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Nous sommes le 21 février 1862, il est 16 h au gué de Valverde sur le Rio Grande, à quelques kilomètres de la piste de Santa Fe.

Troopers! Ready to charge!

Tentant le tout pour le tout, le bouillant colonel irlandais Green des Texas Rangers vient d’ordonner l’impossible aux 600 cavaliers confédérés qui lui restent : charger sur près de 800 mètres à découvert la grande batterie lourde de l’Union qui les menace d’un anéantissement total. C’est la charge à la mort. Les hommes s’élancent…

Huit mois auparavant, en juillet 1861, lorsque le président confédéré Jefferson Davis voit arriver dans son bureau de Richmond le major Henry Hopkins Sibley, il ne peut se douter de l’improbable projet que celui-ci est venu lui proposer. Son ambition est de prendre 3000 Texas Rangers à cheval, partir de la frontière du Texas confédéré avec les territoires apaches de l’Arizona, remonter au nord en suivant le Rio Grande et de s’emparer du Nouveau-Mexique nordiste. À partir de là, il veut capter les voies de communications depuis l’est à Santa Fe et prendre les mines d’or du Colorado. Puis, sa volonté est d’obliquer à l’Ouest pour conquérir le Nevada et la Californie avec son or, pour ensuite redescendre plein sud vers le Mexique et ajouter les territoires mexicains du Sonora et du Chihuahua.

 

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Le général Henry Hopkins Sibley, Library of Congress

 

En moins de quelques mois, il pourrait ainsi former une immense confédération sudiste à l’ouest du continent en vue d’apporter le soutien matériel et logistique manquant pour vaincre l’Union à l’Est. De plus, le président de l’Union, Abraham Lincoln, obligé de réagir sur ce front Ouest, serait forcé de dégarnir le front principal de l’Est.

Si cette proposition peut sembler sortir d’un tome de Lucky Luke, elle se fonde sur de réelles chances de réussite. En effet, Sibley, officier compétent et charismatique issu de la prestigieuse académie de West Point, vient de quitter Fort Union dans le Nouveau-Mexique. De fait, pour l’avoir vu de ses yeux, il sait que les garnisons de l’Ouest ont été grandement affaiblies par l’envoi d’hommes sur le front Est. En outre, la plupart de ceux qui les composent sont des recrues locales, commandées par des officiers parfois jeunes et dont l’expérience guerrière se limite aux raids comanches et navajos. De Denver dans le Colorado au désert d’Arizona, soit plus de 1280 km, on ne trouve plus que 5000 hommes de garnison.

De plus, on lui apprend que l’Arizona comporte beaucoup de colons pro-confédérés et que les populations à majorité hispanique du Nouveau-Mexique ne se sentent pas vraiment concernées par la guerre entre le Sud et le Nord : leur loyauté à l’Union est fragile, pense-t-il… Pour lui, 3000 cavaliers décidés peuvent réaliser ce rêve impossible aux conséquences incalculables en cas de succès. Le président Davis lui donne alors carte blanche et Sibley, promu général, se retrouve donc au début du mois d’octobre 1861 à San Antonio au Texas pour organiser sa brigade.

Dès le 7 février 1862, les hommes de Sibley partent de Las Cruces, près de El Paso, frontière entre Texas et Arizona, et remontent le Rio Grande en application du plan. Les cavaliers du Texas ont hâte d’en découdre. Si l’armement est hétéroclite, le moral est excellent et les officiers surmotivés. Objectif premier : Fort Craig, 193 km au nord, sur la route de Fort Union et de Santa Fe. Le colonel de l’Union, Edward Canby, qui commande ce poste, se méfie depuis des mois d’une telle entreprise et voici que ses éclaireurs lui annoncent l’arrivée d’une importante colonne confédérée en provenance du sud. Branle-bas-de combat ! Disposant de seulement quelques bataillons réguliers de valeur, il doit surtout compter sur la bonne volonté des milices et des volontaires du Nouveau-Mexique et du Colorado, dont la plupart sont d’origine hispanique.

 

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Le raid des cavaliers de Sibley, Google Maps

 

Toutefois, des officiers brillants encadrent ces hommes : Alexander McRae pour l’artillerie ; Kit Carson, véritable légende de l’Ouest, trappeur et éclaireur ; des Hispaniques comme Rafael Chacón, officier vétéran de la guerre américano-mexicaine de 1848 côté mexicain ; ou encore les frères Pino, très grands notables mexicains de la province du Nouveau-Mexique.

Le début février se déroule comme un curieux jeu du chat à la souris entre Canby et Sibley. Sibley arrive en vue de Fort Craig dès le 17 février, mais sachant que Canby dispose d’une supériorité de feu conséquente (en artillerie et fantassins), il n’ose pas l’attaquer. Il trouve alors la parade : essayer de couper Fort Craig par le nord pour obliger Canby à sortir du fort et lui tendre ensuite une embuscade. Pour cela, il faut se rendre maître du gué de Valverde à quelques kilomètres au nord-est de Fort Craig.

Or, Canby, qui dispose de très bons informateurs avec les volontaires de Kit Carson et de Rafael Chacón, comprend que le mouvement de Sibley cache quelque chose. Il détache alors son second, le lieutenant-colonel Roberts, avec une partie de ses troupes, pour occuper Valverde avant l’arrivée des Confédérés. La rencontre, inévitable, a lieu le 21 février, au petit matin.

Aux alentours de 8 h du matin, les avant-postes des Texas Rangers ouvrent déjà le feu dans un combat opposant les tirailleurs à l’infanterie fédérale qui arrive à toute allure depuis Fort Craig. Un duel d’artillerie se prépare sur les rives du Rio Grande entre les quelques pièces confédérées et les lourdes pièces nordistes, mais jusqu’à 10 h, personne ne fait le premier pas.

Le major Duncan, commandant un peu moins de 400 cavaliers réguliers nordistes démontés passe le gué avec ses troupes sans savoir ce qui l’attend de l’autre côté… En arrière, suivent l’infanterie et les volontaires de Chacón qui se positionnent pour traverser. Pendant ce temps, les Confédérés attendent passivement, sachant qu’ils sont trop peu nombreux pour l’instant : le major Green et son 5e bataillon de Texas Rangers sont encore loin du front et ne peuvent arriver que vers 13 h…

Près de 11 h et voilà des renforts nordistes avec les 450 réguliers de Selden qui prennent le flanc gauche. En face, les Sudistes ne sont que 1700 cavaliers et ne peuvent s’engager contre des fantassins bien soutenus par des canons lourds. Il faut attendre. Le colonel Canby quitte Fort Craig vers midi, avec le reste de ses troupes, certain que l’attaque confédérée aura bien lieu à Valverde. Sibley, de son côté, a laissé le commandement à Green, cloué au lit à cause d’une fièvre due à son alcoolisme notoire.

La vraie bataille peut réellement commencer vers 14 h, alors que Selden décide de franchir le Rio Grande avec son 5e régiment fédéral, accompagné par les volontaires à cheval du Nouveau-Mexique de Rafael Chacón. Maîtrisant parfaitement leurs tirs, les fantassins repoussent facilement les cavaliers confédérés embusqués, les obligeant à se retirer sur les hauteurs. Pendant ce temps, l’artillerie nordiste traverse le fleuve et se met en position pour pilonner les positions confédérées.

Canby vient d’arriver et les renforts affluent pour l’Union : volontaires de Kit Carson, réguliers de Wyngate, et plus loin, volontaires du Nouveau-Mexique de Pino… La situation est critique pour les Confédérés. Si désespérée que, pour stopper l’avancée nordiste, la compagnie B du 5e bataillon de Texas Rangers, équipée de lances, s’avance dans une charge terrible contre les postes avancés de Selden, croyant avoir affaire aux volontaires sans expérience du Nouveau-Mexique. Ils se retrouvent en réalité face à une compagnie du Colorado qui, se formant en carré, les détruit par un feu dévastateur.

 

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La charge des Confédérés à Valverde, peinture de Don Troiani

 

Une autre charge confédérée à l’aile opposée ne rencontre pas plus de réussite contre la cavalerie démontée de Duncan. Néanmoins, ces charges ont le mérite de mettre un frein aux mouvements nordistes car Canby veut sécuriser sa ligne. De fait, il commet une terrible erreur en envoyant les fantassins de Carson et Wyngate arrivés en renfort comme soutien à son aile droite, mise en difficulté par la seconde charge: son centre n’est désormais plus composé que des 85 hommes de la batterie McRae, qui reste dangereusement isolée.

Il est alors près de 16 h. Green, qui a fait resserrer son dispositif pour éviter les tirs d’artillerie dévastateurs de la batterie McRae, sait que ses hommes ne pourront plus tenir. La soif leur tord le ventre et les tirs d’artillerie se rapprochent sans qu’ils ne puissent y répondre. Les pertes deviennent lourdes et seule la moitié de l’effectif est encore en état de se battre Une seule solution : la charge. Celle-ci se met en place en trois vagues, avec tout ce que l’on peut encore rassembler des 4e et 5e Texas Rangers et, malgré le feu terrible de la batterie McRae, les 600 Confédérés menés par leurs officiers chargeant sabre au clair, dévalent de leur colline avec une telle furie qu’ils emportent tout sur leur passage. Tous les officiers sont tués ou blessés.

 

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Raid des Texas Mounted Rifles confédérés, New York Library Digital Collection

 

Jouant leur va-tout, les Confédérés, armés de tout ce qui est possible, carabines, fusil de chasse, pistolets, sabres ou même couteaux « à la Bowie », viennent littéralement s’encastrer sur la batterie McRae avec une violence terrible. « Pendant quelques instants, la lutte devint extraordinaire au-delà de toute description », se souvient un ancien du 4e Texas Rangers. Devant cette furia, les volontaires du Nouveau-Mexique se débandent à moitié, suivis par les miliciens de Denver et du Colorado, et certains réguliers du major Selden. Toute l’aile gauche nordiste s’effondre et avec elle sont perdus tous les canons, en dépit du courage du capitaine McRae et d’une partie des volontaires qui préfèrent mourir sur les pièces d’artillerie que de les abandonner. McRae, tranquille dans la tempête alors qu’il est couvert de blessures, ajuste ses tirs au pistolet avec un sang-froid impeccable, faisant mouche à chaque fois, avant de s’effondrer, fatalement, sur l’une de ses pièces.

Voyant un désastre absolu se profiler, Canby choisit de sauver ses hommes. Il rappelle les volontaires de Kit Carson, les cavaliers réguliers en réserve et le bataillon Wyngate du flanc droit en couverture, avant de faire sonner la retraite. Cette dernière s’effectue sans mal pour la moitié de son armée non engagée, compte tenu du fait que les Confédérés sont épuisés. La journée est pour eux mais au prix de très lourdes pertes avec 72 morts et 156 blessés, soit 9 % de l’effectif initial.

Cette victoire permet toutefois aux Confédérés de poursuivre leur marche vers le nord sans plus aucune opposition. Albuquerque, à 190 km au nord, est prise le 7 mars et Santa Fe, une centaine de kilomètres plus loin, le 13 mars. Les pistes de l’Est sont coupées et la menace sur les mines d’or du Colorado, moins de 500 km au nord, est réelle.

Mais c’est alors que les pertes subies à Valverde commencent à se faire sentir : la rupture logistique est proche pour ces quelques 2000 cavaliers perdus dans l’immensité de l’Ouest, tandis que les troupes de l’Union se refont avec des volontaires venus de tous les états voisins (notamment les volontaires du Colorado du major John Chivington, un pasteur méthodiste). Néanmoins, Green et Sibley tentent encore leur chance le 28 mars à Glorieta Pass, au sud de Santa Fe, près du fleuve Pecos : cette bataille, surnommée « le Gettysburg de l’Ouest », sonne le glas du rêve de Sibley.

Pourtant considérée comme une victoire confédérée sur le terrain, les pertes humaines et surtout matérielles de la journée, obligent malgré tout les Confédérés à abandonner toutes leurs conquêtes sous la menace d’une troisième bataille qui verrait leur anéantissement total : il faut reprendre la route du Texas.

RAPHAEL ROMEO

 

Source : La revue d’histoire militairerhm

 

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