Par Dmitry Orlov – Le 13 juin 2017 – Source Club Orlov

Le mot « terrorisme » est sur toutes les lèvres. Effacez-le dans un endroit, et il réapparaît dans un autre. En dehors de certains endroits où le terrorisme constitue la toile de fond d’une invasion étrangère et de la guerre civile, comme l’Irak et l’Afghanistan, et où la fréquence des attentats terroristes est en constante augmentation, le terrorisme n’est pas l’une des principales causes de décès. Parmi les nations occidentales, la mort due à l’étouffement par la nourriture est encore loin en tête, sans parler des chutes mortelles dues aux meubles cassés et aux empalements accidentels sur des outils ménagers. Mais de tels décès ne sont guère mis en scène en tant que pièces d’art publiques, alors que les actes de terrorisme sont la quintessence des actes publics conçus pour faire paniquer un grand nombre de personnes et provoquer un sentiment de danger chez un nombre encore plus grand dans les espaces publics et lors de leurs voyages. Cela dure un certain temps, jusqu’à ce que l’effet s’estompe. Et alors survient un nouvel attentat.

L’éventail actuel des attaques terroristes à l’ouest vient tout droit de la Commedia dell’Arte : voici des types portant des masques et qui adoptent des rôles pré-écrits, avec un peu d’improvisation. Certains marqueurs, comme le passeport de l’auteur, en parfait état, laissé sur les lieux du crime, sont devenus de rigueur. Il est également important que l’auteur soit connu des autorités chargées de la lutte contre le terrorisme, afin de maximiser le sentiment d’insécurité et l’embarras général.

Le cri de guerre de « Allahou akbar! » sert à signaler que ce n’est pas une expérience infructueuse impliquant des couverts de cuisine, une incapacité de garer une voiture sur le trottoir ou le résultat de difficultés techniques avec sa veste explosive. Ce sont bien des suicides. Oui, des effets spéciaux tels que faire péter une petite charge nucléaire, 50 m sous terre dans l’enrochement d’un gratte-ciel ou deux (… ou trois ) donnent de la crédibilité à votre cause, mais tout ce dont vous avez vraiment besoin est d’un ouvre-boîtes… et d’un bain chaud.

Le terrorisme était une tactique utilisée par les insurrections populaires. Les sionistes ont terrorisé les Palestiniens (en utilisant l’argent des juifs américains), l’IRA a terrorisé les unionistes (en utilisant de l’argent des Irlandais américains), et ainsi de suite. Il y avait généralement un soutien financier pour de tels groupes, et normalement il venait de l’étranger. Parce que le financement du terrorisme a traditionnellement été mal vu en bonne société, un tel financement doit être maintenu clandestin, et les projets qui ont échoué à garder le secret sont parfois devenus assez baroques. Un des exemple les plus significatifs est le financement des Contras nicaraguayens par l’administration Reagan, qui a vendu des armes à l’Iran en contournant un embargo sur les armes et a tenté de rediriger les recettes vers les Contras. Un moment rare d’hilarité inspirée par le terrorisme nous a été accordé par Oliver North, le « Marine muet », lorsqu’il a comparu devant le Congrès et a été invité à s’expliquer, ce qui a donné lieu à une petite comédie.

Le terrorisme a longtemps été une forme de combat préférée parmi certains groupes, car il est beaucoup moins cher que les autres types de guerre. Pour faire appel à une armée, vous devez lui fournir des baraquements, des rations, des uniformes, de l’argent de poche, des soins médicaux et bien d’autres choses. Et alors, lorsque vous l’envoyez sur le terrain, ils préfèrent ne pas mourir. Un taux de perte de plus de 10% entraîne une chute du moral. En outre, pour qu’une armée soit efficace, elle doit se composer de personnes de premier ordre : intelligentes, n’ayant pas peur et en forme.

Ce n’est pas le cas du terrorisme. Ici, vous devez fournir seulement trois choses: un endoctrinement, une formation de base et des armes. Tout le reste – l’abri, la nourriture, les soins médicaux, l’argent de poche – sont fournis gratuitement par la société cible, une fois que le terroriste y a été inséré. Un taux de 100% de pertes est généralement considéré comme acceptable et ne cause pas de problèmes moraux, car le but explicite du terroriste est de mourir héroïquement.

L’endoctrinement est de loin le facteur le plus important pour atteindre cet objectif. Ses meilleures cibles sont des individus à l’esprit faible, sans volonté propre, facilement dominés, avec un sentiment aigu de ne pas être bien considérés – des perdants, essentiellement. Les meilleurs candidats viennent d’une longue lignée de perdants, de sorte que les griefs de leurs ancêtres peuvent également servir à l’endoctrinement. L’idéologie qui peut être utilisée le plus efficacement pour en faire un lavage de cerveau est une sorte de primitivisme mystique: vous avez souffert à cause des infidèles; devenez l’un des justes, tuez les infidèles et montez au ciel.

Le reste consiste en des leçons sur la façon d’être juste – pas du tout comme ces cochons d’infidèles crasseux – et l’aspect le plus important de la formation est le conditionnement opérant pour l’obéissance aveugle et incontrôlable, en utilisant des renforcements positifs et négatifs. Une formation sur les armes peut également être fournie. De tels loosers armés sont beaucoup plus faciles et moins coûteux à produire en grande quantité, que des cadres militaires compétents et talentueux.

La production d’une attaque terroriste efficace nécessite un bon contrôle des coûts; parce que les terroristes sont des articles jetables, vous en avez besoin de beaucoup d’autres. L’endoctrinement est de loin la partie la plus coûteuse du processus de production, et pour l’endoctrinement, la marque de l’Islam militant pratiquée par la secte wahhabite (qui régit l’Arabie saoudite et le Qatar) semble la plus rentable. D’autres musulmans, qu’ils soient sunnites ou chiites, se réfèrent au wahhabisme comme une « vile secte » ou un « culte satanique ». Mais le wahhabisme résout un problème : il est parfait pour endoctriner les perdants et les transformer en meurtriers de masse.

Contrairement aux perdants en colère, les candidats au rôle de cadres militaires compétents et talentueux sont peu nombreux dans la plupart des pays développés. Il est encore possible d’en effrayer certains en jouant sur la corde sensible, mais seulement pour une cause digne, comme la défense de la patrie. Si ce dont vous avez besoin, c’est une force expéditionnaire pour mourir afin que les banquiers puissent devenir plus riches ou prendre le contrôle des ressources naturelles dont les banquiers veulent profiter, alors le meilleur que vous pouvez espérer est le même calibre de recrutement qui fait les bons terroristes – les habitants des bidonvilles ou les ruraux pauvres sans autres perspectives professionnelles.

Vous pouvez également embaucher des mercenaires, qui peuvent être légèrement plus compétents que ceux recrutés parmi la sous-classe, mais les mercenaires efficaces sont coûteux et on ne peut pas trop les gâcher. En fait, les mercenaires ont tendance à être tout à fait allergiques à l’idée de mourir, aussi le meilleur parti à en tirer est de s’en servir pour « former et équiper » ce que l’on appelle aphoriquement les « forces de sécurité locales ». Ou vous pouvez simplement sauter toute ces paravents et « former et équiper » directement certains terroristes.

Après avoir perdu au Vietnam, l’armée américaine a constaté qu’elle avait un problème majeur. Il y avait encore des escarmouches géopolitiques et des saisies de ressources naturelles à l’ordre du jour, mais elle n’avait personne pour se battre pour elle, parce que les militaires américains souffraient du syndrome du Vietnam et devaient rester confinés dans leurs casernes. Oui, les terroristes pouvaient être mis en service pour divers conflits locaux et de bas niveau, pour broyer un régime peu coopératif, mais cela ne suffisait pas pour aider au grand jeu de la géopolitique des superpuissances.

Et alors, un génie maléfique du nom de Zbigniew Brzeziński est venu et, avec l’aide de Jimmy Carter, a lancé un plan ingénieux pour utiliser des terroristes saoudiens – armés par la CIA (appelés mujaheddins à l’époque) pour vaincre les Soviétiques en Afghanistan. Les Soviétiques ont finalement décidé qu’ils en avaient assez et se sont retirés. Leur grande erreur a été d’essayer de faire le bon choix : établir et soutenir un État moderne, dans ce qui était et demeure aujourd’hui un pays essentiellement médiéval, féodal et tribal. Les Américains ont essayé de faire la mauvaise chose : ébrécher l’Afghanistan comme un moyen de permettre la défaite des Soviétiques, puis ignorer le tout et le laisser s’effondrer – et en cela seulement, ils ont réussi.

Zbigniew Brzeziński est mort plus tôt cette année, sous des tonnerres enthousiastes d’applaudissements et de grands cris de « Il était temps! ». Le mal que son plan de génie avait déchaîné sur le monde nous a donné les talibans en Afghanistan (bientôt sur scène de nouveau, aux côtés d’ISIS, une fois que les Américains auront finalement lâché le morceau). Transformer l’Afghanistan en nurserie à terroristes nous a donné le 11 septembre. Quelle que soit la façon de tourner le problème, cet événement a fabriqué certains terroristes, que ce soit en tant que personnel essentiel ou comme accessoires ou en extra. Cela, à son tour, nous a donné l’Irak et l’Afghanistan. Et l’Irak nous a donné ISIS, d’abord en Irak puis en Syrie. Et maintenant ISIS s’est étendu à la Libye, à l’Afghanistan et aux Philippines. Si Zbigniew Brzeziński était mort il y a 40 ans – d’étouffement avec un bretzel, par exemple, ou d’un accident malvenu avec des couverts de cuisine – alors il y a de bonnes chances que rien ne soit arrivé.

S’il n’y avait pas eu Zbigniew Brzeziński, les enfants de tous ces millions de gens qui sont morts ou ont été déplacés à la suite de l’effondrement soviétique, qui a été déclenché dans une certaine mesure par le fiasco en Afghanistan, seraient peut-être encore vivants et dans leur maison aujourd’hui. Le succès de la mission terroriste « former et équiper » en Afghanistan a ensuite convaincu les Américains et les Saoudiens d’essayer la même chose dans la province russe de Tchétchénie. L’URSS n’était plus, mais, juste pour être consciencieux, ils voulaient aussi détruire la Russie. Sont entrés les wahhabites, laveurs de cerveaux et les colporteurs d’armes de la CIA. Sont sortis, les cadavres des soldats russes, accompagnés de nombreux Tchétchènes morts. Deux guerres sanglantes plus tard, les Russes ont gagné. Ceci, en passant, fait de la Russie le seul pays au monde qui possède le savoir-faire pour vaincre le terrorisme. Ils l’ont prouvé en Tchétchénie, qui est maintenant fidèle, stable et prospère, et ils le prouvent encore en Syrie.

Pendant ce temps, Zbigniew Brzeziński, incapable de se reposer sur ses lauriers comme le salaud le plus malveillant jamais né qu’il était, a sorti des plans encore plus brillants : il a décidé que la Russie ne pouvait plus être un empire sans l’Ukraine, et que, par conséquent, l’Ukraine devrait être décervelée en une sorte d’anti-Russie. Il était alors trop sénile pour remarquer que la Russie n’était plus un empire et n’avait aucun désir à le redevenir, mais tout le monde à Washington hocha simplement la tête. Les nazis ukrainiens – une espèce spéciale importée des États-Unis et du Canada – ont fourni la matière première de base de loosers  pour lancer un mouvement armé.

Ce plan a été pleinement opérationnel en 2014, et depuis lors, l’Ukraine a touché les profondeurs de chacune des cinq étapes de l’effondrement. Je ne suis qu’à 99% mécontent de ce résultat; 1% de moi pense : « Quelle merveilleuse étude de cas d’effondrement! » Mais les Ukrainiens maintenant très pauvres, autrefois la République socialiste soviétique la plus riche et la plus prospère, ne l’ont certainement pas mérité. Ici, le savoir-faire anti-terroriste de la Russie a jusqu’ici été d’une aide limitée : il a gelé le conflit, mais il n’a pas pu arrêter et renverser la glissade vers un statut d’État failli. Néanmoins, la victoire en Ukraine s’est révélée impossible, pour les mousquetaires de Zbigniew Brzeziński, comme en Tchétchénie ou en Syrie.

Pendant ce temps, d’autres événements ont éclipsé le fiasco en Ukraine : la défaite tout aussi assurée de ces mêmes mousquetaires en Syrie a provoqué des troubles dans les paradis terroristes wahhabites de l’Arabie saoudite et du Qatar. De manière absurde, l’Arabie saoudite, avec Trump (qui peut être doux en matière de politique étrangère, et à d’autres égards encore) a accusé le Qatar de parrainer le terrorisme! « Vous voulez dire, tout comme vous? Non! Nous ne pourrions pas nous permettre de vous accompagner! » serait une réplique qatarie très raisonnable. De toute évidence, c’est une absurdité complète. Mais alors, qu’est-ce qui se passe réellement?

Je crois que c’est simple. Tout le monde peut voir que l’empire militaire américain entretient le marais. Tout ce que vous avez à faire est de regarder ce qui se passe à Mossoul et Raqqa. Pour prévenir l’inévitable, Trump essaie de traire les Saoudiens tant qu’il reste quelque chose à gratter et de secouer les « partenaires » de l’OTAN (que Poutine a récemment déclassés en « vassaux »). Mais même arroser d’argent le complexe militaro-industriel américain ne va pas aider, en raison de certains faits gênants sur le terrain.

La Syrie a été perdue et, avec elle, le précieux projet de construire un gazoduc traversant le pays, partant du Qatar, passant par la Turquie et allant ensuite vers l’UE, offrant une alternative au Gazprom de la Russie. L’autre plan, que les Russes préfèrent, consiste à organiser un pipeline depuis l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Turquie, vers l’UE. Le Qatar et l’Iran partagent un vaste champ de gaz offshore [North Dome, NdT] qui fournirait le gaz pour ce nouveau pipeline. Le Qatar paierait cher pour avoir accès à ce pipeline, car l’expédition de gaz naturel liquéfié, comme il est obligé de le faire maintenant, est encore plus coûteuse.

Apparemment, maintenant que le terrorisme ne fonctionne plus tel qu’il est supposé le faire, le wahhabisme se révèle n’être pas si utile et les wahhabites commencent à se terroriser les uns, les autres. Les zélotes emplis de haine ne sont plus suffisants pour garder les lumières allumées et les climatiseurs bourdonnants. Bien sûr, si cela cesse de fonctionner en un seul endroit, il est peut-être temps d’essayer dans un autre. Mais peut-être pas. Dans ce monde en réseau, vous ne pouvez pas être un perdant quelque part, sans être connu comme un perdant partout.

Avec les terroristes, comme chez les insectes, vous pouvez vous attaquer à chaque individu, ou vous pouvez mettre un appât pour qu’ils retournent dans leur nid. L’idée du Qatar marchant dans le gazoduc Iran-Irak-Syrie-Turquie est juste un tel appât : il sert à monter les sponsors wahhabites des terroristes les uns contre les autres. C’est en fait un développement assez bienvenu. J’espère qu’en enfer il y a la télévision par câble, pour que Zbigniew puisse regarder alors qu’il est lentement cuit à la perfection.

Dmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie », c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.


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