FIGAROVOX/TRIBUNE - Invité sur France Culture, Alain Badiou a proposé de «ressusciter l’hypothèse communiste». Nicolas Lecaussin dénonce l’aveuglement idéologique du milieu intellectuel français quant aux crimes commis au nom du communisme.

Nicolas Lecaussin est Directeur de l’IREF (Institut de Recherches Economiques et Fiscales) et a récemment publié Les donneurs de leçons (Ed. du Rocher, 2019).


Quel cauchemar! Je n’aurais jamais cru, il y a trente ans, lors de la chute du communisme, et après avoir choisi de vivre en France, qu’en 2020, il existerait un parti communiste qui proposerait son programme aux Français sans la moindre gêne et des intellectuels qui feraient ouvertement l’éloge de l’idéologie marxiste-léniniste. Le totalitarisme communiste et la montagne de cadavres qu’il a laissé derrière lui bénéficient toujours dans ce pays d’une forme de sympathie qui le rend presque intouchable. Alain Badiou, le philosophe, l’a très bien compris. Lors d’une émission récente («La Grande Table», le 20 janvier) sur France Culture, il clame haut et fort que notre salut ne pourrait venir que d’un choix très fort, en «ressuscitant l’hypothèse communiste». Badiou critique le capitalisme, s’en prend à Macron et à sa politique «libérale» et nous ressert sans l’ombre d’un scrupule la salade de l’idée communiste dévoyée par ses «formes étatiques et despotiques».

 

Il répand ses idées révolutionnaires au travers de ses livres, de son séminaire à l’École normale supérieure.

 

Badiou est un récidiviste. Il a, derrière lui, une longue histoire d’intellectuel engagé. Dans les années 1970, il crée sa propre organisation, l’UFCML (Union des communistes de France marxiste-léniniste), organisation maoïste qui prêche la révolution et les actions violentes afin de prendre le pouvoir. Il admire Pol Pot et ses crimes et n’hésite pas à publier dans Le Monde, en 1979, lors de la défaite du tyran sanguinaire, un article à sa gloire intitulé «Kampuchéa vaincra!». À partir des années 1980, son militantisme politique devient de plus en plus «intellectuel». Il répand ses idées révolutionnaires au travers de ses livres, de son séminaire à l’École normale supérieure et de ses activités au sein de l’Université Paris 8 devenue une vraie forteresse marxiste. Il se veut discret mais reste branché à l’actualité politique. Son essai De quoi Sarkozy est-il le nom? paru en 2007, le ramène sur le devant de la scène et ses lubies révolutionnaires semblent même justifiées à certains face à un président qui instaure un «régime pétainiste soft». Badiou n’hésite pas à critiquer le système démocratique, Sarkozy a bien été élu par des «rats». Il sait parfaitement que la révolution communiste ne peut triompher démocratiquement, que nulle part les partis communistes ne sont arrivés au pouvoir grâce aux élections libres mais portés par la violence et les coups d’État.

Son appel à «l’hypothèse communiste» sur France Culture - pourquoi faut-il qu’une radio publique, financée avec l’argent des contribuables, diffuse ce genre d’idées? - s’inscrit dans la continuité de son militantisme révolutionnaire. Macron n’est pas différent de Sarkozy, c’est un capitaliste qui «privatise» l’économie. Or, le communisme - «Idée, au sens platonicien, indestructible» - est le seul adversaire efficace de la privatisation.

 

Son personnage modèle est Robespierre, une vraie force pour mettre ses idées en pratique.

 

Pour Badiou, il faut le ressusciter, dans de «nouveaux habits». Le communisme qu’on a connu n’était qu’un «brouillon», «dévalorisé et prostitué par le XXe siècle», il faut donc le rendre plus radical. Son personnage modèle est Robespierre, une vraie force pour mettre ses idées en pratique.

Alain Badiou n’est pas un simple négationniste procommuniste. Il incite à la violence, c’est un farouche ennemi de la démocratie. Il profite de l’aveuglement délibéré de la gauche française et d’une partie des médias pour tenter de revigorer les idées les plus atroces. Peut-on imaginer un intellectuel participer à une émission sur France Culture et soutenir que «l’hypothèse nazie» est la meilleure solution pour la France d’aujourd’hui?

Badiou s’appuie sur les passe-droits idéologiques toujours à la mode dans les milieux intellectuels français. Le marxisme et le communisme sont, à l’origine, des idées nobles mais mal appliquées. Or, l’Histoire a bien montré que, partout où les communistes ont pris le pouvoir, les crimes et les désastres économiques ont été leurs seuls faits d’armes.

 

Le communisme ne peut pas être « meilleur  » ou « différent  ».

 

De Moscou à La Havane et de Bucarest à Phnom Penh, «l’hypothèse communiste» chère à Badiou n’a enfanté que terreur et désolation. Il n’existe pas d’utopie communiste différente de la «praxis» chère à Marx. Le communisme ne peut pas être «meilleur» ou «différent». C’est le même partout, celui qui a fait plus d’une centaine de millions de victimes.

Dans ses Lettres à Pierre Boncenne, l’essayiste Simon Leys, qui a révélé parmi les premiers les crimes du maoïsme, écrit à propos d’Alain Badiou: «On ne peut même pas dire que c’est idiot (ce qui supposerait encore un certain contenu susceptible d’être commenté)… Il dit n’importe quoi, ses propos n’ont AUCUN contact avec la réalité». En effet, Badiou, ce Robespierre du XXIe siècle, profite pleinement de cet aveuglement idéologique français pour asséner les plus odieuses remarques et proposer les pires solutions. Tant que la mémoire sera ainsi tronquée et que le communisme bénéficiera de ce parti pris, des intellectuels comme Alain Badiou continueront sans vergogne et sans rencontrer trop d’obstacles à chanter les vertus du crime à grande échelle.

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