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Barrès n’est pas du tout ma tasse de thé (ô ces nationalistes bellicistes revanchards…), mais en retombant grâce à Wikisource.org sur ses médiocres Déracinés, je suis tombé sur ces pépites. Il semble que le destin de la France se soit joué les vingt premières années de la IIIème république, comme l’ont alors vu Cochin, Maupassant, Bloy, Drumont ou Bernanos. Un pays vieillissant bureaucratique, conditionné (programmation patriotique), humanitaire (lumière du monde, droits de l’homme, etc.) mais sanglant et conquérant, mais immoral aussi et nihiliste – en voie rapide de déchristianisation (voyez mes textes sur Mgr Gaume ou sur Mgr Delassus). Le reste est chez Zola, quand on aura appris à le lire (voyez mon texte sur le Bonheur des dames).

 

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Barrès part en tout cas de prémices justes :

« Les forces vivantes de notre pays, ses groupes d’activité, ses principaux points d’union et d’énergie, dans l’ordre matériel ou spirituel, c’est aujourd’hui :

1° Les bureaux, c’est-à-dire l’ensemble de l’administration, où il faut bien faire rentrer l’armée. — Qu’on aime ou blâme leur fonctionnement, c’est eux qui supportent tout le pays, et, s’ils ont contribué pour une part principale à détruire l’initiative, la vie en France, il n’en est pas moins exact qu’aujourd’hui ils sont la France même. Il faut bien les respecter et les appuyer, quoi qu’on en ait : car, après avoir diminué la patrie par des actes qui n’ont plus de remèdes, ils demeurent seuls capables de la maintenir. »

On se demande ce que cela veut dire : « après avoir diminué la patrie par des actes qui n’ont plus de remèdes, ils demeurent seuls capables de la maintenir ».

La bureucratie républicaine a tué la patrie mais elle seule sait la faire marcher ? C’est Léautaud qui se déchaînait contre Barrès – et comme il avait raison ! Dans Wikipédia on lit donc :

« Maurice Barrès a été élu hier à l’Académie. Cela me laisse extrêmement froid. Il y a longtemps que Barrès ne m’intéresse plus. Dire que j’ai lu vers 1894 Le Jardin de Bérénice avec dévotion, et que l’ayant repris tantôt, pour voir, les phrases qui me troublaient tant me sont insipides aujourd’hui. Encore un mauvais maître, pour ceux qui ont besoin de maîtres. Cela se voit à ce que font tous les jeunes gens qui l’imitent, témoin cet article signé Eugène Marsan, dans une petite revue, Les Essais, de décembre 1905, que je lisais hier. C’est énorme de ridicule et de prétention. Je l’ai souvent pensé et dit. […] De plus, il n’y a pas de maîtres pour les idées, il n’y en a pas pour la forme et Barrès a été un maître détestable pour la forme, avec ses phrases heurtées, nuageuses. Quant à ses idées ! Aucune à lui. On ne peut guère l’aimer quand on aime la netteté, le style qui court vite. »

Il est intéressant de rappeler que Barrès n’a pas été du tout un écrivain maudit (vil antisémite, fasciste, etc.) mais consacré par la république. Des dizaines de rues et autres portent son nom dans toute la France. Ah, ces lieux de culte de la mémoire…

Mais restons avec Barrès :

« …la France est divisée entre deux religions qui se contredisent violemment, et chacune impose à ses adeptes de ruiner l’autre. L’ancienne est fondée sur la révélation ; la nouvelle s’accorde avec la méthode scientifique et nous promet par elle, sous le nom de progrès nécessaire et indéfini, cet avenir de paix et d’amour dont tous les prophètes ont l’esprit halluciné… »

C’est évidemment la deuxième religion (ce scientisme si froncé) qui a le vent en poupée et qui va emporter une double victoire : le catholicisme va reculer – et il va se transformer. Retour à un de nos textes sur  Bernanos :

Bernanos enfonce un clou cruel dans notre inconscience confortée :

« Les puissantes démocraties capitalistes de demain, organisées pour l’exploitation rationnelle de l’homme au profit de l’espèce, avec leur étatisme Forcené, l’inextricable réseau des institutions de prévoyance et d’assurances, finiront par élever entre l’individu et l’Église une barrière administrative qu’aucun Vincent de Paul n’essaiera même plus de franchir. »

Et il annonce, notre Bernanos, Jean XXIII, Paul VI ou Bergoglio, le polonais d’Assise, qui l’on voudra :

« Dès lors, il pourra bien subsister quelque part un pape, une hiérarchie, ce qu’il faut enfin pour que la parole donnée par Dieu soit gardée jusqu’à la fin, on pourra même y joindre, à la rigueur, quelques Fonctionnaires ecclésiastiques tolérés ou même entretenus par l’Etat, au titre d’auxiliaires du médecin psychiatre, et qui n’ambitionneront rien tant que d’être traités un jour de « cher maître » par cet imposant confrère… Seulement, la chrétienté sera morte. Peut-être n’est-elle plus déjà qu’un rêve ? »

On comparer le style de d’un au non-style de l’autre au passage.

En bon droitier républicain, Barrès envoie dinguer (ce n’était pas le moment) l’aristocratie :

« Quant à la noblesse, qui, avec les bureaux, la religion et la terre, encadrait et constituait l’ancienne société, c’est une morte: elle ne rend aucun service particulier, ne jouit d’aucun privilège, et, si l’on met à part quelques noms historiques qui gardent justement une force sur les imaginations, elle ne subsiste à l’état d’apparence mondaine que par les expédients du rastaquouérisme. »

Rastaquouère c’est peut-être un peu dur non ?

Enfin vient le juste mot :

« Quand de telles questions sont considérées comme essentielles par ceux qui discutent les affaires de ce pays et par ceux qui les mènent, on penche vraiment à conclure que la France est décérébrée, car le grave problème et, pour tout dire, le seul, est de refaire la substance nationale entamée, c’est-à-dire de restaurer les blocs du pays ou, si vous répugnez à la méthode rétrospective, d’organiser cette anarchie. »

Dans son livre Barrès relève le mortifère culte napoléonien auquel on n’a pas assez rendu justice. René Girard s’y est essayé, mais trop mollement (et tardivement !) dans son beau livre sur Clausewitz. Si jamais il y eut un monstre moderne mimétique (dont ne profitèrent, comme dit Chateaubriand, qu’une poignée d’usuriers – voir Mémoires, 2 L20 Chapitre 5), ce fut bien Napoléon. Que de cimetières remplis grâce à lui...

Le culte du héros est vite balayé :

« Car les héros, s’ils ne tombent pas exactement à l’heure et dans le milieu convenables, voilà des fléaux. »

Le culte impérial (comme le pseudo-culte pseudo-gaulliste aujourd’hui, voyez mes textes sur Michel Debré pour vous en guérir) est décrit :

« Au tombeau de l’Empereur et tandis que des jeunes gens impatients de recevoir une direction s’agitaient sous nos yeux, nous avons cru reconnaître que la France est dissociée et décérébrée. »

Barrès voit des symptômes : 

« Des parties importantes du pays ne reçoivent plus d’impulsion, un cerveau leur manque qui remplisse près d’elles son rôle de protection, qui leur permette d’éviter un obstacle, d’écarter un danger. Il y a en France une non coordination des efforts. Chez les individus, c’est à de tels signes qu’on diagnostique les prodromes de la paralysie générale. »

Ses réponses (des réponses de mauvais politicien, comme le constate alors Gustave Le Bon) on les connaît – et celles de ses parèdres - : éducation ou matraquage patriotique, germanophobie (aisément remplacée par la russophobie quand la bise sera venue), guerres antiallemandes puis mondiales, guerres de colonisation puis de décolonisation, construction euro-napoléonienne, etc.

Mais ce n’est pas notre sujet du jour…

Nicolas Bonnal

Sources:

https://www.dedefensa.org/article/bernanos-et-la-fin-de-l...

https://www.dedefensa.org/article/zola-et-le-conditionnem...

https://fr.wikisource.org/wiki/Les_D%C3%A9racin%C3%A9s/IX

https://nicolasbonnal.wordpress.com/2023/09/17/general-de...

https://www.dedefensa.org/article/chateaubriand-et-la-con...

https://nicolasbonnal.wordpress.com/2023/04/18/monseigneu...

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