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Après avoir reposé, la dernière ligne avidement lue, « EN CE TEMPS LA... », le livre de souvenirs de Pierre-Antoine Cousteau, mon regret s'est avivé de ne pas l'avoir connu.

Il y a de ces parties de colin-maillard du destin qui prend autant de soin de vous éviter des rencontres bénéfiques que d'en multiplier certaines dont, tout compte fait, nous nous serions passés le plus aisément du monde.

Aussi bien qu'à Louis-Ferdinand Céline, on pourrait appliquer à Cousteau le propos de Paraz sur le bon­heur de découvrir un homme derrière un auteur, propos merveilleusement dit par cette grande voix qui s'est tue, mais pieusement recueillie sur un disque, comme les tex­tes de Cousteau dans un livre par les soins de son ami Coston.

Pierre-Antoine Cousteau, dans un monde où l'espèce en se multipliant s'abâtardit dangereusement et vérifie le pronostic nietzschéen du sous-homme vautré dans les « sé­curités sociales » comme le pourceau dans sa fange, nous a donné l'exemple de ce que pouvait être l'Homme.

En suivant ces pages écrites en prison avant la condam­nation à mort, puis dans les chaînes, nous verrons se pré­ciser une image, de plus en plus nettement mise au point, non certes de l'Homme fasciste, mais d'une variété authen­tique de l’homme fasciste. Aujourd’hui que le temps est venu des « psychologues à brevet », il y a trois siècles c'étaient des ducs, il y aurait un travail bien passion­nant, pour un psychologue, breveté ou non, mais intelligent et honnête, qui consisterait à dénombrer les diverses familles spirituelles qui ont donné naissance, au XX° siècle à l'homme fasciste. Car notre siècle sera, qu'on le veuille ou non, le siècle du fascisme.

Ce ne serait évidemment pas le moindre étonnement du profane que de découvrir alors qu'au commencement de tout fasciste il y a eu, presque toujours, un anarchiste et constamment un insurgé. Oui un insurgé comme Jules Valles.

Pierre-Antoine Cousteau n'a pas démenti cette règle. Mais c'était par son origine bourgeoise un anarchiste bien élevé, de ceux que je nommais jadis, à la grande joie  de Roger de Laforest que les parties de colin-maillard du destin replacent   si   parcimonieusement sur   mon chemin, « les anarchistes de Sainte-Croix-de-Neuilly ». Encore   quel Cousteau ait fait ses études à Louis-le-Grand : I

« Catholique et français. Mais pas toujours. Provisoirement. Dès mon entrée en classe de seconde, à Louis-le-Grand tout changea. Je découvris le libre examen et je m'installai avec une remarquable aisance dans la négation.

C'était une attitude facile. Je n'aurai point la sottise d'en tirer rétrospectivement quelque orgueil. Le conformisme du non-conformisme est un des ridicules permanents de l'adolescence et rien n'est plus éloigné du scepticisme fécond que ces insurrections saisonnières de jeunes chiens qui n'ont d'autres fon­dements que l'ignorance et la présomption. »

« Scepticisme fécond » ? Eh bien le jeune Cousteau n'en était pas si éloigné dès cette date où il lisait Anatole France avec délectation. Non point, bien sûr, parce qu'il pensait que l'idéal était de mourir confortablement dans son lit, il eut très jeune un mépris tout Pascalien de la guerre, du moins de ce que l'industrie a fait de la guerre.

Et comme la seule guerre imaginable pour un jeune Fran­çais des années 20 était une nouvelle guerre franco-alle­mande, l'antigermanisme doctrinal de L'Action Française non seulement le retint de s'intéresser à ce mouvement, mais le rejeta vers l'extrême-gauche.

« J'avais compris, solidement compris, avant même d'avoir de la barbe au menton, qu'il n'y avait de vie possible pour les Français que s'ils s'accordaient avec les Allemands. Après tout, on pactisait bien avec les Anglais, qui étaient des ennemis autrement héréditaires ! Et l'Entente Cordiale valait tout de même mieux que Trafalgar ou Waterloo... Parmi mes certitudes d'adolescent, c'est, je crois bien, la seule qui se soit maintenue à peu près intacte jusqu'à ce jour... »

Son bac philo décroché à la session d'octobre, au milieu du bouillonnement de cette première après-guerre du siè­cle si démoralisante, mais aussi si excitante pour les sens et l'esprit, notre jeune extrémistes ne délibère point trop longtemps sur l'orientation de sa vie. La voie toute tracée d'une Ecole parfaitement à sa portée, car Cousteau était un sujet bien doué et son premier échec n'avait été dû qu'au jugement sévère porté sur son carnet scolaire par un professeur de philo trop souvent nargué, cette voie trop facile ne le séduit pas et il s'en écarte sans discussion, avec la volonté naïvement balzacienne de faire fortune et naturellement rapidement, comme on voyait bien par de nombreux exemples, qu'il était possible de le faire. Mais les affirmations plus ou moins cyniques de la prime jeunesse n'ont pas grande portée, et Pierre-Antoine Cousteau n'al­lait pas tarder à constater qu'il n'était pas plus doué pour faire fortune dans « les affaires » que l'ex-collégien de Vendôme. Encore eut-il la chance, personne ne lui ayant prêté d'argent, d'éviter le boulet d'une dette à traîner sa vie durant.

Il est d'ailleurs possible qu'il ait alors obéi au besoin d'agir, et plus probablement encore à l'impulsion de cette poésie de l'action qui apparaît si fascinante chez les personnages balzaciens à commencer par César Birotteau et Gaudissart. Et Paul Claudel, grand poète sans ca­ractère, a bien avoué dans une interview donnée à Paris-Soir, en pleine occupation, mais oui le Paris-Soir de Cousteau, qu'il n'avait jamais ressenti plus parfaitement le sentiment de sa pleine efficience que lorsqu'il commandait sur les marchés de l'Amérique du Sud « tel un général de l'épicerie, des tonnes de viandes en conserve pour le ravi­taillement de la France, au cours de la première guerre. »

Besoin d'agir qui se manifestait aussi, avec une amu­sante fantaisie, par l'activité sportive de Cousteau rug­byman. Suffisante toutefois pour lui permettre de devancer l'appel et de passer ses dix-huit mois au service météoro­logique de l'armée, alors colonisé par les rejetons de no­tables Israélites fort bien pourvus d'espèces fiduciaires et de relations parmi les Princes du régime.

Après quoi il put redire son « à nous deux Paris », mais pour commencer il allait s'asseoir dans un bureau d'une Société maritime, puis tâter du commerce.

 « II est possible, il est même certain que d'autres réussissent à gagner leur vie en vendant des choses à des gens qui n'en veulent pas. Pas moi. C'est dans mon cas une sorte d'impossibilité physique. D'abord lorsque j'essaie de vendre quelque chose, je suis au départ frappé d'inhibition, j'ai mauvaise conscience, j'ai l'impression confuse d'accomplir une vilaine action, de me livrer à une activité inavouable. Pour peu que l'acheteur présumé soulève la moindre objection, j'ai trop de savoir-vivre pour bousculer son libre arbitre, trop de respect de la personne humaine pour le violenter. »

Ses  années d'apprentissage comporteront encore un  séjour aux Etats-Unis où l'invitent de jeunes Yankees à qui il avait eu la gentillesse de faire connaître le « Gay Paris » et de retour, il doit s'avouer qu'il a, jusqu'à présent, « ma­gnifiquement échoué ».

Toutefois., il pratiquait l'anglais et même le slang, ses jeunes amis américains n'ayant pas voulu être en reste et c'était justement ce qu'il fallait à une femme de lettres fort séduisante et à la mode, Mme Titayna, à qui l'on venait de commander une traduction d'auteurs anglais. Malheureusement Mme Titayna ignorait jusqu'au rudi­ment de la langue de Shakespeare, ce qui n'était pas une raison de refuser la commande bien entendu.

Et pour dédommager notre ami qu'elle avait oublié de rétribuer, elle le recommanda à Marsillac, alors rédac­teur en chef du Journal, qui, ayant un poste vacant, « aux commissariats », engagea Cousteau séance tenante.

Ravi, mais non point ébloui, il rédige avec le recul des années, ce jugement qui n'est point si sévère qu'il y paraît à première vue :

« Le journalisme n'est pas une vocation. On ne s'y prépare pas. On ne s'y destine pas. On devient journaliste par nécessité lorsqu'on a échoué un peu partout dans diverses professions. Le recrutement des salles de rédaction est un recrutement de ratés. Et c'est d'ailleurs bien commode pour ceux qui ne se sont pas complètement dépourvus de qualités. »

Et il est vrai qu'un garçon qui n'était point idiot avait sa chance dans les journaux des gros marchands de pa­pier d'avant-guerre et que, somme toute ce job — car ex­ception faite pour les secrétaires de rédaction, j'accorde bien volontiers que le journalisme n'est pas un métier — a eu le mérite nullement négligeable de faire vivre de nombreux écrivains et des artistes. Cousteau ne croupit donc pas aux faits divers.

Tout de même, nous sommes loin de l'homme fasciste que j'ai promis, c'est que l'homme fasciste chez Cousteau fut de lente gestation. Comme j'ai conté la mienne qui ne fut pas plus rapide, ici même, il y a quelques années, je serais bien mal venu de lui reprocher cette lenteur.

Les avatars de sa vie de journaliste laissent encore in­tactes ses convictions d'homme de gauche admirateur naïf du Parti, du Parti Communiste bien entendu.

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Il ne commencera à se troubler que lors de la grande volte-face qui devait transformer, après la prise du pou­voir par les nationaux-socialistes, les pacifistes profession­nels en patriotes chatouilleux de style Déroulédien. Mais c'est sa rencontre avec Gaxotte et l'équipe seconde de « Je suis Partout. », dominée par la légendaire figure de Robert Brasillach qui précipite son évolution et littéralement lui fait tomber les écailles des yeux. Le refus de participer à la croisade des Démocraties, que Champeaux dénon­çait avec tant de lucide intelligence, fut en fait l'élément catalyseur qui devait, d'une part, précipiter la prise de conscience fasciste d'un petit noyau de Français, jamais très nombreux bien sûr, mais qui aurait largement suffi à peser très fort sur les événements si la rivalité des ligues entre elles ne les avait pas toutes lamentablement affaiblies et, d'autre part, expliquer le ralliement de tant d'éléments disparates enfin éclairés par la catastrophe, autour du Ma­réchal Pétain.

Au reste, Cousteau avait aussi, innés, bien d'autres traits de caractère que l'on retrouve toujours chez l'homme fasciste. En premier lieu, le goût du risque, le sens de la vie dangereuse, le mépris du mensonge et cette double volonté restauratrice et révolutionnaire qui est à mon avis la com­posante majeure d'un type humain pleinement accompli au XXe siècle et que j'ai constamment retrouvée chez des hommes aussi différents que Messine, Bassompierre, Vaugelas, le Colonel Lelong, Constanzo, Charbonneau, Philippe Henriot, Paul Marion, Victor Arrighi, Detmar, Dumontel, Henri Lebre, Drieu la Rochelle, Jean Fontenoy, Maurice Bardèche et d'autres que j'oublie parmi les vivants et les morts.

Sans doute pourrait-on souligner chez les uns et les au­tres les particularités propres aux soldats, aux politiques, aux fonctionnaires, aux écrivains, mais chez tous on retrou­verait les éléments constitutifs ci-dessus énumérés et qu'une requête de Franco complètement apolitique devait résumer d'un mot élégant et désinvolte « cuestion de estetica », ce qui est une autre façon de dire « Weltanschau ».

Après le cyclone, Cousteau connut lui aussi cette sérénité des cellules de Fresnes où nous vérifions à chaque rumeur confirmée venue de l'extérieur combien nous avions eu raison.

L'héroïsme tranquille dont Cousteau fit preuve devant ses « juges » devait hélas avoir son prolongement treize ans plus tard lorsqu'il affronta lucidement la mort dans son lit.

Dans le monde incertain, le monde est toujours incertain, bien sûr, mais il est aujourd’hui incertain et absurde aux yeux de tous, et c'est son trait distinctif où se poursuit et où s'achèvera peut-être hélas le cours de nos vies, les écrits posthumes de Pierre-Antoine Cousteau sont un tonique de choix qui nous aidera à conserver cette liberté inaliénable que notre ami, nous-mêmes et tant d’autres avons su goûter dans les geôles.

Car l'homme fasciste est aussi épris de liberté.

J.M. AIMOT

(Sources : Défense de l’Occident – Juillet 1959)

 

 

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