Le collège de l'Autorité des marchés reproche à Morgan Stanley d'avoir manipulé le cours de la dette française le 16 juin 2015. Les traders de la banque auraient gonflé artificiellement le prix des titres pour déboucler une position qui s'avérait perdante. Une sanction record est réclamée.

Une manipulation de cours sur des dettes souveraines. L'accusation est grave. Le collège de l'Autorité des Marchés (AMF) met en cause le bureau de Morgan Stanley à Londres, qui aurait manipulé le prix de la dette de l'Etat français en 2015 afin de limiter ses pertes. L'AMF a requis une amende de 25 millions d'euros contre la banque lors d'une audience devant la Commission des sanctions, vendredi 8 novembre. Du jamais vu après une enquête.

Les griefs se concentrent sur une journée bien particulière : celle du 16 juin 2015. Ce jour-là, entre 9h29 et 9h44, le « desk » de Morgan Stanley a acquis massivement des contrats à terme sur la dette française et la dette allemande, via des transactions sur Eurex, le marché des dérivés outre-Rhin. Puis, dans un deuxième temps, à 9h44, les traders ont vendu instantanément 815 millions d'euros d'emprunts français (OAT) et 340 millions d'euros d'emprunts belges sur diverses plateformes de négociation.

Craintes de « Grexit »

Selon l'AMF, ces transactions étaient motivées par la « nécessité de sortir rapidement d'une position déficitaire ». Morgan Stanley était exposé au risque français. Son desk avait pris des positions qui lui permettaient d'enregistrer des gains si le cours de la dette française montait et que l'écart de taux (« spread ») entre la France et l'Allemagne se réduisait. Problème : le marché était dans une configuration inverse. La résurgence des craintes d'une sortie de la Grèce de la zone euro, après une réunion cruciale du pays avec ses créanciers, a entraîné une ruée des investisseurs vers la dette allemande et un écartement du « spread ».

Pour le collège de l'Autorité des marchés, les traders londoniens de la banque ont donc cherché à faire monter le cours des contrats à terme sur la dette française à des « niveaux anormaux et artificiels » dans le but de faire monter le cours des emprunts d'Etat eux-mêmes, afin de les céder dans la foulée à un prix plus élevé.

Perte proche de 20 millions de dollars

L'accusation note que le desk se rapprochait de sa limite de risque de 20 millions de dollars, ce qui a joué dans sa décision d'intervenir « agressivement ». « Le desk a déversé massivement son risque sur les autres intervenants de marché et les a pris de court », souligne-t-elle.

L'AMF juge les faits très graves car Morgan Stanley fait partie des quinze  banques partenaires de l'Etat, les « SVT » (spécialistes en valeurs du Trésor). Ce qui veut dire qu'elle s'engage à avoir un comportement « éthique » sur les marchés et à apporter de la liquidité sur les emprunts d'Etat.

Morgan Stanley « rejette catégoriquement les allégations de l'AMF. La banque continuera à défendre avec vigueur son intégrité et les plus hauts standards appliqués à ses pratiques professionnelles. » Sa défense s'étonne du montant de la sanction requise au vu des économies de pertes enregistrées par son desk et insiste sur le fait que les positions n'avaient pas été prises pour compte propre mais dans le cadre de ses fonctions de SVT.

Agence France Trésor

Stéphane Bénouville, l'avocat de Morgan Stanley, souligne que l'Agence France Trésor - principale intéressée dans le dossier - n'a même pas été auditionnée. Pour lui, l'AFT a reçu les explications nécessaires de Morgan Stanley sur les transactions du 16 juin 2015 et a considéré que « le sujet était clos ». Interrogé à ce sujet par « Les Echos », Anthony Requin, le directeur général de l'agence de la dette répond : « Nous ne commentons pas une procédure en cours. L'AFT n'est pas en charge de la supervision des marchés financiers. C'est le rôle de l'AMF et de la commission des sanctions ».

Sur le fond, Morgan Stanley explique que l'acquisition des contrats à terme sur la dette française le 16 juin est en fait un simple « débouclage » d'une couverture mise en place la veille suite à une transaction avec la banque Mitsubishi. « Le contexte de marché ce 16 juin était très tendu, il fallait agir vite », poursuit l'avocat. « Imaginer qu'on puisse faire bouger le marché de la dette française dont l'encours avoisine 1.500 milliards d'euros en achetant 1,8 % du volume moyen quotidien des contrats à terme est une aberration ! »

« La vocation de l'activité de tenue de marché est de permettre d'entrer et sortir du risque à tout moment. C'est ce que les investisseurs attendent. C'est la condition pour maintenir la confiance dans le marché de la dette française », a averti un représentant de Morgan Stanley.

La commission des sanctions rendra sa décision d'ici quelques semaines. Si elle décidait de punir Morgan Stanley, les conséquences seraient lourdes pour l'établissement. Celui-ci a été reconduit en 2018 par l'Etat français comme partenaire. Un sésame qu'il pourrait perdre.

Isabelle Couet et Laurence Boisseau

Les Echos du 8 nov. 2019 

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