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Les péripéties de la « cancel culture » abondent dans l'actualité. Les déclarations publiques et les manifestations sociales, souvent violentes et parfois grotesques, dominent la scène politique contemporaine dans le nouveau monde, en Europe et outre-mer. De la démolition des statues de Christophe Colomb et de Churchill à l'incrimination des œuvres de Shakespeare, Dante et Homère, des accusations contre la musique de Mozart aux inquisitions linguistiques et symboliques frappant les contes de fées, les poèmes et les œuvres d'art de toutes les époques. Un « délire suicidaire », comme l'a défini Ernesto Galli della Loggia, qui démolit l'image que l'Occident a de lui-même, délégitime sa mémoire et paralyse son action culturelle.

 

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Pour les politologues, la cancel culture est un phénomène typique de la modernité tardive, une théorie élaborée par une « culture dominante » qui change de contenu en fonction du contexte social: dans les sociétés pauvres, elle tend à coïncider avec une culture conservatrice en matière de morale et de religion, encline aux valeurs nationales; dans les sociétés riches, comme le monde postindustriel, elle tend à prendre la forme d'une culture progressiste, libérale et « fluide », favorable aux idéologies de genre, au « mariage entre personnes de même sexe » et au mouvement LGBTQ, enclin à un multiculturalisme inconditionnel.

En bref, elle peut être définie comme une stratégie politique adoptée par des militants exerçant une pression sociale pour parvenir à l'exclusion culturelle d'un ennemi public accusé de paroles ou d'actes pas nécessairement accomplis et donc, à ce titre, stigmatisé et criminalisé.

Aujourd'hui, cette méthode de censure et de discrimination a pris les connotations du politiquement correct, un néo-langage de propagande qui conditionne le débat intellectuel et sa liberté d'expression.

Il s'agit d'une police de la pensée qui évoque toutes les formes de contrôle totalitaire des idées du vingtième siècle, de l'autodafé des livres dans l'Allemagne nazie à la persécution sanglante des dissidents par les communistes, de Lénine à Mao.

Les origines de ce « procès du passé » se trouvent dans la tradition française de la « terreur jacobine » et de la fureur iconoclaste de 68.

Selon Marc Fumaroli, c'est la « folie de 1968 » qui a associé le nihilisme et l'anarchisme juvénile aux vagues successives du léninisme, du trotskisme et du maoïsme littéraires, en y ajoutant Freud revu et corrigé par Lacan, la déconstruction de Derrida et la théorie postmoderne de Lyotard.

 

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Le jacobinisme intellectuel parisien a ensuite été porté en triomphe sur les campus universitaires américains, dans un curieux aller-retour de ce côté-ci de l'Atlantique, avec les contradictions connexes de la démocratie américaine.

La culture « woke », après tout, le nouveau mot d'ordre du conformisme libéral, ne serait rien d'autre que l'appel aux armes des vieilles élites culturelles occidentales contre leur propre passé.

Sous le prétexte humanitaire de l'égalité et de la justice sociale, les nouvelles « oligarchies de la vertu » surveillent le politiquement correct de la pensée, incitant les masses à la violence contre les mots, les œuvres d'art, les monuments et les symboles de tous les temps. Le « rester éveillé » (Stay woke !) est la nouvelle haine déguisée par la démagogie de la lutte contre les discriminations raciales, coloniales et de genre, réelles ou supposées.

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Les apologistes de cette éternelle épreuve du passé, naturaliter occidentaux, méditerranéens, européens et américains, prêchent l'odium sui (la haine de sa propre culture) et la libération définitive des constructions de la civilisation bourgeoise, tout en oubliant ses avantages moraux et matériels.

Les enfants et petits-enfants des maîtres à penser de la contestation se revendiquent tiers-mondistes et anticapitalistes, accusant les pays riches d'exploiter les pays pauvres, tout en omettant les conquêtes morales et juridiques du vieux monde: liberté, droits de l'homme, égalité entre hommes et femmes, travail, démocratie.

En bref, la cancel culture est la nouvelle frontière du politiquement correct. Héritière de la guillotine révolutionnaire, elle constitue une nouvelle forme de censure, de plus en plus grave, qui ne provient pas d'une culture réactionnaire ou conservatrice, mais de la gauche radicale, libertaire et néo-communiste, et des mouvements de libération des « minorités opprimées ». Ce n'est certainement pas le vieux moralisme victorien, ni le maccarthysme de la guerre froide, mais un nouveau mouvement né dans les bons salons de la culture et qui s'est ensuite répandu dans les rues américaines, avec Me Too et Black Lives Matter.

Les effaceurs du passé ne se limitent plus à critiquer les opinions jugées non conformes aux totems et aux tabous de l'idéologie progressiste, mais visent directement l'élimination des œuvres et l'exclusion morale, sociale et civile de leurs auteurs. Les artistes, les journalistes, les écrivains, les professeurs, les scientifiques et les philosophes sont licenciés du jour au lendemain et condamnés à l'éloignement collectif.

Dans le même temps, le panthéon de notre culture est sacrifié à un esprit du temps, un bacchetton sanguinaire, hostile à toute impureté d'un passé dont on célèbre l'embrasement collectif. Et dans l'enfer des gommes s'achève toute la tradition classique, de la littérature à la musique en passant par les arts figuratifs.

 

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Si les Talibans et les islamistes de tout poil ont démoli les Bouddhas de Bamiyan et les trésors archéologiques de Palmyre, les nouveaux mauvais maîtres démolissent symboles et monuments au nom du Bien et du Progrès: Christophe Colomb n'est plus le grand navigateur qui a découvert le nouveau monde, mais le père de l'extermination des indigènes; Abraham Lincoln n'est plus le « grand émancipateur » de la guerre de sécession américaine, mais un suprématiste blanc, coupable d'avoir réservé certaines épithètes aux Afro-Américains, un enfant de son temps; même Forrest Gump, un héros toujours prêt à défendre les handicapés, les malades et les vétérans de guerre, a été accusé de connivence avec le Ku Klux Klan.

En bref, la nouvelle censure frise le ridicule, surtout à l'étranger. Mais même en Europe, nous ne devons pas baisser la garde, étant donné le zèle négationniste qui a récemment frappé les Foibe, les fosses où les partisans titistes jetaient les cadavres des ressortissants la minorité italienne d'Istrie et de Dalmatie qu'ils avaient massacrés, et, partant, la mémoire historique de tous les Italiens.

Le procès du passé, avec la décontextualisation des actions, des comportements et des langages d'une période historique spécifique, conduit à une damnatio memoriae qui délégitime la culture et génère le désarroi des nouvelles générations. « Détruire les statues ne transformera pas le passé, cela le rendra moins compréhensible », a déclaré Abnousse Shalmani, un écrivain iranien en exil en Occident.

Effacer le passé, c'est mettre en danger l'avenir et la relation profonde que chaque culture entretient avec le temps. Si l'univers des valeurs de toute civilisation s'enracine dans le temps, l'effacement de la culture est une menace pour la culture qui vit et se nourrit de la mémoire. La haine du passé des nouveaux Goebbels du politiquement correct est à l'origine de l'incommunicabilité de notre époque et condamne l'Occident à son extinction. Restez éveillés !

Giulio Battioni

Ex: https://www.lavocedelpatriota.it/cancel-culture-e-delegittimazione-della-memoria-il-delirio-suicida-delloccidente/

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