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Les gigantesques manifestations qui se déroulent en Israël depuis plusieurs semaines passent inaperçues dans la médiasphère. Les chaînes hexagonales de télévision et de radio ne les rapportent guère. Il faut reconnaître que les certitudes des « troufions de la désinformation » en prennent un sacré coup. Le paradigme démocratique pourrait bien éclater là-bas.

Benyamin Netanyahou est redevenu Premier ministre d’Israël le 29 décembre 2022. Son sixième gouvernement repose sur une alliance hétéroclite de 63 députés sur 120. Si le Likoud reste avec 32 élus le cœur de la coalition, les rapports de force ont d’abord évolué en faveur des habituels alliés de « Bibi ». Les partis ultra-orthodoxes séfarade du Shas (11 députés) et du Judaïsme unifié de la Torah (7 élus) exigent une application rapide des accords de gouvernement, à savoir une aide financière massive aux yéchivote (écoles religieuses). Outre l’unique député de Noam (« Plaisir ») qui vient de démissionner d’un gouvernement qu’il juge trop tiède, on compte maintenant des ministres issus d’une incontestable extrême droite avec le Parti sioniste religieux (7 députés) de Bezalel Smotrich et Force juive (6 élus) d’Itamar Ben Gvir.

Outre une intensification de la répression en Cisjordanie occupée avec la destruction systématique des maisons des résistants palestiniens et des menaces répétées contre un Iran proche du seuil nucléaire, la nouvelle coalition parlementaire s’accorde sur la limitation du rôle de la Cour suprême d’Israël. La réforme présentée à la Knesset cherche à soumettre cette institution qui sert à la fois de Conseil constitutionnel, de Conseil d’État et de Cour de cassation, à la souveraineté nationale incarnée par l’assemblée monocamérale israélienne. Le projet de loi porté par le ministre de la Justice Yariv Levin propose que la Knesset puisse déroger aux décisions de la Cour suprême par un vote à la majorité absolue (61 voix). La gauche et le centre-droit modéré n’acceptent pas cette révision audacieuse et le montrent en organisant des journées de protestation dont certaines virent en violentes émeutes.

Le numéro 2 du gouvernement, Aryé Dery, vice-Premier ministre, ministre de la Santé et de l’Intérieur, chef du Shas, a dû démissionner de ses fonctions le 22 janvier dernier. La Cour suprême venait d’invalider sa nomination. Elle rappelle qu’un homme politique condamné pour fraude fiscale ne peut exercer de fonction ministérielle. En échange de son retrait de la vie politique, Aryé Dery avait auparavant bénéficié d’un allégement de sa peine. Inculpé depuis 2019, Benyamin Netanyahou est actuellement en procès pour fraude, corruption et abus de confiance. Ses détracteurs voient dans cette réforme qui enflamme le pays un moyen de contourner un éventuel jugement qui lui retirerait sa fonction de Premier ministre.

Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich profitent des circonstances pour avancer dans leur programme. Avec la colonisation de la Palestine, ils suggèrent de simplifier la législation sur la détention, le port d’arme et l’engagement en public. Ils proposent même la peine de mort pour les terroristes. Itamar Ben Gvir a réclamé sans succès l’arrestation et l’incarcération des responsables des manifestations anti-gouvernementales, parmi lesquels maints anciens ministres...

Ces propositions électrisent une société israélienne déjà très politisée. Les courants religieux hassidiques s’élèvent contre la peine capitale. Mais le refus de ces réformes concerne toutes les catégories sociales et toutes les générations. De nombreux militaires, de carrière ou appelés, expriment publiquement leur désaccord et désobéissent ouvertement aux ordres. Idem dans les rangs de la police et des services de sécurité ainsi que chez les entrepreneurs de l’industrie informatique. L’« État profond » israélien réagit très fortement à ces prémices de révolution nationale-populaire conservatrice. Une lutte à mort commence entre les deux camps. De profondes fractures socio-politiques traversent Israël. Certains observateurs parlent de « pré-guerre civile » ou de « guerre civile froide ». D’autres réclament un coup d’État qui destituerait « Bibi », dissoudrait l’actuelle Knesset et interdirait les partis de la coalition.

Par-delà le désir légitime de mettre au pas une justice politisée inféodée aux canons du globalisme, la droite radicale au pouvoir à Tel-Aviv veut arrêter l’impérialisme judiciaire des tribunaux au détriment du gouvernement, du parlement et des citoyens. C’est en 1992 que la Cour suprême d’Israël s’est autorisée à intervenir dans l’action de l’exécutif. L’État hébreu est l’un des rares États au monde à ne pas disposer de constitution écrite, mais de quinze lois fondamentales prises entre 1958 et 2018. Ainsi de 1996 à 2001, au moment des législatives au scrutin proportionnel quasi-intégral, les Israéliens devaient élire au suffrage universel direct leur Premier ministre. Ehud Barak, Ariel Sharon et Benyamin Netanyahou ont bénéficié de cette fugace consécration populaire. L’expérience prime-ministérielle s’interrompt en raison des difficultés majeures à nouer des alliances pérennes à la chambre.

Les chantres de l’« État de droit » croient en l’équilibre harmonieux des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) au sein d’un même ensemble politique. Cette croyance est délétère parce qu’elle offre en pratique une primauté aux magistrats. Le soi-disant « État de droit » est le gouvernement des juges inamovibles et irresponsables. Doit-on rappeler que la Constitution française de la Ve République distingue nettement les pouvoirs exécutif et législatif de l’autorité judiciaire ? L’autorité se subordonne au pouvoir.

À l’exemple inabouti de la Pologne et de la Hongrie, deux démocraties illibérales encore en formation, l’actuel gouvernement israélien souhaite éviter toute ingérence judiciaire dans les affaires de l’État. Or, contrairement à Varsovie et à Budapest, Tel-Aviv n’a pas à subir les formidables pressions et les chantages insupportables de la Commission de Bruxelles. Ce combat nécessaire contre l’hypertrophie interventionniste des juges a enfin une conséquence sur un « droit international » qui tend à abaisser les puissances publiques au niveau des individus et des groupes économiques transnationaux à l’avantage de ces deux derniers.

Les divers conflits depuis la fin de la Guerre froide en ex-Yougoslavie, en Afrique et, aujourd’hui, en Ukraine incitent des juristes cosmopolites, le regard fixé sur les précédents du tribunal de Nuremberg et de la CPI (Cour pénale internationale), à envisager la création d’une juridiction internationale capable de juger les dirigeants politiques. Depuis quand un chef d’État souverain aurait-il des comptes à rendre à des étrangers ? Les appels à la formation d’un tribunal ad hoc se font au moment même où l’on apprend que les contrats de livraison des vaccins anti-covid insistent sur l’immunité des responsables pharmaceutiques et des dirigeants politiques acquéreurs.

Les dirigeants israéliens posent les fondations d’une démarchie charismatique illibérale. Il est donc intéressant qu’une volonté politique souhaite se prémunir d’une justice plus que jamais hors-sol, que ce soit au pied de la colline de Sion que sur les berges de la Seine, de la Vistule ou du Danube.

Salutations flibustières !

GF-T

« Vigie d’un monde en ébullition », n° 65, mise en ligne le 15 mars 2023 sur Radio Méridien Zéro.

Le lien audio est :   https://radiomz.org/vigie-dun-monde-en-ebullition-65-le-tournant-illiberal-disrael/

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