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Comprendre l'originalité artistique de Julius Evola s'est toujours heurté à une pierre d'achoppement herméneutique considérable, placée sur le chemin des exégètes par le penseur romain lui-même. Nous entendons parler, ici, de l'auto-interprétation que donne Evola de lui-même, qui a été  adoptée sans la moindre critique par de nombreux adeptes de son œuvre, qui voit dans les expériences picturales, poétiques, mais aussi philosophiques et même dans les premières expériences « magiques » de simples « traversées » sans lendemain. Toute une phase de la vie d'Evola, disons jusqu'aux années 1920 incluses, aurait été marquée par l'expérimentation et l'exploration de sujets et de langages expressifs, qui, cependant, de temps à autre, auraient eu pour seule fonction de faire passer le penseur à une tentative suivante, non sans avoir constaté le caractère limité de l'instrument qu'il venait d'abandonner. Tout cela jusqu'à ce qu'Evola atteigne la pensée de la maturité, structurée autour du thème de la Tradition, emprunté principalement à René Guénon. Comprendre Evola signifierait donc affronter ces phases du parcours d'Evola presque comme s'il s'agissait de simples curiosités biographiques, sans plus, utiles uniquement pour comprendre comment Evola est devenu Evola. Une fois la reconstitution généalogique déposée, il s'agirait alors de parvenir à la maturité de la pensée évolienne, d'en tirer le canon définitif pour juger ce qui est « en ordre » et ce qui ne l'est pas dans le présent, le passé, le futur de toute civilisation et de tout phénomène ayant existé, sous toutes les latitudes et dans tous les contextes.

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Selon l'auteur, cette ligne d'interprétation ne sert qu'à banaliser et marginaliser la radicalité, l'originalité et la profondeur de la pensée évolienne, transformant l'un des grands protagonistes de la culture du vingtième siècle en une sorte de justicier urbain de la Tradition. D'autant plus que l'Evola le plus intéressant nous semble être précisément celui qui va de la seconde moitié des années 1910, auxquelles remontent ses premiers écrits et tableaux, à la fin des années 1920. Le dernier Evola, en revanche, était toujours au centre d'une contestation intérieure, d'une tension intime, d'une contradiction latente entre ce que, empruntant des catégories non pas évoliennes, mais plutôt tirées de Gentile, nous pourrions appeler la « dialectique de la pensée » et la « dialectique du pensé ».

 

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L'Evola des années 1920 : les Edizioni Mediterranee rééditent Homo faber

 

Sur l'Evola des années 1920, dans les jours mêmes où se déroule à Rovereto l'exposition la plus complète et la plus importante jamais organisée sur son expérience artistique, un bel essai d'Elisabetta Valento : Homo faber. Julius Evola entre l'art et l'alchimie, dont la première édition remonte à 1994 et qui contient désormais un appendice de Giorgio Calcara dans lequel sont comptabilisés les progrès les plus récents de la recherche sur Evola en tant que peintre. Même le titre a le mérite de se distancier de la Stimmung parménidienne ostensiblement statique, défensive et conservatrice typique d'un certain évolutionnisme. Elisabetta Valento considère à juste titre la peinture, la poésie, la philosophie, l'alchimie et l'ésotérisme d'un seul coup d'œil, comme s'il s'agissait de divers aspects d'un même discours. Le fil conducteur qui relie toutes ces expressions est la transformation tragique et héroïque de l'homme face au monde et aussi face à lui-même.

 

Le retour en arrière n'est pas possible

« L'homme, écrit l'auteur pour expliquer le point de vue évolien, n'est pas un collaborateur des dieux, il n'y a pas de dieux ni de Dieu, et Dieu est bel et bien mort dans un monde où l'homme n'est plus capable de se faire un Dieu, est un Individu absolu, une pure autarcie. C'est la seule mission de l'être humain, il n'y en a pas d'autres ». En ce sens, il n'existe aucune donnée stable à laquelle se raccrocher, aucun « point d'Archimède », comme dirait Descartes, sur lequel s'appuyer. Le paysage existentiel est celui, purement nietzschéen, du naufrage de toute fondation. Il est encore moins possible de s'appuyer sur un passé non corrompu. « Revenir en arrière, écrit Valento, n'est pas possible, le voyage a commencé et il n'y a pas de retour possible, se perdre, se dissoudre, prisonnier d'un sentiment de solitude, ou décider d'entreprendre le voyage pour abandonner ce "je" qui se révélera être un "autre" ».

 

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Une parabole artistique minutieusement décrite

L'Homo faber n'a cependant pas seulement une valeur théorique, mais aussi et surtout une valeur historique. La parabole artistique d'Evola est décrite dans les moindres détails, depuis ses débuts futuristes à la cour de Giacomo Balla, jusqu'à son approche progressive du dadaïsme, qui aboutit à sa rupture avec Marinetti et ses compagnons (deux avant-gardes étaient de trop pour un pays aussi provincial que l'Italie). Le texte, qui contient 55 planches en couleur, passe en revue l'évolution des œuvres connues d'Evola, depuis le dynamisme futuriste des premières œuvres jusqu'aux atmosphères de plus en plus raréfiées des « paysages intérieurs » (des jugements plutôt méprisants, du moins d'un point de vue technique, sont réservés aux tableaux ultérieurs qui se concentrent sur les nus féminins). Evola était certainement l'exposant italien le plus significatif de dada, mais toujours avec une position personnelle et résolument originale. En effet, on a l'impression qu'il a finalement opté pour ce courant particulier aussi et surtout en raison de son indéfinition, et de la liberté d'expression conséquente qu'il permettait. Certes, tous les aspects régressifs du dadaïsme, le jargon superficiellement freudien du mouvement ont servi à Evola comme moyen de détruire le moi ordinaire. Une sorte de résolution existentielle, la transformation de l'existence, de la psyché, de la conscience en matière fluide, prête à être modelée sur un autre plan par la volonté de façonnage de l'homo faber.

Adriano Scianca

Source: https://www.ilprimatonazionale.it/cultura/homo-faber-evola-235742/

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