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« ...la question de savoir si l'homme peut ou non donner une certitude et un sens à sa vie et à son expérience - ne peut être démontrée théoriquement : elle peut être décidée non par un acte intellectuel mais par une réalisation concrète » (1).

La relation entre Julius Evola et l'idéalisme, loin de représenter la phase dite « philosophique » du traditionaliste italien, rend en fait explicite la première conquête ontologique de son propre parcours existentiel et ésotérique. Ce qui ressort des textes sur l'Individu Absolu et surtout des réflexions sur l'Idéalisme Magique présuppose que le thème gnoséologique ou la connaissance ne peut être lié à une détermination abstraite, mais à une phase expérientielle directe, où le hiatus entre connu et connaissable est et peut être dépassé. Par conséquent, l'idéalisme qui peut être sublimé est pour Evola une praxis philosophale plutôt que philosophique, qui détermine une acquisition initiale de nature magico-hermétique : il n'y a pas d'entité cosmique qui se différencie de l'individualité humaine et transitoire, soumise aux influences de ce mode hétéronome, mais un Ego activement transcendant peut et doit être réalisé, qui connaît le monde parce qu'il a commencé à se connaître lui-même, restant, sous une apparence philosophique dans l'idéalisme, une vérité hermétique, l'identification non seulement spirituelle, mais aussi spatiale - temporelle entre Homme - Monde - Dieu, comme trois phases phénoménales du même processus cognitif, que seul l'égarement moderne et chrétien présuppose comme différentes, successives, sinon même opposées. Dans le parcours d'Evola, commence à émerger ce qui, dans l'idéalisme classique (Böhme, Hegel,...), était défini comme « l'Abgrund », ou le centre obscur de la conscience, le point focal où l'ego se contracte et se dilate, se dissout et se coagule hermétiquement, pour déterminer une acquisition initiale d'identité avec Dieu :

« L'activité spéculative du philosophe, qui tente de comprendre la création dans son telos et dans tous ses aspects, représente en effet l'achèvement ou l'accomplissement de l'autoréflexion de l'Infini » (2).

 

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C'est dans ce contexte que se trouve la nouvelle édition des lettres de Julius Evola à Benedetto Croce et Giovanni Gentile – « Julius Evola - Le Radici dell'Idealismo - Fondazione Julius Evola - I Libri del Borghese, Roma 2022 » -, écrites entre 1925 et 1933, grâce à l'habile édition de Stefano Arcella, avec une introduction de Hervè A. Cavallera, un appendice d'Alessandro Giuli et une postface de Giovanni Sessa. Concrètement, le mérite qui doit être définitivement attribué à l'éditeur est celui d'avoir reconstitué avec un scrupule documentaire et philologique l'environnement culturel dans lequel sont nées et se sont développées les relations entre le traditionaliste et les deux grands représentants de la culture et de la philosophie du début du 20ème siècle, Croce et Gentile. Il en ressort une image précise et nullement désinvolte d'une rencontre non fortuite entre un Evola en cours de formation, mais pas seulement un philosophe, et deux intellectuels qui, dans la vulgate générale, n'avaient que peu à voir avec le monde de la spiritualité et surtout de l'ésotérisme.

Dans le contexte de l'approbation de Croce aux éditions Laterza pour la publication des ouvrages d'Evola « Théorie de l'individu absolu » et « La tradition hermétique », mais aussi pour la réimpression sous sa direction de l'ouvrage alchimique de Cesare della Riviera « Le monde magique des héros », un intérêt insoupçonné du philosophe italien émerge

« en ce qui concerne les textes ésotériques des XVIe et XVIIe siècles en Italie, l'attention qu'il porte aux études savantes qui émergent dans les années 1920 sur la tradition alchimique-hermétique de la Renaissance, ainsi que les influences philosophiques qui, dans sa propre formation, sont à la base de cette attention à l'ésotérisme italien de la Renaissance et du XVIIe siècle » (3).

 

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Les fréquentations de Croce non seulement avec des cercles culturels napolitains spécifiques, mais aussi avec Evola lui-même, comme documenté dans le texte, semblent ne pas avoir été accidentelles, comme celle avec Reghini (4), cité méritoirement par Arcella, mais aussi avec un certain Vincenzo Verginelli (appelé 'Vinci' par Gabriele D'Annunzio), un disciple direct de l'hermétiste napolitain Giuliano Kremmerz et un point de référence central, pour le Circolo Virgiliano de Rome, dans la sphère de la Fratellanza Terapeutica di Myriam pendant toute la période d'après-guerre, qui avait une tendre connaissance avec Elena, la propre fille de Croce (5).

Toujours la sphère idéaliste, est le thème de comparaison qui a permis à Evola de se mettre en relation avec l'actualisme de Giovanni Gentile, auquel Stefano Arcella consacre un chapitre spécifique « Il fiore che non sboccia. Un tentativo di confronto fra Weltanschauung tradizionale e idealismo attuali stico » (6). Un attrait archaïque commun est évident dans l'œuvre, celui-là même qui a lié l'idéalisme classique à l'hermétisme par l'intermédiaire de Böhme (7), avant même Hegel, mais une inconciliabilité de fait. Même si la familiarité chez Gentile entre l'esthétique originelle et la modalité magique doit être considérée comme heureuse, comme le souligne Giovanni Sessa dans sa postface (8), même si dans l'acte de Gentile il est possible de reconnaître une première expérience mystique, le logos assume et reste dans son sémanthème « dianotique » décandent, comme une simple activité cognitive discursive. La rencontre - même avec Spirito, comme le précise Alessandro Giuli dans son Appendice - n'a pas lieu, mais une agréable connaissance demeure, car Evola fait le saut que Croce et Gentile ne font pas, celui de la Diánoia, comme raison déductive et réflexive, à la Nóesis, comme intuition intellectuelle exprimant la connaissance directe, fulgurante, non réfléchie, l'identité :

« La science en action est identique à son objet » (9).

Il est cependant nécessaire, pour la sublimation magique de l'idéalisme, telle qu'elle est exprimée et vécue par Evola, de ramener le terme « logos » à son sens premier : non plus discours ou parole exprimée, mais Pensée inexprimée, Noûs, Minerve opérante, sphère de l'intelligible où, hégéliennement et hermétiquement, le Tout exprime le Tout et l'Un, sans opposition.

La philosophie, en conclusion, démontre toujours ce à quoi elle se réfère in nuce, mais qu'elle a irrémédiablement perdu au cours des siècles, à savoir « l'identité entre verum et factum » (10), dans un processus régressif de miroir, puis de spéculation, qui ne permet pas la reconnaissance authentique de la dimension originelle. Une ombre peut être une bonne trace pour repartir sur le chemin de la redécouverte de la lumière authentique, à condition d'être convaincu qu'une ombre est telle et persiste, sans même la confondre avec une lumière éphémère. La relation entre Julius Evola, Benedetto Croce, Giovanni Gentile et le monde de l'idéalisme et de la culture italienne, sert également à sceller cette hypothèse irréductible et à ne pas se limiter à l'étude approfondie d'Evola, s'aventurant même dans ses œuvres majeures, à savoir les œuvres magiques et méditatives. Il n'y a pas que Orientamenti, en somme ... !

Luca Valentini

Source: https://www.paginefilosofali.it/julius-evola-e-lidealismo-tra-benedetto-croce-e-giovanni-gentile-luca-valentini/

 

Notes :

1 - 1 – J. Evola, Saggi sull’Idealismo Magico, Casa Editrice Atanor, Todi – Roma, 1925, p. 14;

2 - G. A. Magee, Hegel e la tradizione ermetica, Edizioni Mediterranee, Rome, 2013, p. 113. Dans la postface du texte, rédigée par Giandomenico Casalino, et non par hasard, dans l'examen des relations entre le platonisme, l'hermétisme et la philosophie hégélienne, l'intuition évolienne est reproposée : « C'est la connaissance fondée sur la concordance nécessaire, purement platonicienne, entre les lois de la pensée et celles de la réalité... » (p. 295) ;

3 - Le Radici dell’Idealismo, référence dans le texte, p. 24 :

4 - Ibid, p. 55 ;

5 - Ibid. Vous trouverez de nombreuses informations à ce sujet dans le texte édité par Enzo Tota et Vito Di Chio, Vinci Verginelli, SECOP Edizioni, Corato (BA), 2016 ;

6 - Le Radici dell'idealismo, op. cit. p. 99 et suivantes ;

7 - Emile Boutroux, Jakob Boehme o l’origine dell’Idealismo tedesco, Luni Editrice, Milan, 2006, p. 70 : « L'homme possède ainsi toutes les conditions de la liberté, et peut, à volonté, s'enfoncer en lui-même ou se trouver réellement, en renonçant à lui-même », dans lequel le renoncement est supposé être la déconstruction du Moi, pour une pleine affirmation du Moi ;

8 - Le Radici dell'idealismo, op. cit. p. 174 et suivantes ;

9 - Aristote, De anima, III, 431 a, 1 ;

10 - Le Radici dell'idealismo, op. cit. p. 44.

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