Face à l’obligation d’installer une véritable vérification de l’âge sur leurs plateformes, les patrons de la pornosphère jouent les martyrs de la liberté numérique. Parce que rien n'est plus éthique que vouloir faciliter l’accès des ados à YouPorn. Et les politiques ? Ravis. Le fichage numérique commence toujours par une « bonne intention ». Aylo trouve ça « symbolique et inutile »
C’est officiel : à partir de ce mercredi, les sites pornographiques du groupe Aylo — Pornhub, RedTube, YouPorn — ne diffuseront plus de contenus en France. Mais ne vous emballez pas : il ne s’agit pas d’un virage moral ni d’un soudain souci pour le bien-être mental des plus jeunes. Non. C’est une « protestation », une stratégie de communication bien huilée pour dénoncer, selon eux, une législation « symbolique, inutile et dangereuse ».
Symbolique, donc : protéger 2,3 millions de mineurs d’une exposition précoce à des contenus sexuels explicites ne serait qu’un « geste vide », selon ces défenseurs autoproclamés de la liberté d’expression.
Un combat pour la « liberté », porté par… un ex-rabbin devenu investisseur
Au cœur de cette opération de protestation numérique : Solomon Friedman, ancien rabbin et aujourd’hui membre d’Ethical Capital Partners — oui, vous avez bien lu. Ethical (Éthique en français). Capital. Partners. Le fonds d’investissement canadien qui détient Aylo explique vouloir « transformer ses plateformes en sites d’information » pour sensibiliser le public à leur noble combat contre… la protection de la jeunesse.
Ironie de l’époque : ces géants du X plaident pour un “internet libre”, tout en refusant la mise en place d’un système de double anonymat censé permettre aux adultes de continuer à accéder aux contenus tout en bloquant les mineurs. Mais visiblement, contrôler l’âge sans compromettre les données personnelles est un effort trop lourd… sauf quand il s’agit d’optimiser la pub ciblée.
2,3 millions de mineurs exposés, mais « ce n’est pas le vrai problème »
Selon l’Arcom (l’autorité française de régulation de la communication audiovisuelle), ce sont 2,3 millions de mineurs qui visitent régulièrement des sites pornographiques en France. Et si des pays comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni ont déjà imposé des restrictions similaires, la France est désormais « punie » par les plateformes elles-mêmes, qui préfèrent couper le robinet plutôt que d’obéir.
Car oui, Aylo a tranché : entre protéger les mineurs et garder ses utilisateurs sans friction, mieux vaut faire passer les ados entre les mailles du filet, tant que ça clique et que ça consomme.
« Une législation dangereuse » … pour qui exactement ?
Le groupe avait pourtant juré fidélité à la loi française en décembre dernier. Mais quelques mois plus tard, voilà qu’ils dénoncent cette même loi comme « inefficace » et « dangereuse ». Dangereuse pour les enfants ? Non. Pour leurs modèles économiques.
Et bien sûr, ils rappellent que « des contournements existent » : VPN, sites miroirs, redirections automatiques… Un peu comme si un vendeur de cigarettes vous expliquait que, même interdit aux mineurs, son produit reste « disponible pour ceux qui savent chercher ». En toute responsabilité, évidemment.
Une aubaine politique déguisée en mesure de protection
Derrière cette prétendue volonté de « protéger les mineurs », ne soyons pas naïfs : cette mesure est aussi une bénédiction pour les politiques, qui y voient une formidable porte d’entrée vers un contrôle plus large des usages numériques.
Aujourd’hui, c’est pour « lutter contre le porno chez les ados ». Demain ? On l’élargit au streaming, aux jeux en ligne, aux réseaux sociaux, à la presse d’opinion. Après tout, qui serait contre « plus de sécurité » ?
Et l’argument massue est déjà prêt : « Si vous n’avez rien à cacher, vous n’avez rien à craindre. »
Sauf que si, justement. Les utilisateurs craignent de devoir donner leur nom, leur identité, ou de voir leur navigation stockée, exploitée, exposée.
Imaginez : être fiché parce qu’on a consulté un site pour adultes. Dans une époque où la vie privée fond plus vite qu’une glace sur un toit brûlant, cette vérification d’âge, soi-disant « anonyme », suscite déjà un malaise grandissant.
Et les politiciens ? Ils applaudissent. Ce genre de dispositif coche toutes les cases : posture morale, effet d’annonce, récupération facile.
Mais une fois le bouton enclenché, qui décide de l’étendre ? Et jusqu’où ?
Source : Le Média en 4-4-2 - mise à jour le 03/06/25