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Entre euroglobalisme et stratégies d’influence, la France se fractionne toujours plus en blocs politiques antagonistes. Cet article signé Strategika analyse la nouvelle répartition politique du corps électoral français (bloc élitaire, bloc social-souverainiste et bloc social-immigrationniste) ainsi que certaines des stratégies de séduction des diasporas africaines de France élaborées par la majorité présidentielle afin de conserver son hégémonie politique dans un contexte de transformation démographique. Dans cette nouvelle configuration politique, le vote d’origine étrangère est un enjeu essentiel pour les trois forces politiques majoritaires en France.

Les situations des élections présidentielles de 2017 et 2022 sont très différentes. En 2017, nous avons assisté à la confrontation du candidat Macron présenté à l’époque par l’ensemble du système médiatico-politique comme « nouveau », face à une Marine Le Pen qui portait quant à elle en quelque sorte le « fardeau » du passé : celui de l’héritage familial mais aussi celui du monde des partis politiques. Un monde politicien vermoulu face auquel Macron s’était positionné comme la fausse nouveauté et l’inédit qui résoudrait tous les problèmes accumulés depuis des décennies.

En 2022, nous avons à faire à un Macron différent – avec une crise économique massive à son actif et des politiques néolibérales qui ont affecté négativement le peuple français et la cohésion sociale du pays ainsi qu’une série d’échecs en politique intérieure et étrangère, parmi lesquelles :

– répression sanglante des gilets jaunes

– gestion autoritaire et inappropriée de la crise sanitaire (covidisme)

– recul de la démocratie et de la liberté d’expression dans le pays

– dégradation de la situation migratoire dans le pays (dont le meurtre du militant nationaliste corse Ivan Colonna par un djihadiste en prison fut un épisode récent hautement symbolique de l’état de guerre civile rampante de la France. Sans parler de l’hypothèse d’une possible exécution sur commande[1]).

– échec au Mali et perte d’influence sur le continent africain

– rupture des contrats de sous-marins avec l’Australie

– échec du processus de paix entre Moscou et Kiev

Le scandale McKinsey a également été très significatif. Macron a effectivement mis le pays sous contrôle extérieur : le Sénat français a constaté que la France perdait sa souveraineté dans la sphère législative.

Il faut rappeler que selon le rapport du sénat, « les cabinets de conseil (y compris McKinsey) sont intervenus sur la plupart des grandes réformes du quinquennat, renforçant ainsi leur place dans la décision publique »[2]. La commission d’enquête cite par exemple : la réforme des aides personnalisées au logement (APL), sur laquelle est intervenu le cabinet McKinsey, pour le volet informatique (une prestation à quatre millions d’euros), la réforme de l’aide juridictionnelle pour laquelle il a été fait appel au concours du cabinet EY, ou encore la simplification de l’accès aux droits des personnes handicapées, sur laquelle a travaillé Capgemini. Roland Berger a constitué un appui dans la réforme de la formation professionnelle. Sophie Taillé-Polian (Sénatrice du Val-de-Marne) a caractérisé McKinsey comme une véritable menace pour la souveraineté de l’État et sa capacité à agir [3].

 

Bloc élitaire, bloc social-souverainiste, bloc social-immigrationniste : comprendre la nouvelle sociologie politique de la France

Outre la montée de la popularité de Marine Le Pen (causée aussi par la présence d’un certain nombre d’éléments programmatiques économiques sociaux dans son projet : retraite, baisses d’impôts, attention portée au pouvoir d’achat etc.), on observe également un renforcement significatif de la place de Jean-Luc Mélenchon dans la politique française. Les deux candidats ont en commun de se concentrer davantage sur les stratégies visant à résoudre la crise économique actuelle en France et réfléchissent à des modèles pour l’introduction d’une régulation étatique partielle d’un certain nombre de secteurs de l’économie dans la période post-covid. Sortie (provisoire ?) du Covid qui est compliquée par la série de sanctions anti-russes qui obèrent la reprise économique. L’attitude critique des deux candidats envers l’Otan est également significative dans le contexte de l’inaction de Macron et de son inefficacité à résoudre le « conflit ukrainien ».

Le sociologue Emmanuel Todd a noté dans son dernier entretien que l’électorat de Mélenchon s’était constitué en un bloc politique distinct. Todd souligne aussi dans cet entretien la particularité de cette élection qui est la constitution de trois blocs politiques homogènes (en même temps que la fin des partis traditionnels au profit de candidats populistes) [4].

Au second tour, l’enjeu pour Marine Le Pen comme pour Emmanuel Macron, c’est bien sûr de parvenir à capter les voix des mélenchonistes, ce troisième bloc. Sur les questions économiques, les mélenchonistes sont bien sûr plus proches de Le Pen que de Macron. Cependant, sur les questions d’orientation politique, tant Macron que Mélenchon ont un logiciel commun et sont des défenseurs d’une forme de « marxisme culturel » à la française ; ici leurs agendas coïncident et convergent. Cela s’applique également à la séduction et à l’instrumentalisation des minorités et à leur vision multiculturaliste de l’avenir de la société française. C’est sur ce point que les divergences entre les électeurs mélenchonistes et le Rassemblement National se fait la plus saillante : le programme du RN sur la maîtrise de l’immigration, plus proche de celui de Zemmour, lui aliène une partie significative de l’électorat mélenchoniste. Et c’est en quelque sorte une chance pour Macron, chance qu’il entend bien entendu saisir.

Grâce à sa politique immigrationniste de « gauche », Mélenchon est devenu le candidat incontesté des Français d’origine africaine, selon les données de l’IFOP pour Jeune Afrique.[5] Durant sa campagne, Mélenchon a ainsi par exemple mis l’accent sur le rôle des musulmans en France. Il a également exprimé sa sympathie pour la « créolisation » de la société ; il a aussi demandé la légalisation de tous les travailleurs sans papiers et l’abandon de la surveillance des frontières en Méditerranée[6]. Ce qui signifie une politique de « portes ouvertes » pour tous les migrants illégaux en provenance d’Afrique noire.

Pour renforcer sa position, Macron a accordé une attention particulière dans sa campagne électorale au public de la « gauche » africaine. Malgré l’échec total de la stratégie de politique étrangère envers l’Afrique – par exemple le flop du forum France-Afrique qui n’a pas obtenu de réaction positive de la part des diasporas africaines ou des politiciens africains eux-mêmes – les diasporas africaines peuvent influer de manière décisive sur le résultat de l’élection présidentielle. Ces dernières évaluent négativement les propositions de Marine le Pen et ses déclarations anti-migratoires. L’IFOP estime en effet que seuls 6% des enquêtés de la diaspora africaine pourraient voter pour Le Pen, tandis que 36% pourraient voter pour Mélenchon. Dans sa quête de ces 36 %, M. Macron s’est efforcé de séduire ce public africain.

 

Afrique « en Marche » ? La stratégie de séduction des diasporas africaines par la Macronie

A cet égard, il convient de noter une enquête récente publiée sur le Club de Mediapart[7]. Une étrange agence de communication, basée au Sénégal ou dans les pays voisins, a mis en place un réseau de ressortissants africains francophones pour faire campagne au sein de la diaspora africaine de France. Des utilisateurs de réseaux sociaux de pays africains francophones se sont fait ainsi passer pour des Français noirs et se sont livrés à des « démentis » d’informations négatives sur le président Macron.

L’enquête publiée initialement sur le site Burkina 24 et reprise ensuite sur le blog de Mediapart rapporte qu’une « Agence de SMM et de développement en Afrique » recherchait des travailleurs pour des médias sociaux en français depuis cet automne et début décembre. Le Sénégal a été choisi comme l’un des centres d’activité et Hassana Diallo serait été l’un des coordinateurs actifs du programme[8]. En outre, il est révélé dans cette enquête qu’un professionnel malien (Ibidoun Oladélé Landry) serait également impliqué dans les activités de l’agence[9]. Dans un certain nombre de groupes Facebook et Instagram, le personnel de l’agence a posté des publications avec des commentaires positifs sur Macron et a simulé un soutien de la population africaine au Président de la République allant jusqu’à des manifestations photographiques de soutien au Sénégal et au Bénin[10].

Il est intéressant de noter que des réfutations du « McKinseygate » ont été publiées dans un certain nombre de ces groupes et que l’enquête du Sénat français y a même été qualifiée de fausse[11]. L’enquête de Burkina 24 ne démontre pas de liens directs entre cette « Agence de SMM et de développement en Afrique » avec les équipes de campagne de Macron mais on peut raisonnablement penser que les responsables des relations publiques de Macron peuvent avoir élaboré une campagne de séduction envers les populations africaines et qu’elles peuvent avoir lancé pour cela une collaboration avec des agences de communication africaines.

Ce serait dans la continuité du travail entrepris par la Présidence de la République avec le sommet France-Afrique en octobre dernier à Montpellier par exemple[12]. Après tout, la majorité de la diaspora africaine en France n’est pas très favorable à la politique africaine de Macron, l’accusant même de racisme et d’une politique ruineuse envers le continent malgré toutes ses tentatives de soft-power républicain et de Blackwashing de la France-Afrique[13]. Ce travail de l’ombre en Afrique a-t-il réussi à accroître la popularité de Macron auprès des diasporas africaines en France ? Tout à fait possible, oui. Après tout, face aux positions de Marine Le Pen, constamment présentés comme anti-africaines par l’appareil politico-médiatique dominant, Macron peut sembler plus attrayant pour les Africains de France.

Il est intéressant de noter qu’en Afrique francophone, le sujet a fait l’objet de discussions assez animées, provoquant une certaine négativité au Burkina-Faso comme nous l’avons vu ainsi qu’au Mali[14].

Qui se cache derrière cette campagne médiatique et cette agence ? Pourquoi se manifeste-t-elle en Afrique en particulier ? Était-elle destinée à aider Macron à attirer l’électorat de gauche de la diaspora de Mélenchon ? Comment qualifier les activités d’un tel réseau dans les médias sociaux, d’ingérence dans les élections ? Est-ce même légal ? S’il s’avère que des citoyens d’Afrique francophone animaient des groupes de soutien à Macron, en se faisant passer pour des citoyens français, qui a imaginé cette stratégie pour Emmanuel Macron, McKinsey ?

Est-ce là l’agonie du macronisme ? Une tentative désespérée de débaucher le public de Mélenchon en faisant campagne pour Macron depuis un autre continent ?

Encore une fois, beaucoup de questions et presque aucune réponse, aucune enquête à part celle de blogueurs et d’acteurs indépendants de la réinfosphère.

Cela devrait pourtant faire l’objet d’une vérification et d’une enquête approfondie. Mais comme on peut le constater, même sur une affaire aussi importante que McKinsey, tout sera fait pour noyer le poisson et passer à autre chose.

On pourrait aussi établir un parallèle avec le battage médiatique autour de l’enquête lancée par l’OLAF, l’Office européen de lutte antifraude de l’UE, contre Marine Le Pen au sujet de possibles détournement de fonds publics européens entre 2004 et 2017 (à hauteur de 140 000 euros). Silence d’un côté, sirènes médiatiques stridentes de l’autre.

L’ingérence dans les élections depuis l’extérieur pour favoriser Macron (par les élites mondialistes de l’UE contre Marine Le Pen et peut-être depuis le continent africain pour faire gagner Macron) semble être devenue une norme acceptée. Doubles standards ? Oui.

D’autre part, il est évident qu’après 5 ans de macronisme, de covidisme et d’autoritarisme biopolitique, il sera difficile aux agences de communication de la France-Afrique de gagner au macronisme l’ensemble des diasporas africaines. On notera aussi l’effondrement d’Emmanuel Macron dans les départements et collectivités d’Outre-mer ; territoires où la population à majorité afro-descendante avait résisté avec vaillance à la tyrannie covidienne et à la vaccination forcée.

De plus, alors qu’elle séduit toujours plus une partie significative du public historique de la gauche, Marine Le Pen affirme clairement sa position : elle n’est pas contre les diasporas africaines fidèles à la culture française. Elle n’est pas aussi radicale qu’Éric Zemmour et, ayant transformé son programme depuis 2017, elle comprend qu’elle devra adapter son agenda aux nouveaux défis. Ce que nous voyons aujourd’hui est une bataille historique entre deux France. L’une d’entre elle – celle acquise au mondialisme – fera tout pour conserver le pouvoir et écraser la France populaire et du bien commun. Cette France historique qui est écrasée par la convergence du bloc élitaire et du bloc immigrationniste, les deux faces du mondialisme en France.

François d’Avenel pour Strategika

Notes :

[1] Djihadiste ou nationaliste : ce que le meurtre d’Yvan Colonna dit de la République – https://www.revue-elements.com/djihadiste-ou-nationaliste-ce-que-le-meurtre-dyvan-colonna-dit-de-la-republique/

[2] Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques sur « Un phénomène tentaculaire : l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques », Président M. Arnaud BAZIN, Rapporteure Mme Éliane ASSASSI, Sénateur et Sénatrice : http://www.senat.fr/rap/r21-578-1/r21-578-11.pdf

[3] http://www.senat.fr/rap/r21-578-1/r21-578-130.html

[4] https://youtu.be/m1x_HjDJQU8

[5] [Sondage exclusif] Présidentielle en France : Macron, Zemmour, Mélenchon… Pour qui votent les électeurs d’origine africaine ? – https://www.jeuneafrique.com/1330461/politique/presidentielle-en-france-macron-zemmour-melenchon-pour-qui-votent-les-electeurs-dorigine-africaine/

[6] Voir entre autres : « Refonder la politique européenne de contrôle des frontières extérieures, refuser la militarisation de la politique de contrôle des flux migratoires afin de sortir de l’impasse de Schengen et de Frontex.  Il est donc nécessaire de mettre fin aux opérations de Frontex dont les missions et les actions ne sont pas compatibles avec le respect des droits fondamentaux – https://melenchon2022.fr/livrets-thematiques/migrations/ »

[7] Des trolls africains votent Macron sur les réseaux sociaux
https://blogs.mediapart.fr/j-h-lhotmailfr/blog/170422/des-trolls-africains-votent-macron-sur-les-reseaux-sociaux

[8] Les élections présidentielles en France : Des trolls africains votent Macron sur les réseaux sociaux
https://burkina24.com/2022/04/09/les-elections-presidentielles-en-france-des-trolls-africains-votent-macron-sur-les-reseaux-sociaux

[9] Idem

[10] https://twitter.com/_france_afrique/status/1516013713882599425

[11] Les élections présidentielles en France : Des trolls africains votent Macron sur les réseaux sociaux
https://burkina24.com/2022/04/09/les-elections-presidentielles-en-france-des-trolls-africains-votent-macron-sur-les-reseaux-sociaux

[12] Le sommet Afrique-France de Macron : la stratégie ratée de « blackwashing » de la Françafrique
https://strategika.fr/2021/10/23/le-sommet-afrique-france-de-macron-strategie-ratee-de-blackwashingde-la-francafrique/

[13] Idem

[14] Un simulacre des élections présidentielles : Retour vers 2017 – https://maliactu.net/un-simulacre-des-elections-presidentielles-retour-vers-2017/

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