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Une femme proteste contre BP. (Photo : Oli Scarff / Getty)

 

Le Foreign Office est en grande partie sous l’emprise du pollueur climatique mondial BP. De l’Iran à l’Azerbaïdjan, de l’Irak au Nigeria, de la Russie au Venezuela, le Royaume-Uni privilégie les profits de l’entreprise au détriment d’une politique étrangère digne de ce nom.

Declassified UK a récemment révélé que BP a pompé du pétrole irakien pour une valeur de 15 milliards de livres Sterling depuis que les armées britannique et américaine ont envahi le pays en 2003.

Les gouvernements de Londres et de Washington ont longtemps nié que la guerre en Irak était liée au pétrole. Pourtant, BP est revenu dans le pays en 2009 après 35 ans d’absence et a obtenu une participation importante dans le plus grand champ pétrolier d’Irak, près de Bassorah, dans le sud du pays, une ville occupée par les Britanniques.

Une situation similaire s’était produite en Libye à la suite d’une autre intervention militaire britannique en 2011.

Onze ans après cette guerre, en octobre de l’année dernière, la National Oil Corporation libyenne a accepté que BP commence à forer pour trouver du gaz naturel dans le pays. BP contrôle des zones d’exploration en Libye qui couvrent près de trois fois la superficie du Pays de Galles.

Les responsables britanniques ont depuis longtemps l’habitude de mener des guerres qu’ils prétendent être dans l’intérêt des droits humains, alors qu’il s’agit en réalité de pétrole ou de géopolitique.

Des dossiers déclassifiés montrent que le gouvernement travailliste de Harold Wilson a secrètement armé et soutenu l’agression du Nigeria contre la région sécessionniste du Biafra à la fin des années 1960. La priorité était encore une fois les intérêts pétroliers, alors détenus conjointement par BP et Shell.

L’impact des guerres pétrolières britanniques ne pourrait être plus important. La guerre du Biafra a été la pire crise humanitaire de la fin des années 1960, causant la mort de près de trois millions de personnes.

En Irak, des centaines de milliers de personnes ont été tuées au milieu d’une catastrophe humanitaire. La Libye, quant à elle, a été transformée en refuge pour le terrorisme et les marchés d’esclaves, et a été plongée dans une guerre civile dont elle ne s’est pas encore remise.

 

Dictatures

Une autre mauvaise habitude de Whitehall [Siège du Gouvernement britannique, NdT] – soutenir des régimes répressifs dans le monde entier – s’explique aussi en grande partie par la promotion des intérêts de BP.

Le coup d’État britannique le plus connu, et l’un des plus importants depuis la Seconde Guerre mondiale, a eu lieu en Iran en 1953. Le MI6 et la CIA ont renversé le gouvernement démocratiquement élu du pays qui avait nationalisé le pétrole : la cible principale était l’Anglo Iranian Oil Corporation, un précurseur de BP.

Les dossiers montrent que la Grande-Bretagne préférait un dictateur au pouvoir à Téhéran qui répondrait à la recherche de profits de BP. Londres et Washington ont donc installé le Shah, qui a régné d’une main de fer pendant un quart de siècle avec le soutien des Britanniques et des Américains.

40 ans plus tard, le MI6 aurait été impliqué dans deux coups d’État en Azerbaïdjan, pays riche en pétrole, en 1992 et 1993, afin de promouvoir les intérêts pétroliers britanniques – en particulier ceux de BP – dans le pays.

Peu de détails sont connus sur ces épisodes. Un article des médias britanniques détaillant les opérations a été retiré, peut-être à la suite d’un avis de type D du gouvernement (une demande de censure), et peu de choses ont été révélées depuis.

Ce sont également les intérêts pétroliers britanniques qui expliquent pourquoi Whitehall a cherché à destituer le gouvernement de Nicolás Maduro au Venezuela, un pays qui se targue d’avoir les plus grandes réserves de pétrole prouvées au monde.

Alan Duncan, qui a servi de 2016 à 19 ans, était l’un des ministres à l’origine de l’effort britannique de changement de régime au Venezuela, qui impliquait de reconnaître la figure de l’opposition Juan Guiado comme président.

Duncan a noté : « La relance de l’industrie pétrolière [au Venezuela] sera un élément essentiel de tout redressement, et je peux imaginer que des entreprises britanniques comme Shell et BP voudront en faire partie. »

 

Égypte, Oman, Venezuela

Tout en prétendant défendre la démocratie, les planificateurs de Whitehall préfèrent régulièrement les dictateurs parce qu’ils sont plus favorables aux affaires.

En Égypte, le Royaume-Uni a aidé à soutenir Abdul Fattah al-Sisi depuis qu’il a pris le pouvoir en 2014 après qu’un coup d’État militaire a renversé le premier dirigeant démocratiquement élu du pays l’année précédente.

Le pétrole est le principal intérêt du Royaume-Uni en Égypte, ce qui explique son soutien au dictateur, qui s’est lancé dans une répression politique sans précédent dans le pays. Au cours des dernières décennies, BP a produit près de 40 % du pétrole égyptien et produit actuellement 50 % de son gaz.

« Les planificateurs de Whitehall préfèrent régulièrement les dictateurs »

En 2015, l’année suivant l’arrivée au pouvoir de Sisi, BP a annoncé un nouvel investissement de 9 milliards de dollars dans le développement gazier du delta du Nil occidental, qui comprend cinq champs gaziers. L’entreprise détient actuellement une participation de 83 % dans le projet, qui représente 25 % de la production de gaz de l’Égypte.

De l’autre côté de la mer Rouge, en Arabie, se trouve le plus proche allié de Whitehall au Moyen-Orient, la dictature d’Oman. Son précédent sultan, qui a régné pendant 50 ans, a été installé en 1970 à la suite d’un coup d’État soutenu par les SAS [forces spéciales britanniques, NdT], et le pays abrite secrètement des bases d’espionnage britanniques.

BP a réalisé d’importants investissements à Oman, notamment dans ce qu’elle appelle le « champ gazier géant de Khazzan », dans lequel elle détient une participation de 60 % – une proportion très élevée au regard des normes internationales – l’État omanais n’en conservant que 40 %.

 

Affaires secrètes au Brésil

Ce sont également les intérêts pétroliers qui expliquent en grande partie les transactions secrètes de la Grande-Bretagne avec le Brésilien Jair Bolsonaro, qui était au pouvoir entre 2019 et 2012, et avec l’extrême droite brésilienne.

Les responsables britanniques avaient depuis longtemps les yeux rivés sur les ressources économiques du pays sud-américain, notamment ses réserves de pétrole et de gaz.

Des millions de livres Sterling d’aide britannique ont été dépensées pendant la présidence de Bolsonaro axée sur « l’ouverture » des marchés énergétiques brésiliens afin d’offrir des « opportunités » aux entreprises britanniques.

Des documents révèlent que des fonctionnaires britanniques ont rencontré les Bolsonaro dans les mois qui ont précédé l’élection brésilienne de 2018 et ont continué à collaborer avec eux après celle-ci.

Le Royaume-Uni avait fait pression sur le gouvernement brésilien au nom de BP et de Shell en 2017, et l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Brasília, Vijay Rangarajan, a rencontré des représentants des deux entreprises pas moins de 20 fois en 2018 et 2019.

 

La connexion russe

La Russie a été un autre grand objectif pour BP au cours des dernières décennies. La société a aidé Vladimir Poutine à asseoir son emprise sur le pays en pompant de grandes quantités de pétrole jusqu’à ce qu’elle annonce qu’elle quittait le pays à la suite de l’invasion de l’Ukraine en 2022.

Declassified a révélé que, sous le règne de Poutine depuis 2000, BP a extrait de la Russie du pétrole pour une valeur de 271 milliards de livres Sterling.

Cette stratégie a été mise en place avec l’aide du Premier ministre de l’époque, Tony Blair, qui a déclaré à Poutine en 1999 que les actifs de BP représentaient « un intérêt britannique important en Russie. »

En 2003, BP était devenu le plus gros investisseur étranger de l’histoire de la Russie et son partenariat avec l’entreprise gazière publique Gazprom avait été « béni […] par Poutine lui-même », selon un câble américain ayant fait l’objet d’une fuite.

Des preuves suggèrent que Blair et le MI6 ont aidé Poutine à se faire élire en 2000 et que l’une des raisons était d’aider les intérêts de BP en Russie, alors en péril.

Des documents du Foreign Office, obtenus par Declassified, demandaient à Blair de faire pression pour BP concernant la faillite de la compagnie pétrolière russe Sidanco, dans laquelle BP avait acheté une participation de 10 % en 1997 pour 571 millions de dollars.

Sidanco a finalement été sauvée et, en 2002, BP a augmenté sa participation dans la société à 25 % pour 375 millions de dollars supplémentaires. En 2003, BP a versé 7 milliards de dollars supplémentaires à la compagnie pétrolière russe TNK pour former une coentreprise à parts égales afin d’exploiter les gisements de pétrole de Sibérie.

Dans ses relations avec Poutine à cette époque, Blair a ignoré la guerre brutale menée par la Russie en Tchétchénie au profit d’une offensive de charme, y compris l’exportation d’équipements militaires britanniques, dont l’objectif était essentiellement d’obtenir du pétrole russe pour BP.

 

Le lien avec les services de renseignement

BP a été fondée en 1909 sous le nom d’Anglo-Persian Oil Company et a pris le nom de British Petroleum Company en 1954.

L’entreprise est depuis longtemps proche du MI6, le service de renseignement secret britannique. Dans un article paru en 2007 dans le Mail on Sunday, qui a été supprimé par la suite, un dénonciateur de l’entreprise affirmait que « BP travaillait en étroite collaboration avec le MI6 au plus haut niveau pour l’aider à gagner des marchés […] et à influencer le climat politique des gouvernements. »

L’ancien officier renégat du MI6 Richard Tomlinson a écrit dans ses mémoires de 2001 que BP a des « officiers de liaison du MI6 qui reçoivent des CX [renseignements] pertinents. »

« L’ancien chef du MI6, Sir John Sawers, est l’une des personnalités qui a su tirer son épingle du jeu au sein de BP »

L’un des personnages qui s’est bien débrouillé avec BP est l’ancien chef du MI6, Sir John Sawers, qui a rejoint l’entreprise en tant qu’administrateur non exécutif en mai 2015. Il a apparemment été « identifié » l’année précédente lorsqu’il a quitté ses fonctions à la tête de l’agence d’espionnage.

Au cours des sept années suivantes, Sir John Sawers a perçu des honoraires de 1,1 million de livres Sterling de la part de la société et a accumulé une participation d’une valeur de 135 000 livres Sterling l’année dernière. « John apporte une longue expérience de la politique internationale et de la sécurité, qui sont si importantes pour notre entreprise », a déclaré BP.

Sawers a été conseiller de Blair en matière de politique étrangère de 1999 à 2001 et, en mai 2003, il a été nommé premier représentant spécial de la Grande-Bretagne pour l’Irak après l’invasion.

Une autre personnalité du MI6, l’ancien chef de la lutte contre le terrorisme, Sir Mark Allen, a également rejoint BP après avoir quitté le gouvernement, aidant l’entreprise à négocier un contrat de forage pétrolier de 15 milliards de livres avec Mouammar Kadhafi, le dictateur libyen de l’époque.

Allen avait noué des relations avec le régime de Kadhafi lorsqu’il travaillait pour le MI6.

 

Le pantouflage encore et toujours

Pantoufler entre le MI6 et Whitehall est une habitude. Parmi les hauts fonctionnaires devenus conseillers de BP figurent le général Nick Houghton, ancien chef d’état-major de la défense, et Lord George Robertson, ancien secrétaire à la Défense du parti travailliste devenu secrétaire général de l’OTAN.

Mais le pantouflage fonctionne également dans l’autre sens, ce qui signifie que les responsables de BP peuvent entrer au gouvernement. Tel John Manzoni, qui a passé 24 ans chez BP, y compris au sein de son conseil d’administration, avant de devenir secrétaire permanent du Cabinet Office – l’un des plus hauts fonctionnaires du Royaume-Uni – et directeur général de la Fonction publique de 2014 à 20 ans.

Deux directeurs généraux de BP, Bernard Looney et Bob Dudley, ont récemment siégé respectivement au Business Council et au Business Advisory Group de Boris Johnson et de David Cameron.

La situation n’est guère différente sous le régime travailliste. Quelques jours après la victoire électorale de Blair en 1997, l’ancien président de BP, Sir David Simon, a été anobli et nommé ministre du Commerce.

Les détachements sont un autre moyen de tisser des liens étroits. Par exemple, Simon Collis, qui est devenu ambassadeur britannique en Arabie saoudite, en Irak, en Syrie et au Qatar, a été détaché auprès de BP entre deux postes diplomatiques en Jordanie et aux Émirats arabes unis.

À ce poste, il était responsable des relations politiques et gouvernementales de BP pour le Moyen-Orient.

 

Conséquences

La promotion de BP par la Grande-Bretagne a des conséquences majeures. L’entreprise, qui travaille dans plus de 60 pays, fait partie des quatre entreprises mondiales responsables de plus de 10 % des émissions mondiales de carbone depuis 1965 (les trois autres étant Shell, Chevron et Exxon).

Le groupe Global Justice Now estime que l’impact de BP sur le changement climatique pourrait coûter aux pays du Sud la somme astronomique de 1 560 milliards de dollars.

En 2022, BP a réalisé son plus gros bénéfice (32 milliards de livres Sterling) depuis plus d’un siècle, alors que les factures d’énergie des Britanniques montent en flèche et que les demandes d’imposer des taxes plus élevées à l’entreprise se multiplient. Celle-ci prétend opérer une transition vers les énergies vertes, mais continue d’investir massivement dans les combustibles fossiles.

Dans une enquête récente, le public britannique a considéré le changement climatique comme la principale menace pour la sécurité. BP joue donc un rôle clé dans la mise en danger de la vie des citoyens britanniques et du monde entier.

Les guerres, les coups d’État, les dictatures et le changement climatique sont autant de conséquences de la promotion de BP par Whitehall. Actuellement, le gouvernement britannique prend les choses à l’envers : il devrait sanctionner et censurer son partenaire pétrolier de longue date, au lieu de lui donner du pouvoir et d’être de connivence avec lui.

Au sujet de l’auteur

Mark Curtis est le rédacteur en chef de Declassified UK et l’auteur de cinq livres et de nombreux articles sur la politique étrangère du Royaume-Uni.

Source :Declassified UK, Mark Curtis, 19-07-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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