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Que n'a-t ’on écrit sur Jeanne d'Arc ? Aujourd'hui encore, des écrivains, qui ne sont pas romanciers mais pensent être historiens, vous content qu'elle ne fut pas brûlée à Rouen, et qu'elle revint en Lorraine sous le nom de Jeanne des Armoises... D'autres, plus sérieux, s'interrogent sur ses origines. Quelques-uns voient en elle une envoyée de Dieu. D'autres se demandent ce qu'il serait advenu de l'histoire du monde si, à Vaucouleurs, plutôt que de l'envoyer au roi de France, on l'avait renvoyée garder ses moutons. Déjà en son temps, l'opinion sur la Pucelle était partagée : certains voyaient en elle une sorcière, tandis que d'autres l'adoraient comme une sainte ou comme une prophétesse. Une chronique - anglaise, évidemment... - du XVe siècle rapportant son arrestation par les Bourguignons énonce sans ambages cette appréciation : « Et le vingt-troisième jour de mai vers la nuit devant la ville de Compiègne, fut prise sur le champ de bataille une femme avec beaucoup de nobles capitaines, qu'on appelait la Pucelle de Dieu, une mauvaise sorcière, par la puissance de laquelle le dauphin et tous nos adversaires croyaient fermement conquérir toute la France, et n'avoir jamais le dessous en aucun lieu où elle serait présente, car ils la regardaient entre eux comme une prophétesse et une grande déesse. »

Bref, chez Jeanne d'Arc, ésotéristes, romanciers, historiens, patriotes à la sauce Pétain, catholiques un peu intégristes, académiciens, cinéastes, fous de Dieu, anglophobes, xénophobes, tous trouvent de quoi les satisfaire. Ce qui explique que l’on a droit à une manne de livres où il y a à boire et à manger...

Mon propos n'est pas l'histoire de Jeanne d'Arc, ni ses origines, ni les causes de sa mission, ni les conséquences de son action, ni ses influences sur l'histoire de la France et de l'Europe... Laissons cela à d'autres, plus compétents.

Mais, puisque, pour certains de ses contemporains, elle était sorcière - ils n'imaginaient pas, les pauvres, qu'un jour elle serait sainte -, il m'a paru intéressant de consulter les pièces de son procès afin d'en extraire tout ce qui a trait au folklore. N'est-il pas souvent question, dans ce procès, de fées ? Et même d'une mandragore ?

De quoi ravir le folkloriste.

Le réquisitoire

Le 27 mars 1431, le promoteur, Jean d'Estivet, chanoine des églises de Bayeux et de Beauvais, lut devant Jeanne d'Arc, les deux juges et les trente assesseurs présents, un acte d'accusation en latin. Jeanne objecta qu'elle ne comprenait pas le latin. Après délibération, juges et assesseurs décidèrent que ce réquisitoire serait lu et exposé en français, et que l'accusée aurait latitude et temps de répondre à chacun des griefs. Un juge, Pierre Cauchon, expliqua à Jeanne qu'ils étaient là pour procéder avec pitié et mansuétude, et non pas dans un esprit de vengeance. Il l'exhorta à se choisir un ou plusieurs avocats parmi ceux qui assistaient au procès dans la grande salle du château de Rouen. Jeanne refusa, disant que Dieu était son meilleur conseil.

Les 27 et 28 mars, Thomas de Courcelles, délégué de l'université de Paris, lut donc à Jeanne, en français, les soixante-dix articles du réquisitoire du promoteur. Les réponses de l'accusée à chaque article furent enregistrées. Ce réquisitoire se basait notamment sur une enquête ordonnée par Pierre Cauchon auprès des habitants de Domremy.

Dans le réquisitoire contre Jeanne d'Arc, à l'article IV, on lit : « Dans sa jeunesse, elle n'a appris ni sa croyance ni les principes de la foi, mais elle a été instruite et initiée par certaines vieilles femmes à faire des sorcelleries, divinations, et autres pratiques superstitieuses ou arts magiques. De tout temps, plusieurs habitants de ces villages ont été réputés comme de fervents jeteurs de ces maléfices. Jeanne, elle-même, a reconnu avoir ouï dire beaucoup de récits concernant les visions et les apparitions de fées ou d'esprits de fées de la part de plusieurs villageois, mais spécialement de sa marraine. Ce n'est cependant pas celle-ci mais d'autres qui l'ont instruite de ces maléfices et l'ont imprégnée de ces pernicieuses erreurs, au point qu'elle a confessé que jusqu'à ce temps-ci elle n'a pas su que les fées étaient des malins esprits. » Jeanne nia savoir ce qu'étaient les fées et assura qu'elle était bonne chrétienne. On lui demanda de réciter son Credo et elle refusa, disant qu'elle l'avait déjà fait à son confesseur.

L'article V va encore plus loin : « Non loin du village de Domremy, existe un arbre charmé, un hêtre, appelé par certains l'arbre des Dames ou l'arbre des Fées, près duquel jaillit une fontaine ; à l'entour vivent des fées, des malins esprits, avec lesquels ceux qui s'adonnent à la sorcellerie ont coutume de danser la nuit autour de l'arbre et de la fontaine. La fontaine est réputée guérir les fiévreux et les malades en général qui boivent de son eau ; Jeanne elle-même en a bu. C'est là également, et non sous l'arbre, que les saintes Catherine et Marguerite lui ont parlé et qu'elle les y a entendues ; mais elle ne sait plus ce qu'elles lui dirent. »

Jeanne expliqua que sa marraine, prénommée elle aussi Jeanne, et dont elle tient son prénom, a vu les fées à l'arbre ; du moins, c'est ce qu'elle lui a dit. L'accusée dit que jamais sa marraine n'a eu la réputation d'être une devineresse ou une sorcière. Quant aux fées, elle ne sait trop si elle savait avant le procès qu'il s'agit de malins esprits, elle a seulement entendu dire que ceux qui voyagent en l'air avec ces fées se rendent au sabbat le jeudi.

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L'article VI tente de démontrer que le comportement de Jeanne d'Arc à l'arbre aux Fées la range elle aussi parmi les sorcières : « Elle invoquait les démons et communiquait avec eux auprès de l'arbre et de la fontaine où elle se rendait seule, le plus souvent de nuit, parfois le jour, aux heures qu'on célébrait le service divin à l'église, pour danser et faire son sabbat. En dansant, elle tournait autour de la source et de l'arbre. Et après cela, elle faisait des bouquets d'herbes variées et de fleurs qu'elle attachait aux branches du même arbre, tout en fredonnant, avant et après, certaines chansons et chants, accompagnés d'invocations, de sortilèges et d'autres maléfices. Au matin suivant, ces bouquets avaient disparu. »

L'article VII accuse Jeanne « d'avoir été accoutumée de porter une mandragore en son sein, espérant, par ce moyen, obtenir une fortune prospère en richesses et choses temporelles, affirmant qu'une mandragore de ce genre avait vigueur et effet ».

Avec la mandragore ou plus exactement la racine de cette plante, nous entrons dans le monde de la sorcellerie. L'abbé Lecanu, dans son Histoire de Satan, en 1861, la décrit ainsi : elle était « réputée pour rendre heureux, faire trouver des trésors, multiplier les richesses, préserver des malheurs, rendre le Diable propice, détourner le tonnerre, arrêter l'incendie, préserver les troupeaux, garantir de la peste, prolonger la vie, suppléer, en un mot, à l'esprit, au bon sens, au jugement, à l'habileté de ceux qui n'en avaient pas. Il y avait des marchands qui en faisaient commerce, et qui savaient achever de lui donner cette forme à demi humaine que la nature a ébauchée. »

En effet, la racine de la mandragore a la forme, assez grossièrement ébauchée, d'un enfant de la ceinture aux pieds. Certains petits malins utilisaient n'importe quelle racine qu'ils sculptaient et dans laquelle ils incrustaient des graines de millet ou d'orge afin qu'une fois germées elles figurent les poils du corps. Le mieux était donc de se méfier de ces marchands, qui vendaient une marchandise à la fois douteuse et coûteuse, et de récolter soi-même sa propre mandragore. Les plus efficaces étaient recueillies au pied des gibets, on disait qu'elles étaient nées des larmes des pendus - en fait ces larmes étaient le sperme émis par la dernière érection du condamné, mais ecclésiastiques et folkloristes ont pour point commun une certaine pudeur. Encore fallait-il s'entourer, pour la récolter, d'un luxe de précautions : afin d'éviter de mourir dans l'année, on dégageait la racine soigneusement, puis on y attachait un chien. Il suffisait alors de reculer de quelques mètres et, montrant quelque os à l'animal, de l'attirer à soi ; en venant ainsi, le chien finissait d'arracher lui-même la mandragore et endossait la malédiction qui y était liée. La mandragore, souvent habillée en enfant, était alors placée dans un linge de lin ou de soie. On conte qu'en la nourrissant de sang humain, elle vivait longtemps et vous rendait tous les services énumérés plus haut. On connaît plusieurs cas, en France, de mandragores brûlées par ordre des autorités religieuses.

Jeanne d'Arc concéda qu'il y avait une mandragore près de son village, près de l'arbre aux Fées, sous un coudrier. Elle dit ne connaître cela que par ouï-dire, et ajouta qu'elle savait qu'une mandragore sert à faire venir l'argent. Pour quelqu'un qui en a simplement entendu parler...

Les interrogatoires

À la lecture des interrogatoires, on sent une Jeanne d'Arc tendue, se contredisant. Ainsi, interrogée à nouveau sur l'arbre des Fées, elle reconnaît avoir « ouï dire par plusieurs anciens que les fées avaient leur repaire à l'arbre ». Quand on lui demande si ces anciens sont de sa famille, elle affirme : « Non, ils ne sont pas de mon lignage », pour reconnaitre un peu plus loin que sa propre marraine lui a dit qu'elle avait elle-même vu les fées près de cet arbre. Quand on lui demande si elle-même a vu aussi les fées, elle répond bizarrement : « Je n'ai jamais vu de fées à l'arbre, que je sache. » Réponse qui entraîne une nouvelle question de l'interrogateur : « Les avez-vous vues ailleurs ? » et une réponse ambiguë : « Je ne sais pas si je les ai vues ou non ailleurs. »

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Remettons ce système de défense à notre époque, remplaçons les fées par des complices, et il n'est point difficile d'imaginer les réactions de l'avocat général.

Quant à la mandragore, Jeanne ne sait pas à quoi elle sert et ne sait pas non plus exactement où elle se trouve. Puis, sur nouvelles questions, elle précise qu'il s'en trouve une sous un coudrier situé tout à côté de l'arbre des Fées, et que cela sert à faire venir l'argent.

Reste, près de cet arbre, la fontaine, dite aujourd'hui encore fontaine des Fiévreux, entre Domremy et l'actuelle basilique. Jeanne reconnaît avoir bu de cette eau mais ne croit pas à ses vertus.

Bref, tout cela laisse perplexe. On sent là quelque malaise...

Le procès en réhabilitation

En 1455, la famille de Jeanne d'Arc entama un procès en réhabilitation qui devait annuler le jugement de 1431. Je ne parlerai ici que des éléments de folklore qui apparaissent dans cette contre-enquête.

Plusieurs personnes évoquèrent la fontaine des Fiévreux, disant que ceux qui ont la fièvre vont boire de son eau pour être guéris, et que la jeunesse de Domremy, chaque année, au dimanche dit communément « des Fontaines », allait danser et manger près de l'arbre des Fées et boire à ladite fontaine. Ce dimanche des Fontaines, qu'on appelle aussi le dimanche de Laetare, était dans le Barrois, dans le pays messin, dans une partie de la vallée de la Meuse, ainsi que dans le Perche consacré à une fête réservée à la jeunesse fête qui avait ses origines dans des rites païens.

On entendit donc trente-quatre témoins de Domremy et des alentours immédiats, et dix parlèrent de l'arbre aux Fées Un laboureur, Jean Morel, âgé alors d'environ soixante-dix ans - et parrain de Jeanne d'Arc - déclara sous serment « qu'au sujet de l'arbre, qu'on appelle des Dames, il entendit dire autrefois que des femmes ou personnes surnaturelles, qui portaient le nom de fées, allaient anciennement danser sous cet arbre Mais, à ce qu'on dit, après que l'évangile de saint Jean est lu et récité, elles n'y vont plus ».

C'est merveilleux d'avoir un témoin né vers 1385, parlant de l'évangile de saint Jean et des fées, et de retrouver la même croyance aujourd'hui. Ainsi, Mme Maria Pierret, née à Alle-sur-Semois en 1906, m'a-t-elle conté que les fées « dorment quelque part sous la terre, et qu'elles reviendront le jour où le curé ne récitera plus à la messe l'évangile de saint Jean ».

Roger Maudhuy

 

Notes :

D'après Procès de condamnation de Jeanne d'Arc, édition de P. Tisset et Y. Lanhers, Paris, 1960 ; Jean Fraikin, Regards sur l'au-delà de Jeanne d'Arc, in Tradition Wallonne, tome X, 1993 ; Jean Fraikin, La Lorraine de Jeanne d'Arc, in Le Pays Gaumais, 1993-1996, pp. 229-266; E. Stofflet, La Légende du Bois-Chenu à Domremy-la-Pucelle, in Bulletin Mensuel de la Société d'Archéologie Lorraine et du Musée Historique Lorrain, tome X, 1910 ; E. Stofflet, Les Fontaines de Jeanne d'Arc à Domremy, in Bulletin de la Société d'Archéologie Lorraine, tome XIII, 1913, pp. 57-59 ; A, Vallet de Viriville, Procès de condamnation de Jeanne D’arc dite la Pucelle d'Orléans, Paris, 1867 ; enquête de Fauteur à Domremy-la-Pucelle. Sur la mandragore : abbé Lecanu, Histoire de Satan, Sa chute, son culte, ses manifestations, ses œuvres, la guerre qu'il fait à Dieu et aux hommes, Paris, 1861, p. 292 ; Roland Villeneuve, Dictionnaire du Diable, Paris, 1998, pp. 604-606

Sources : la Lorraine des légendes – Roger Maudhuy – Ed. France-Empire, 2004.

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