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Le 10 avril 1861, soit quelques jours après la prise de Fort Sumter par les Sudistes, Charlotte Sawyer Branch, âgée de 46 ans et veuve de son état, écrit à son fils aîné, John :

« Je suis satisfaite que la guerre soit annoncée et, si elle devait éclater, je ne mettrais aucun obstacle à l’engagement de mes fils dans ce combat, là où le devoir les appellera, même si cela devait me briser le cœur ».

Le fils aîné de Charlotte, John Branch, est un jeune lieutenant de la milice armée de Savannah, l'Oglethorpe Light Infantry. Ses deux frères cadets, Sanford, 21 ans, et Hamilton, 18 ans, appartiennent au même corps.

Charlotte Sawyer Branch est née en 1814. De Walker Colburn Sawyer et de Sarah McDevit. Arrivée toute jeune d'Irlande, Sarah a épousé Walker, un marin du New Hampshire. Walker périra en mer alors que la petite Charlotte n'a que 4 ans. Une vie difficile dès lors pour la fillette et sa maman qui va ouvrir une chapellerie à Savannah. Charlotte échappera à ces épidémies de fièvre jaune qui frappaient Savannah de manière récurrente, comme elle l'explique dans une lettre adressée à son plus jeune fils, Hamilton :

« J'étais toute petite quand la fièvre jeune éclata à Savannah en 1820 (elle était due à des pluies effrayantes après l'incendie dévastateur qui avait réduit en ruines une grande partie de la ville). De nombreux bâtiments avaient des celliers remplis de légumes et de provisions détruits par le feu, puis pourris par les pluies, ce qui déclencha l'épidémie, d'après ce que j'ai entendu dire par les anciens qui savaient tout sur la question. Je suis née à Savannah et je n'ai pus connu un cas de fièvre jaune jusqu'à l'été 1854 pour autant que je m'en souvienne ». Là, sa mémoire lui joue des tours : il y eut de nombreuses épidémies entre 1820 et 1854.

En mars 1837, Charlotte épouse un jeune homme originaire du Rhode Island, John Henry Selah Branch. Trois garçons naissent de cette union : John Lufburrow, le 4 mars 1838 ; Sanford Walker, le 17 mars 1840 ; Hamilton MacDevit, le 17 mars 1843. Une famille heureuse. Jusqu'à la mort du père en 1846. Aidée par sa mère, qui l'emploie dans sa chapellerie, Charlotte, en charge de trois jeunes enfants, Charlotte, pétrie de foi, fait face à l'adversité. Un des fils – ce sera donc l'aîné – doit faire des études supérieures. John intégrera en 1853 le tout récent Institut militaire de Géorgie, à Marietta. Sanford et Hamilton suivront les cours de la très honorable Chatham Academy de Savannah.

En 1861, Charlotte gère avec succès la chapellerie de sa mère, installée au 180 Broughton Street. John, qui a rejoint l'Oglethorpe Light Infantry, a trouvé un emploi dans le coton – what else en Géorgie... – au sein de la Padelford, Fay and Co. Sanford est employé dans une pharmacie, Hamilton dans un magasin de chaussures.

Quand la guerre entre les États est déclarée, l'Oglethorpe Light Infantry est intégrée dans l'armée confédérée. Envoyée en Virginie, la milice devient la Compagnie B du 8th Georgia Volunteer Infantry. Ses trois fils dans l'armée sudiste, Charlotte s'engage dans les associations de Savannah créées pour aider les combattants sur tous les plans.

Le 8th Georgia Volunteer Infantry sera de la bataille du First Manassas le 21 juillet 1861. John est tué à la tête de ses hommes. Sanford est fait prisonnier. Hamilton échappe au pire. Déchirée par le chagrin, Charlotte se rend à Richmond, Virginie, et obtient l'autorisation de faire visite à Hamilton en poste près de Manassas avec le 8th. Ce qu'elle va découvrir, le dénuement, les blessés, un approvisionnement erratique, la maladie, la convainc de s'impliquer – et elle le fera des semaines durant – dans les secours à ces « enfants » jetés dans la guerre. Elle le fera avec un engagement tel qu'elle y gagnera le surnom de « Mère de l'Oglethorpe Light Infantry ». Elle prend en charge les blessés, elle rassure les plus jeunes, elle écrit à leurs familles, elle s'assure des soins apportés aux plus faibles. Et elle réussira à retrouver le corps de John, à le faire exhumer et à le ramener « à la maison ». John rejoindra Savannah en février 1862. Il sera inhumé aux côtés de son père, dans le cimetière de Laurel Grove.

De retour à Savannah, en décembre, Charlotte a le bonheur d'apprendre le 10 du mois – beau cadeau de Noël !– la libération de Sanford jusque-là emprisonné dans la sinistre Old Capital Prison de Washington. Une joie de courte durée : un court séjour à Savannah et, en février 1862, Sanford rejoint le 8th. Mais Hamilton, après une année en première ligne, est autorisé à rester auprès de sa mère, au sein de la milice territoriale. Malgré son jeune âge, il y est nommé lieutenant avec, sous ses ordres, les Cadets de Savannah qui n'ont guère plus de 15 ans...

En 1862, Charlotte a la douleur de perdre sa mère. Elle noie son chagrin, comme elle l'avait fait à la mort de John à Manassas, dans un soutien aux soldats blessés et soignés dans les hôpitaux de Savannah où l'on fait des miracles avec, le blocus yankee en action, peu de choses. Début juillet 1862, lisant le Savannah Daily News, elle découvre la relation d'un terrible affrontement qui a eu lieu à Gettysburgh. Mais aussi, dans les pages intérieures, les interminables listes des noms des p'tits gars de Savannah blessés ou tués dans la bataille. Et cette mention : « Le lieutenant Sanford W. Branch, frappé en pleine poitrine, est donné pour mort ».

Elle refuse d'y croire. Comme après la mort de John à Manassas, elle monte à Richmond, capitale de la Confédération, et fait le siège des officiels pour obtenir le droit d'aller retrouver son fils. Qu'il soit mort ou vif, elle veut le ramener « à la maison ». La voilà à Stanton, à Winchester, à Bunker Hill où elle apprend que Sanford, très gravement touché certes, a survécu à ses blessures. Faut prisonnier, il est détenu dans un camp nordiste. Elle demande alors un laissez-passer pour se rendre dans les lignes fédérales.

Le 15 juillet 1863, le brigadier-général Alexander R. Lawton plaide la cause de Charlotte dans une lettre adressée au général Robert E. Lee :

« Mon général, je prends la liberté de vous envoyer cette note de la part de Mrs. Branch de Savannah, Géorgie. Son fils a été grièvement blessé lors de la récente bataille en Pennsylvanie. Mrs. Branch souhaite ardemment se porter auprès de son fils et prendre soin de lui, et son appel est un appel pressant pour tous les cœurs aimants. Elle a donné trois fils à notre Cause, le premier a été tué à Manassas, un autre fait face à nos ennemis à Charleston, je pense qu'on devrait lui donner l'autorisation de se porter au chevet du troisième qui a besoin de toute l'affection et de la sollicitude de sa mère. Je plaide pour que tout officier qui lira cette lettre porte assistance à cette femme remarquable, à cette mère, à cette veuve, pour l'aider à retrouver son fils ».

Charlotte n'aura pas cette autorisation qui, de l'avis motivé des autorités confédérées, l'aurait mise entre les mains des Yankees. Mais elle aura ce bonheur de recevoir une lettre lui annonçant que Sanford allait survivre à ses blessures. Elle attendra dix-huit mois avant de le revoir. Le miracle étant qu'il ait survécu aux horreurs des prisons nordistes.

Quand le général William T. Sherman, un criminel de guerre, marcha sur la Géorgie, en mai 1864, le régiment de Hamilton fut envoyé à Dalton, aux côtés de l'Armée du Tennessee qui va contenir la poussée d'une armée yankee, infiniment supérieure en nombre, pendant un an. Lors de la bataille d'Atlanta, le 24 juillet, Hamilton est blessé, rattrapé par le destin qui l'avait épargné jusque-là. Et Charlotte prendra la route une fois de plus, bravant tous les dangers pour aller chercher son « gamin » dans le pauvre dispensaire où il avait été transporté. A peine remis sur pied, Hamilton demande à remonter en ligne. Et il sera de nouveau blessé, mais de manière plus légère bien heureusement.

Hamilton a rejoint son régiment au moment où l'Armée du Tennessee tente de tenir les Yankees loin de Nashville. Peine perdue. Il faut reculer et faire route vers la Géorgie. La retraite sera protégée par les Savannah Cadets commandés par Hamilton et les cavaliers du légendaire Nathan Bedford Forrest.

Le 5 décembre 1864, Sanford bénéficie d'un échange de prisonniers et peut rentrer à Savannah. C’est un mort-vivant que récupère Charlotte: squelettique, crachant le sang (sa blessure aux poumons, mal soignée, s'est rouverte). Trois semaines après ce retour, Sherman occupe Savannah et ordonne la déportation immédiate des familles d'officiers sudistes. Avec pour tout bien un cheval et un chariot, Charlotte et Sanford prennent le chemin de l'exode. Ailleurs, Hamilton continue de se battre. Brisé par la maladie, il finira par trouver refuge dans une maison amie jusqu'à la fin de la guerre.

De retour – et enfin réunis – à Savannah, Charlotte et ses deux fils n'ont plus rien pour vivre. Et les autorités d'occupation yankees les tiennent sous étroite surveillance. Mais, très vite, un réseau d'entraide sudiste se met en place qui permet de subvenir aux besoins vitaux des plus démunis. Charlotte sera l'une des fondatrices de la Ladies' Memorial Association gardienne et préservatrice de la Cause et de ses martyrs. Chaque année, le 21 juillet, est ainsi organisée à Savannah une grande cérémonie autour des tombes des enfants du pays tombés à Manassas. Sanford et Hamilton – des survivants ! – seront parmi les piliers des associations de Vétérans confédérées.

Charlotte, Mère Courge du Sud, s'éteindra dans son sommeil en 1894. Sans avoir jamais plié le genou devant les Yankees, animée qu'elle était par une foi inébranlable et l'amour des siens.

Alain Sanders

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