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« Si un homme n’est pas prêt à affronter un risque quelconque pour ses opinions, ou bien ses opinions ne valent rien, ou bien c’est lui qui ne vaut rien. » Ezra Pound, auteur de cette lapidaire formule, s’éteignait à Venise il y a 50 ans. L’homme, engagé à réenchanter le monde, nous a laissé une œuvre foisonnante et à ce titre il est considéré, dans le monde anglo-saxon, l’un des artistes majeurs du XXe siècle. Nous avons interrogé Adriano Scianca, responsable culturel du mouvement italien Casapound, qui, comme son nom l’indique revendique son héritage et milite pour populariser les idées du poète maudit.

Breizh-info.com : Dans toute l’Italie, Casapound a commémoré les 50 ans de la disparition d’Ezra Pound. En quoi l’hérédité du poète est-elle encore actuelle ? 

Adriano Scianca : Ezra Pound sut prévoir le mécanisme devenu fou de la finance détachée du travail, l’avènement des médias au service du capital, et même la plaie de la précarité. Il nous a laissé un enseignement éthique rigoureux, mais en même temps hostile à tout puritanisme. Il fut un libertaire, un anticonformiste, un excentrique, mais aussi un ascète, un homme debout. Il nous a appris à valoriser chaque culture, chaque langue, chaque religion, tout en dénonçant très tôt le mal du melting pot. Bien qu’il ne fût pas européen – ou peut-être justement pour cette raison – il a su saisir mieux que beaucoup d’autres l’originalité de notre culture profonde, il comprit bien plus Dante, les poètes provençaux ou les mystères de la Grèce antique que tant d’érudits européens. 

 

Breizh-info.com : De la part d’une association ouvertement nationaliste et critique quant à colonisation culturelle états-unienne en Italie et plus largement en Europe, ne trouvez-vous pas contradictoire d’emprunter votre nom à un Américain ? 

Adriano Scianca : Casapound ne se définit pas nationaliste au sens classique du terme et n’exclut pas les exemples de noblesse spirituelle, éthique ou politique provenant d’autres nations. À l’entrée de notre édifice, des dizaines de noms tutélaires sont peints sur les murs, noms dont seule une minorité sont italiens. Pound était un Américain qui se sentait européen et surtout italien. Il a donné à l’Italie et à l’Europe bien plus que nombre d’Italiens et d’Européens, et en a payé le prix. Quant à la colonisation culturelle états-unienne, Pound, qui n’a jamais cessé de se définir un patriote américain, s’est toujours opposé aux caractéristiques homologuantes du modèle américain. Il rêvait d’une autre Amérique, plus « classique », frugale, active, libre, une Amérique qui n’opprime ni n’éradique personne. Il a condamné ce qu’il appelait « le système qui crée les guerres en série », c’est-à-dire le complexe militaro-industriel qui a conduit les États-Unis à engager des conflits à travers le monde. Il n’y a donc aucune contradiction à combattre le modèle américain tel qu’il s’est affirmé au fil des années tout en admirant Ezra Pound. 

 

Breizh-info.com : Ezra Pound a élaboré une forte condamnation du système libéral et de l’usure. En quoi celle-ci diffère-t-elle de la pensée anti-capitaliste de Karl Marx ? 

Adriano Scianca : Marx fonde toute son analyse sur la propriété et le travail, consacrant en fait peu de place à la monnaie. Pound, en revanche, met l’argent au centre de sa conception. Marx se base sur une anthropologie matérialiste et universaliste, dans laquelle les différences culturelles, les manifestations artistiques et religieuses, etc, sont une simple superstructure comparée aux rapports de production, qui restent l’essentiel, ce qui détermine tous les autres aspects de la vie des hommes. Pound, au contraire, adhère à une anthropologie beaucoup plus riche et articulée, qui saisit mieux les spécificités de l’homme et des peuples. Marx était également un déterministe historique, alors que pour Pound, l’histoire est toujours ouverte. Marx était certainement plus systématique et rigoureux que Pound, il a élaboré un système philosophique complet, clair et cohérent, ce qui n’est pas le cas du poète américain. Mais le système de Marx s’est souvent révélé autoréférentiel, non réfutable au sens poppérien du terme, une construction idéologique qui se soutient elle-même mais qui perd de vue le concret, l’histoire, l’homme. Si les faits contredisent le système, Marx donne tort aux faits. Pound, par contre, avec sa grande curiosité, avec son attention à la vie concrète de l’homme, a produit une pensée plus labyrinthique, mais aussi plus actuelle, plus plastique, plus capable de s’adapter à l’histoire. 

Propos recueillis par Audrey D’Aguanno

 

Source :  Breizh-info.com - 5 novembre 2022

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