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Bernanos a vanté Drumont, y compris dans son antisémitisme. BHL avait insulté le plus grand romancier du siècle dernier (je ne lui vois d’égal que Dostoïevski, pas tendre non plus sur la question qui pince –voyez son Journal, les Possédés ou les Karamazov). Elie Wiesel avait par contre protégé le grand auteur rebelle des Cimetières sous la lune. Mais ce n’est pas la question ici. La question, c’est comment en est-on arrivé à la France du beauf, du bobo, du Thénardier, du Macron, du vacancier et du VTT, alors que nous étions le parangon des nations, comme dit Léon Bloy ?

La réponse est qu’on a créé un être moderne et minable qu’on appelle le bourgeois, avec sa femme qui commande (les femmes savantes qui annoncent nos féministes), la bonne qui insulte, les gosses qui n’obéissent pas et toute une basse-cour de pique-assiettes. La réponse est dans Molière.

Un rappel de Fukuyama dans son anglais simple et universitaire :

« Hobbes and Locke, the founders of modern liberalism, sought to eradicate thymos from political life altogether, and to replace it with a combination of desire and reason... The bourgeois was an entirely deliberate creation of early modern thought, an effort at social engineering that sought to create social peace by changing human nature itself. »

Le Français moderne comme produit de l’ingénierie sociale anglo-saxonne : on est bien d’accord, et le Général le serait aussi. Relisez mon texte sur Athos et Fukuyama, inspiré par les réflexions de Philippe Grasset, texte que j’ai joint à mon Littérature et conspiration.

En effet à la même époque on crée le bourgeois en France aussi que l’on voit à l’œuvre chez Molière (il faudra se décider à le comprendre un jour celui-là). On a Tartufe, Orgon, Sganarelle, DJ, l’avare et on se rappelle que pour Guénon la distance entre le Français médiéval et le Français louis-quatorzien est abyssale.

Taine écrit dans ses magnifiques fables de la Fontaine :

« Le bourgeois est un être de formation récente, inconnu à l'antiquité, produit des grandes monarchies bien administrées, et, parmi toutes les espèces d'hommes que la société façonne, la moins capable d'exciter quelque intérêt. Car il est exclu de toutes les idées et de toutes les passions qui sont grandes, en France du moins où il a fleuri mieux qu'ailleurs. »

Sauf que le bourgeois est devenu plus cool et tolérant, tant qu’on ne touche pas au grisbi…

Donc dans sa grande peur de bien-pensants le Bernanos d’extrême-droite, comme on dit, de l’inaction française, comprend qu’on a changé d’humanité. On n’a pas entendu le grand remplacement ethnique pas plus qu’on attendu le transhumanisme. Ces choses sont plus subtiles et ont pris quelques siècles. Michelet le disait déjà (je l’ai noté) que le christianisme tout comme la féodalité auraient dû disparaître bien avant Bergoglio ou Sarkozy.

 

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Drumont donc (extraits cités par Bernanos) : 

« L’homme du passé avait de nobles motifs pour vivre, l’homme d’aujourd’hui a seulement quelques prétextes plausibles pour ne pas se tuer et accomplir jusqu’au bout de sa corvée. »

Haine du bourgeois increvable qui a pris le pouvoir sur un roi fantoche (Taine encore, voyez aussi Apostolidès et son roi-machine) à la révolution :

« La bourgeoisie a fait passer sur la collectivité toutes les charges dont étaient grevées autrefois les propriétés qu’elle avait acquises pour quelques chiffons de papier… L’État les prenait sur lui, c’est-à-dire les mettait sur le dos de tous les citoyens. »

Puis le plus grave : la création de cette sous France et de cette humanité médiocre qu’on a dénoncé dans tout notre cinéma ou notre littérature des derniers siècles :

« Le régime moderne a créé un type d’être spécial qu’on serait tenté d’appeler le contribuable ; car en réalité si on demandait à beaucoup d’hommes de ce temps pourquoi ils sont sur la terre, ils finiraient par vous dire : « Ma foi, pour faire notre service militaire, pour acquitter nos contributions et pour payer notre terme. »

Drumont ajoute :

« Les riches tiennent maintenant la place prépondérante dans cette église qui a été fondée par les pauvres. »

L’être moderne sous des dehors anars est veule et soumis. Drumont :

« Les rois chevelus consultaient leurs leudes ; Charlemagne consultait ses pairs…A force de marcher dans la voie du progrès, comme on dit, on a rétrogradé au-delà des cafres : et, durant cinq mois, un aventurier génois envoya les gens se faire casser les bras et les jambes pendant qu’il fumait son cigare. »

 

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Il laisse donc s’installer l’anarchie. Drumont :

« L’anarchie s’est installée dans ce pays comme la nuit s’installe sur la terre, sans qu’on s’aperçoive du moment où il a cessé de faire jour… »

Il ajoute ailleurs (c’est moi qui cite, pas Bernanos) :

« L’être qui est là est un moderne, un nihiliste, il ne tient à rien. Il n’est guère plus patriote que les trois cent mille étrangers, que l’aveuglement de nos gouvernants a laissé s’entasser dans ce Paris dont ils seront les maîtres quand ils voudront ; il ne se révoltera pas comme les aïeux sous l’empire de quelque excitation passagère, sous une influence atmosphérique en quelque sorte qui échauffe les têtes et fait surgir des barricades instantanément. » 

On peut être mort et sembler vivant. C’est l’hystérésis dont parle Baudrillard à son interlocuteur :

« Le cadavre social continue à marcher sans qu’on s’aperçoive qu’il est cadavre, jusqu’au jour où le plus léger heurt brise cette survivance factice et montre de la cendre au lieu du sang. »

 

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Comment contrôler ce cadavre ? Par les attentats par exemple, comme au Bataclan. Bernanos ici, pas Drumont, donne sa théorie de la conspiration-constatation :

« L’attentat de Vaillant a été l’œuvre d’agents provocateurs… La république montra le loup aux moutons en fureur. Instantanément, le silence se fit dans le troupeau. »

À quoi servirent les attentats anarchistes de ces années moins folles que molles ? Bernanos :

« Pour rallier à son drapeau, c’est-à-dire au drapeau de la gendarmerie les diverses fractions de la classe bourgeoise, cléricale ou non, de droite ou non… »

C’est p. 242 de l’édition du Livre de Poche. Je tiens à le préciser.

Bernanos dans un bel élan prévoit la mort du catholicisme qu’on a sous nos yeux avec Bergoglio et son troupeau je-m’en-foutiste et clairsemé :

« Les puissantes démocraties capitalistes de demain, organisées pour l’exploitation rationnelle de l’homme au profit de l’espèce, avec leur étatisme forcené, l’inextricable réseau des institutions de prévoyance et d’assurances, finiront par élever entre l’individu et l’Église une barrière administrative qu’aucun Vincent de Paul n’essaiera même plus de franchir. Dès lors, il pourra bien subsister quelque part un pape, une hiérarchie, ce qu’il faut enfin pour que la parole donnée par Dieu soit gardée jusqu’à la fin, on pourra même y joindre, à la rigueur, quelques fonctionnaires ecclésiastiques tolérés ou même entretenus par l’État, au titre d’auxiliaires du médecin psychiatre, et qui n’ambitionneront rien tant que d’être traités un jour de « cher maître » par cet imposant confrère… Seulement, la chrétienté sera morte. Peut-être n’est-elle plus déjà qu’un rêve ? »

 

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On est proche ici de Tocqueville, de Charles Pearson et de Chesterton, auteurs que j’ai dûment étudiés à ce sujet.

Revenons à Drumont qui définit le Français moderne : le mouton de maître Patelin ou de Rabelais (naissance du bourgeois !) :

« Les Français sont admirablement dressés à toute cette organisation fiscale ; ils sont comme les méharis qui s’agenouillent pour qu’on puisse les charger plus facilement ou comme les chevaux de renfort d’omnibus qui, leur besogne faite, vont tout seuls rejoindre leur place en bas dans la montée et attendent là qu’on les attelle de nouveau. »

De rage Drumont se lance comme beaucoup d’autres à cette époque, dans une explication convenue, la raciale :

« Lorsque les conquérants germains et francs qui, unis aux purs Gaulois et aux Celtes, constituèrent véritablement la France, eurent perdu leur vigueur, l’élément gallo-romain l’emporta, la race latine prit le dessus ; or cette race est faite pour la tyrannie puisqu’elle n’a aucun ressort de conscience ; elle adore une idole imbécile, une idole de marbre ou de plâtre qu’on appelle la loi, et au nom de cette loi, elle subit tout… Il n’y a qu’en France qu’un gouvernement ait pu s’appeler, comme par une désignation constitutionnelle : la Terreur. »

Nietzsche fait de même à la même époque :

« La même observation s’applique à presque toute l’Europe : en fait, la race soumise a fini par y reprendre la prépondérance, avec sa couleur, la forme raccourcie du crâne et peut-être même les instincts intellectuels et sociaux : — qui nous garantit que la démocratie moderne, l’anarchisme encore plus moderne et surtout cette tendance à la Commune, à la forme sociale la plus primitive, chère aujourd’hui à tous les socialistes d’Europe, ne soient pas, dans l’essence, un monstrueux effet d’atavisme — et que la race des conquérants et des maîtres, celle des aryens, ne soit pas en train de succomber même physiologiquement ?… »

Et Madison Grant, prophète pessimiste de la mort de la « grande race », partagera la même vision, comme son ami Vacher de Lapouge. 

On laisse conclure Drumont – toujours cité par Bernanos :

« Mon erreur fondamentale a été de croire qu’il existait encore une vielle France, un ensemble de braves gens, gentilshommes, bourgeois, petits propriétaires, fidèles aux traditions de leur race et qui, égarés, affolés, par les turlutaines qu’on leur débite depuis cent ans, reprendraient conscience d’eux-mêmes si on leur montrait la situation telle qu’elle est, se réuniraient pour sauver leur pays. »

N.B.

Sources :

http://www.dedefensa.org/article/comment-loccident-zombie-survit-a-sa-mort

http://www.dedefensa.org/article/comment-fukuyama-explique-le-mystere-athos

Georges Bernanos, La grande peur des bien-pensants (Livre de Poche).

Nietzsche, Généalogie, première dissertation.

Drumont, la France juive, la Fin d’un monde.

Madison Grant, The Passing of a great race.

Nicolas Bonnal – Littérature et conspiration ; comment les Français sont morts (Amazon.fr, Dualpha).

Taine – La Fontaine et ses Fables.

Molière – Théâtre complet.

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