l’indice boursier japonais, pour lancer une attaque stratégique à distance contre la bourse de Tokyo. Le système financier japonais, déjà atteint d’une maladie cardiaque et coronarienne, ne put résister à une telle excitation et fut frappé d’apoplexie, laquelle allait provoquer une hémiplégie de plus de 17 ans de l’économie japonaise. Aujourd’hui, c’est presque la même prescription qui a été proposée à la Chine par les thérapeutes financiers américains, un peu trop empressés au chevet du « malade imaginaire » chinois. La différence est que la constitution physique de l’économie chinoise est encore bien inférieure à celle du Japon de cette période ». 

De tout ceci, on peut conclure que les pays qui faisaient beaucoup de commerce international étaient fragilisés économiquement par le dollar dont le cours pouvait varier à la guise de ceux qui le contrôlait.

Cette situation n’était pas nouvelle et avait été dénoncée par le Général de Gaulle dès 1962. A l’époque, le dollar était encore convertible en or, et de Gaulle avait pris la FED au mot en rapatriant entre 1962 et 1966 environ 900 tonnes d’or échangées contre des dollars en billets. Cela n’avait pas échappé aux Chinois qui s’en rappelaient.

Pardonnez-moi ce retour en arrière, mais je crois qu’il est nécessaire pour comprendre les raisons de la situation actuelle.

 

Un plan comportant plusieurs étapes

Arrivée à la conclusion qu’un pays exportateur avait tout intérêt à utiliser une monnaie de réserve stable, il convenait que celle-ci ne soit plus une monnaie fiduciaire mais qu’elle possède une valeur intrinsèque qui garantirait sa stabilité. En outre cette monnaie, internationale par nature, devrait être utilisée par d’autres pays, et que ceux-ci soient les plus nombreux possibles.

Une monnaie dont la valeur soit adossée à l’or est apparue incontournable. Il fallait, dans ce but, se procurer un stock d’or suffisant pour satisfaire ces exigences. Notons qu’elle était très similaire au « Bankor », proposé par Keynes à Bretton Woods, à savoir une monnaie convertible en or dont aucun pays n’aurait, à lui seul, le contrôle.

Les négociateurs américains avaient tout fait pour écarter cette proposition, leur intention étant, dès le départ, d’imposer le dollar dont la FED avait le contrôle.

Ensuite, déterminer avec quels pays la Chine pourrait commercer en utilisant cette monnaie.

Il existait depuis 2001 un groupe de quatre pays appelé BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) dont la caractéristique commune était d’être « émergents », bien que, pour la Russie, il s’agisse d’un pays plutôt  en cours de restauration. Certes, ils n’étaient au départ que quatre, mais leur poids économique était déjà important, et surtout leur taux de croissance à deux chiffres était un gage d’avenir.

La première réunion à quatre s’est tenue en 2009 et ils furent rejoints par l’Afrique du Sud en 2011, devenant les « BRICS »

Leur part de PIB mondial, de 27 % en 2011, dépasse aujourd’hui les 40 %.

 

Une menace existentielle pour le dollar

La puissance de l’élite mondialiste qui voudrait continuer à diriger le Monde repose en grande partie sur le dollar et s’est décuplée en 1971 lorsque la FED a imposé la fin de la convertibilité en or du dollar. La double nature de celui-ci (monnaie domestique et monnaie de réserve internationale) a donné à cette élite un pouvoir exorbitant dont elle a usé et abusé, qui tenait au fait qu’elle pouvait créer des dollars à partir de rien et sans limite. Une monnaie simplement domestique se serait rapidement effondrée, mais le côté « monnaie de réserve » permettait de faire quitter rapidement du sol américain cette masse de dollars que les autres pays devaient se procurer afin de pouvoir commercer. La FED créait ces dollars en échange de bons du Trésor Américain, qu’elle pouvait ensuite revendre aux autres pays.

Cela revient à faire payer la dette américaine par les autres, ce qui avait fait dire à de Gaulle que c’était « très commode pour eux ».

Mais ce pouvoir dominant doit, pour être conservé, s’accompagner d’une situation de monopole pour le dollar en tant que monnaie internationale. La venue d’une autre monnaie internationale ne peut se faire qu’à son détriment et, pour peu que cette dernière possède une valeur « intrinsèque » (notamment liée à l’or) ce qui lui conférerait une très grande stabilité, on ne voit pas comment le dollar pourrait se maintenir en tant que monnaie internationale.

Les conséquences sur le dollar « monnaie domestique »seraient alors désastreuses car l’énormité de la dette américaine (31 000 milliards de dollars fin 2022) pèserait alors de tout son poids non seulement sur l’économie américaine, mais aussi sur celle de l’Occident.

 

Un affrontement inévitable

Cet antagonisme potentiel étant connu des deux parties, comment les choses vont-elles évoluer ?

Incontestablement, le conflit ukrainien augmente les tensions monétaires, même si les médias « mainstream » occidentaux n’abordent que très rarement ce sujet, comme s’il devait rester à l’insu des peuples, jugés unilatéralement incapables de comprendre le système monétaire international.

De toute évidence, les sanctions économiques appliquées dès le premier jour de l’offensive avaient pour objet de frapper l’économie russe en réduisant ses exportations et ses importations. Cela devait aussi lui couper la route du dollar.

Mais cela a surtout réveillé le « géant endormi » et le monde a pu constater que le projet des BRICS, devenus BRICS+, était beaucoup plus abouti qu’il n’y paraissait. Au-delà des BRICS « fondateurs », de nombreux autres pays envisagent de rejoindre ce qui est aujourd’hui devenue une véritable force politique dans laquelle quatre continents sur cinq sont représentés.

Une autre organisation internationale, l’OCS (Organisation de Coopération de Shangaï), née en 1991 pour régler les problèmes de frontières consécutifs à la disparition de l’URSS, fortement implantée en Asie jusqu’alors, est en passe de se rapprocher d’eux.

La riposte russe aux sanctions, et notamment de son éviction du programme de paiement international en dollars SWIFT, fut l’exigence d’utiliser le rouble pour les achats de ses produits énergétiques. Les BRICS acceptèrent immédiatement le principe des paiements internes dans une de leurs monnaies. D’après leur ambassadeur itinérant, c’est un pas décisif vers la création de la nouvelle monnaie internationale. Récemment, d’autres pays comme l’Iran viennent de s’y rallier. A croire que tous n’attendaient que ce signal pour effectuer ce choix.

 

L’inventaire des forces en présence

Ce conflit Russo-Ukrainien est un révélateur de l’évolution de la géopolitique mondiale depuis plusieurs décennies. En 1971, lorsque le dollar débarrassé du carcan de l’or a pris son essor, le monde occidental représentait le quart de la population mondiale et son PIB environ 90 % du PIB mondial.

Aujourd’hui, il ne représente plus que 12 % de cette population totale et moins de 40 % du PIB mondial.

Cela revient à dire que le reste du monde représente presque 90 % de l’humanité et produit 60 % des richesses totales annuelles. Ce clivage Occident/reste du monde se manifeste par un rejet  de la domination américaine et va peser lourd sur le changement monétaire en cours.

Au delà de l’importance numérique des populations concernées, le fait que la monnaie internationale en cours de gestation soit adossée à l’or en tant que métal (et non à un substitut artificiel de type DTS) risque de condamner à moyen terme le dollar.

 

Quels sont les différents schémas ?

L’une des possibilités est l’évolution vers un monde multipolaire, dont les pôles seraient les continents. Il est alors concevable que chaque continent possède sa propre monnaie de réserve, qui serait utilisée pour les échanges entre les pays de continent, chacun gardant sa propre monnaie domestique. C’est un peu ce qui est en train de se mette en place en Asie.  Encore faut-il que chaque continent ait cette capacité intrinsèque, ou puisse l’acquérir.

Une autre possibilité est de voir coexister d’une façon pérenne plusieurs monnaies de réserve, dont chacune aurait une zone d’emploi délimitée par les relations économiques dans cette zone.

Enfin, et c’est le scénario le pire, le piège de Thucydide conduirait à une guerre entre le dollar et cette monnaie en cours d’élaboration considérée comme rivale. Cette « guerre des monnaies » pourrait alors présenter un risque important pour la sécurité, voire la survie de la planète. Tel serait le cas si l’élite mondialiste qui domine actuellement le monde refusait d’une manière définitive de partager la moindre parcelle d’un pouvoir pourtant obtenu en contradiction des règles qu’elle a elle-même édifié.

Jean Goychman  

Source : Breizh-info.com - Le 3 mars 2023

FaLang translation system by Faboba
 e
 
 
3 fonctions