André Posokhow, consultant.

♦ Dans le courant du mois de juillet a paru sur nos écrans un film anglais sur l’évacuation de Dunkerque par l’armée britannique en 1940.

Le film raconte abondamment les aventures personnelles de plusieurs militaires, marins et aviateurs britanniques au cours de la dizaine de journées que dura l’évacuation.

Mais il oublie complètement le rôle des chefs et des combattants de notre armée et de la marine française à Dunkerque qui permit de transformer cette défaite militaire en victoire morale. A ce titre il apparaît indispensable de rappeler plusieurs vérités.

 

En 1940 la contribution britannique au combat commun fut dérisoire

Malgré des efforts importants à partir de 1938 mais trop tardifs, les armées de la IIIe République n’étaient pas prêtes à affronter un conflit majeur face à l’ennemi germanique qui le préparait depuis vingt ans. Néanmoins la France disposait en 1940 d’une centaine de divisions, dont certaines excellentes.

L’Angleterre, qui avait focalisé très tardivement son effort sur sa propre défense : la marine et l’aviation, n’a décrété la conscription qu’en avril 1939. Au moment de l’attaque allemande, les Britanniques n’avaient posté que 11 divisions sur le front français. En 1940, leur contribution au combat supposé commun fut dérisoire.

Les erreurs stratégiques furent françaises et britanniques

L’erreur capitale du généralissime Gamelin fut de négliger le front de la Meuse, considéré comme inaccessible aux blindés, et de disperser les bonnes divisions françaises de la mer du Nord à la Suisse.

La décision d’entrer en Belgique et en Hollande avec une armée dédiée à la défensive pour un combat de rencontre fut la cause directe et immédiate de la catastrophe. Les responsabilités, généralement imputées à Gamelin, incombent au premier chef aux pouvoirs civils, plus particulièrement aux Britanniques (Conseil suprême interallié du 17/11/1939), qui avaient réclamé cette offensive funeste : l’opération Dyle-Breda, en faveur de laquelle W. Churchill a mené une campagne très active.

Les flottements reprochés au commandement français furent aussi le fait des Anglais

Les Anglais ont très rapidement reproché aux Français les flottements de leur haut commandement. De fait la néfaste organisation de celui-ci, la léthargie de Gamelin, le décès accidentel du général Billotte, l’état lamentable des communications et la vitesse de la ruée allemande désorganisèrent les chaînes de commandement.

Les autorités britanniques connurent également des hésitations puisque Churchill, appuyé par le général Ironside, chef d’état-major général impérial britannique, souhaitait contre-attaquer avec les Français alors que Lord Gort, commandant le BEF [British Expeditionary Force], soutenu par le général Dill, puis le War Office et le cabinet britannique, se tourna vers la mer en quelques jours.

D’où un comportement stratégique hésitant partagé entre la contre-attaque et le repli qui contribua à la confusion générale dès les premiers jours.

Le malentendu franco-anglais

L’accord du 28 mars 1940 n’avait pas défini les buts de guerre ni, plus grave, les obligations réciproques de chaque allié. Très vite l’incompréhension fut mutuelle entre les alliés : pour les Français, il s’agissait de défendre le sol de la patrie et il n’était pas question de l’abandonner ; pour les Britanniques et plus particulièrement pour Churchill, l’objectif était d’abattre Hitler, et, en cas d’échec grave, peu importait de quitter le continent puisque l’Angleterre semblait hors d’atteinte, disposait de son Empire et comptait sur l’intervention des Etats-Unis.

Le nouveau commandant en chef français, l’énergique Maxime Weygand, voulut organiser une contre-attaque générale qui aurait permis de tronçonner l’avancée allemande. Gort était très pessimiste sur les chances de succès de cette contre-attaque. Lorsque M. Weygand organisa une conférence des commandants en chef à Ypres le 21 mai, Lord Gort, pourtant averti, trouva des raisons pour ne pas assister à cette réunion capitale. Il en résulta que les contre-attaques françaises et britanniques furent décalées et inefficaces malgré un demi-succès britannique le 21 mai face à Arras.

La décision britannique de retrait de la bataille, du repli vers la mer et de lâchage des Français et des Belges

Dès le 17 mai, Churchill avait demandé que l’on étudie un éventuel retrait du BEF et 28.000 hommes des services arrières avaient été rapatriés en Angleterre.

Le 22 mai, Weygand présenta son plan de contre-attaque à un conseil interallié, devant Churchill et les généraux britanniques qui l’approuvèrent. Mais, de retour à Londres le 23 mai, le premier ministre fut contredit par son cabinet. Churchill se rendit à ses raisons, Lord Gort décrocha d’Arras le 24 mai et la manœuvre de Weygand s’écroula.

Comme le dit Bernard Legoux : « C’est donc bien Churchill qui, contrevenant aux accords passés par lui-même et refusant de prendre le moindre risque, donne son accord au retrait de la bataille de 9 divisions très bien armées, indispensables pour redresser la situation militaire et ayant, en fin de compte peu combattu, scellant ainsi le sort de la campagne ».

Mensonges britanniques et informations tardives communiquées aux Français

Le 25 mai, Gort prit la décision définitive de diriger le BEF vers Dunkerque en omettant de préciser que c’était dans l’intention de rembarquer et non de défendre une tête de pont aussi longtemps que possible. Le 26 mai, le commandement français ne put que donner l’ordre de repli vers le nord.

De même les Britanniques commencèrent le 26 mai et menèrent leur évacuation par la mer en ne prévenant pas les Français et même en la leur dissimulant. Ce fut une surprise pour l’amiral Auphan, en mission le 27 mai à Douvres, qui s’aperçut que les Britanniques préparaient l’évacuation depuis une dizaine de jours.

La retraite vers Dunkerque : les Anglais d’abord

Le résultat, voulu, fut que les Britanniques eurent toujours une longueur d’avance sur les Français, ce qui leur permit d’organiser une première défense de Dunkerque puis leur évacuation qui commença le 26 mai alors que celle des Français ne fut décidée que le 29 mai.

Leur ruée vers la mer se fit sans grands égards pour les colonnes françaises qui se repliaient derrière eux. Les Britanniques faisaient sauter les ponts, ce qui bloquait les axes de la retraite française.

Leurs troupes fixées autour du réduit de Dunkerque exigeaient le plus souvent des éléments français qui les suivaient qu’elles abandonnent leur armement lourd pourtant nécessaire pour protéger l’évacuation.

Les conséquences tragiques du lâchage britannique

La première conséquence fut l’écrasement des armées du nord. Une partie de la 1re armée en queue de colonne fut coupée de la mer et contrainte de constituer un réduit à Lille jusqu’au 1er juin où leur résistance acharnée retint plusieurs divisions blindées allemandes qui ne purent se tourner contre Dunkerque.

Découverte sur son flanc droit par le retrait britannique qui provoqua une très grande amertume chez les Belges, l’armée de nos voisins capitula le 28 mai.

Une conséquence fut que les conseils de guerre franco-anglais furent truqués par W. Churchill. A partir de la fin de l’évacuation il ne put fournir un renfort que de 2 divisions et refusa l’appui de la chasse britannique. En revanche, chef d’une armée qui avait abandonné le combat, il plaida avec sa véhémence célèbre pour que les Français continuent à se battre jusqu’au bout en invoquant l’accord informel du 28 mars, ce que ceux-ci ont d’ailleurs très largement fait d’une manière désespérée.

Les Anglais font valoir que si le BEF, soit une dizaine de divisions, disparaissait sur le continent ils n’auraient plus eu d’armée et n’auraient pu poursuivre la guerre. C’est tout à fait juste. Mais dans cette affaire ils ont fait payer aux Français et aux Belges la note cuisante du désarmement de leur armée pendant l’entre-deux guerres et leur gigantesque impréparation.

Le miracle du Haltbefehl (*)

Dunkerque fut sauvé en grande partie par le Haltbefehl ordonné par Hitler du 24 mai au 27 mai, qui permit aux Alliés d’organiser le réduit de Dunkerque. Sans cette décision imprévisible il n’y aurait pas eu de « miracle de Dunkerque ».

Parmi les raisons de cet ordre ont certainement joué un grand rôle les pertes, l’usure de matériels des divisions blindées malgré la déroute française, l’affaire d’Arras et la crainte de contre-attaques françaises pouvant venir du sud.

Calais et Boulogne : l’occultation mensongère par le livre de Levine de la résistance française

A Calais, Français et Britanniques combattirent jusqu’au bout coude à coude.

A Boulogne-sur-Mer, les Anglais s’évacuèrent en plein combat et les Français résistèrent sans eux jusqu’au bout et leur chef, le général Lanquetot, eut droit aux félicitations allemandes pour sa résistance.

Pendant l’évacuation la défense de Dunkerque fut principalement assurée par les troupes françaises

Si les Britanniques ont lâché les Belges, leurs unités de Belgique ont dû rejoindre le camp retranché en combattant durement. Disposant d’un temps d’avance, les Britanniques ont organisé une défense sommaire autour du camp retranché tout en démarrant leur évacuation.

Le miracle de Dunkerque est dû à la résistance acharnée menée par les troupes françaises des débris de 3 divisions, soit à peu près 30.000 hommes sous les ordres de l’amiral Abrial, contre seulement 2000 à 6000 Britanniques, ce dont ne font pas mention le film ni le livre anglais sur Dunkerque.

Jugement du général Von Kuchler, commandant la 18e armée allemande engagée face à la poche de Dunkerque : « En résistant une dizaine de jours à nos forces nettement supérieures en effectifs et en moyens, l’armée française a accompli un superbe exploit qu’il convient de saluer. Elle a certainement sauvé la Grande-Bretagne de la défaite en permettant à son armée professionnelle de rejoindre les côtes anglaises. »

Une évacuation prioritairement au profit des Britanniques

Ce furent les Britanniques qui décidèrent d’eux-mêmes du lieu, de la date, du calendrier et des modalités des évacuations de Dunkerque sans, au début, concertation avec les Français.

L’opération Dynamo commença le 26 mai sur instructions de Londres qui commença à mobiliser tous les bateaux possibles, y compris de petits bateaux de plaisance comme cela est montré dans le film.

Le 31 mai, lors d’un conseil de guerre interallié, W. Churchill annonça que, grâce à un effort considérable de la Navy, 165.000 hommes avaient été évacués, dont 15.000 Français. Devant les protestations des Français face aux faibles chiffres d’évacués de nos troupes, il déclara que les départs se feraient bras dessus bras dessous. Le film fait allusion à ce mot historique. Il n’est pas possible de dire que les généraux anglais, Gort et Alexander, aient suivi loyalement les intentions affichées du 1er ministre.

Le dernier Anglais fut embarqué le 2 juin au petit matin, portant le total évacué des Britanniques à 225.000. La Navy tentée d’arrêter ses efforts après le dernier Britannique embarqué, il fallut l’insistance de P. Raynaud et de M. Weygand pour qu’elle poursuive les évacuations des Français. Elle le fit en liaison avec la marine française jusqu’à la nuit du 3 au 4 juin avec un dévouement qu’il convient de souligner, contrairement au BEF, portant ainsi le nombre des Français évacués à 123.000 (chiffre de D. Lormier).

Sur 400.000 combattants à Dunkerque, 348.000 purent s’échapper. Restèrent à Dunkerque et furent faits prisonniers environ 40.000 Français, dont, notamment, les 20.000 derniers défenseurs qui tinrent bon jusqu’au dernier moment.

Cela n’aurait pas été le cas si les Anglais avaient eu la loyauté d’avertir les Français en temps utile, ce qui aurait permis une concertation qui exista mais fut tardive. Les Britanniques étaient trop désireux d’imposer leurs propres plans pour sauver le BEF.

La marine française joua un rôle important et décisif mais rarement cité

Il faut souligner qu’en un temps record la marine française produisit un effort semblable et mobilisa également un grand nombre de petits bateaux, ce que l’on oublie généralement et dont ni le film ni le livre ne fait mention et auquel il faut rendre hommage. Le livre de D. Lormier estime le nombre des militaires alliés sauvés par la marine française à 102.570, ce qui est nettement supérieur aux estimations britanniques.

L’effort français apparaît significatif. Sur 848 navires utilisés pour l’opération, 300 étaient français, soit un gros tiers.

L’aviation britannique fut efficace et se dévoua en faveur de l’évacuation anglaise

Les Spitfire ne commencèrent à être utilisés que pour protéger les embarquements à Dunkerque menacés par des attaques et des bombardements allemands massifs. Contrairement à ce que ressentirent les soldats anglais leur intervention fut importante et d’une efficacité décisive.

C’est après Dunkerque que, malgré les demandes répétées et sans espoir des Français, l’appui aérien britannique à la bataille de France fut quasi nul. A l’évidence les Anglais pensaient à la défense de leur sol, ce qui peut se comprendre. Une fois de plus ils ont fait payer très cher aux Français leur impréparation abyssale et leur incohérence diplomatique.

Un accueil chaleureux mais qui laissa un goût quelque peu amer aux Français

Les soldats français furent admirablement accueillis par la population anglaise bien qu’ils fussent frappés de croiser autant de jeunes gens de leur âge en tenue estivale en train de profiter du beau temps printanier alors qu’eux-mêmes allaient réembarquer pour participer à la bataille de France.

Le défaitisme français incriminé par une propagande permanente

Il y eut des paniques les premiers jours. Mais, là où elles furent organisées et commandées et où elles le purent, de nombreuses unités françaises firent face. A Hannut, Gembloux, Stonne, le Verdun de 1940, Lille, à Boulogne et à Dunkerque même et plus tard, les Français, malgré la faillite du haut commandement, ont opposé une résistance acharnée dans des conditions tragiques.

Le fameux discours du 4 juin de Churchill disant « Nous nous battrons en France et sur les plages, nous ne nous rendrons jamais » se place à une date où les Anglais avaient cessé de lutter aux côtés des Français qui, pour leur part, loin de renoncer, s’apprêtaient à affronter l’assaut allemand sur la Somme et l’Aisne à un contre trois, et avec l’appui d’une seule division anglaise.

Des pertes humaines déséquilibrées et révélatrices des efforts de chacun

Si l’on en croit Wikipedia, les pertes françaises de la Campagne de France, longtemps surévaluées, furent de 58.829 morts et environ 123.000 blessés (hors civils).

L’armée britannique, quant à elle, perdit 3.458 morts et 13.602 blessés.

Ces chiffres reflètent l’effort de chaque allié dans la première campagne d’une guerre déclarée dans les pires conditions par la Grande-Bretagne et sont confirmés par les pertes strictement liées à la bataille de Dunkerque : selon D. Lormier, en neuf jours de combat, 18.219 militaires alliés furent tués ou portés disparus, dont 16.000 soldats français et 2.219 britanniques, ce qui indique la participation de chaque nation au combat commun.

Conclusion

Certes, la situation stratégique après le 10 mai 1940 était désastreuse. Mais un effort commun et mieux coordonné aurait peut-être pu permettre de la sauver. En quelques jours Gort s’est tourné vers la mer alors que ses 10 divisions constituaient une force presque intacte, en tout cas moins diminuée que la française et la belge.

Les Français croyaient que les Britanniques étaient leurs alliés. Douce naïveté ! Pour les Anglais, le continent et particulièrement la France n’étaient que des bastions avancés qu’ils pouvaient sacrifier pour se retirer dans leur île donjon bien défendue par une douve de 40 km si les choses se gâtaient. C’est ce qu’ils firent.

Comment Churchill pourra-t-il, au mois de juin, lorsque l’armée française sera submergée par l’Allemagne triomphante, réclamer une résistance qui eût amené la destruction de Paris et l’application de guérillas dans toute la France ? Il n’y a pas incohérence : il y a infamie.

André Posokhow
6/09/2017

(*) Haltbefehl : Ordre d’arrêter. Les historiens se querellent toujours sur les raisons profondes de ce fameux ordre. Un certain nombre d’explications sont évoquées, y compris le fait que Hitler « aurait souhaité éviter d’accabler l’Angleterre afin de l’amener à une paix de conciliation », écrit Pierre Montagnon, dans La France dans la guerre de 39-45. – NDLR.

Correspondance site Polémia – 8/09/2017.

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