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L’APRÈS-MAI 1968 a vu la croissance et la multiplication des groupes révolutionnaires d’extrême gauche. Mais, en ces années-là – les années 1970 –, la contestation de la société par une partie de la jeunesse s’est traduite aussi par l’émergence d’une contre-culture prenant le contre-pied de la culture dominante, du mode de vie établi. S’est ainsi développé le « phénomène communautaire » qui renouait avec les socialistes utopistes Cabet et surtout Fourier avec ses phalanstères. Le fait est peu souvent évoqué, mais cette « contre-culture » a marqué – même si c’est de façon détournée – toute une frange de la jeunesse nationaliste d’alors. Une génération peut difficilement faire abstraction des références de ses congénères.

 

"Alternative”

C’est dans ce contexte « sociétal » qu’est née la (petite) aventure d’Alternative, « journal différent ». Dès avant la dissolution d’Ordre nouveau (30 juin 1973), nombre de ses jeunes adhérents – dont ceux du GUD – rêvaient d’un « Charlie Hebdo de droite ». Alternative, ce fut douze numéros dont la parution s’étale de décembre 1973 à novembre 1975. Au programme : insolence et provocation. Alors que la classe politique et les médias s’offusquent des conditions dans lesquelles les régimes du général Pinochet et des colonels grecs parquent leurs opposants, Alternative titre : « Santiago, Athènes : on s’embête sur les stades ! Donnez-leur un ballon ! » Et d’expliquer : « L’homme de droite aime les stades. Sportif de nature, il aime à y rencontrer ses amis… Mais altruiste, il n’hésite pas à faire profiter ses ennemis de ces belles et vastes esplanades. » Autre une : « Krivine nous déclare : “Bigeard m’a convaincu, j’en ai pris pour cinq ans.” »

 

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Les BD sont à l’honneur. On peut y suivre deux récits phares : Les Rats maudits de Jack Marchal et La Chronique de Bardamu signée Square (le futur peintre et sculpteur Olivier Carré). Sous la rubrique « Quand j’entends le mot kultur… », le rock célébré est celui des Rolling Stones ou des Who – leur album Quadrophenia est qualifié « d’alliage de joyeuse sauvagerie rythmique et de subtilités harmoniques » – et non celui des Beatles, par trop consensuel. A l’instar de Libération ou du magazine Actuel de Jean-François Bizot, il y a même des petites annonces gratuites. Bien sûr, la teneur en diffère quelque peu. Exemple : « 2 jeunes routards nationalistes cherchent 2 coéquipiers (mecs ou nanas) pour voyage en Amérique du Sud. Bolches et flippés s’abstenir. » Prendre la route en levant le pouce, certes, mais ne pas confondre, comme le précise un article, « les mecs sains tendance Kerouac » et « la longue cohorte des beatniks, hippies, yippies et autres crados ». Les conseils ne manquent pas pour sympathiser avec la population rencontrée ; ainsi dans le sud des Etats Unis, « sifflotez Dixie » ou les « Green Berets ».

 

La Maison solidariste

Après les « routards nationalistes », il convient d’évoquer les « communards nationalistes », ou plus précisément solidaristes. Le Mouvement solidariste français (MSF, anciennement Mouvement jeune révolution), après les barricades de mai 1968, tend à adopter un nouveau style ; son langage et son graphisme collent à ceux des gauchistes. Une de ses affiches proclame « Capitalisme et marxistes exploitent le peuple français ». Il se veut partie prenante de toutes les luttes et contestations. Même si leur nombre est des plus réduits (autour de 150, France entière) ses militants « sur le terrain » se livrent à un activisme forcené : collage d’affiches, vente des journaux Jeune Révolution puis Impact dans la rue ou devant les gares, bagarres dans les facultés ou aux portes des lycées avec les gauchistes, courses-poursuites avec la police, longues heures de garde à vue dans les commissariats. Un activisme sans doute dérisoire mais qui soude les militants.

 

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Ainsi se créent entre ses adhérents, extrêmement jeunes, des liens d’amitié fondés sur les mêmes espoirs politiques, la même idéologie, les mêmes risques encourus. Dès lors, pourquoi ne pas renforcer ces liens en mettant en place des structures communautaires ? Ainsi vont voir le jour une communauté urbaine et une communauté rurale.

 

Des communautés

Cette entreprise inédite d’une « Maison solidariste » a vu le jour à Montgeron, dans l’Essonne, grâce aux grands-parents d’un militant ayant, après leur retraite, laissé à leur petit-fils la libre disposition d’un pavillon de banlieue. Ils sont une dizaine à tenter l’aventure, y compris quelques filles dont la présence s’est vite rendue nécessaire pour mettre un peu d’ordre – y compris culinaire – dans la bientôt fameuse maison. Car en plus des éléments « permanents », la communauté devint très vite un lieu de ralliement pour les militants du mouvement ; la formule table ouverte et hébergement gratuit remportait un franc succès ! La plupart des « communards » étaient censés poursuivre des études, mais certains avaient déjà décroché. Il faut dire qu’être anti-gauchiste garantissait des journées bien remplies (et des nuits aussi). La « Maison solidariste » pouvait passer pour un phalanstère d’un genre un peu particulier. C’est ainsi que la grande pièce du bas, au papier peint un peu fané, fut retapissée avec des affiches proclamant : « Contre la réaction et les rouges, seule la force paie ». Il fallait bien maintenir l’esprit offensif des membres de la communauté. L’expérience de la « Maison solidariste » fut relativement brève. En effet, les voisins du pavillon s’habituèrent difficilement aux séances d’entraînement de combat avec manches de pioche et couvercles de poubelle. Les chants jusque tard dans la nuit puisés dans le recueil Chants d’Europe ne facilitèrent pas non plus l’insertion dans la population laborieuse. Et puis un élément trouble se réclamant de l’anarcho-solidarisme précipita la chute de la Maison solidariste : il avait surtout retenu de l’anarchisme la pratique de l’illégalisme et de la reprise individuelle. Une enquête de police poussa les initiateurs à mettre fin à ce juvénile et osé essai communautaire. La tentative de communauté rurale solidariste fut plus sérieuse car émanant de la direction nationale du mouvement. L’achat d’un bâtiment isolé dans le sud-ouest de la France eut bien lieu. Mais l’éclatement du mouvement ne permit pas un réel début de mise en pratique.

Philippe Vilgier – Présent 28 août 2021.

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