Mon plus grand regret, lorsque je franchis pour la première fois la porte de Rivarol en août 1962, fut l’absence de Pierre-Antoine Cousteau, emporté quatre ans plus tôt, à peine quinquagénaire, par un cancer largement dû à la détention longtemps inhumaine qui suivit sa condamnation à mort en 1947 – la même cause étant à l’origine des rhumatismes articulaires qui tortureraient Lucien Rebatet jusqu’à son décès en août 1972.
De tous les rédacteurs de l’« hebdomadaire de l’opposition nationale », Cousteau, dit PAC, avait été mon préféré, celui dont je dévorais les articles en priorité, avant même les échos et le courrier des lecteurs – qui sont la priorité de tout lecteur comme, un peu dépitée, je m’en aperçus plus tard, étant à mon tour devenue journaliste. Mais il y avait chez ce grand pessimiste une telle allégresse de plume, un tel humour, qu’ils rendaient attrayants les sujets les plus rébarbatifs.
PAC, « notre Voltaire » selon Rebatet, fut-il, comme le pensait Galtier-Boissière, « le plus grand journaliste de l’Occupation » ? En tout cas, il fut sans doute le plus complet, sachant avec bonheur aborder tous les genres, hors l’emphase et l’amphigouri. D’où son horreur du père Hugo qu’il devait exécuter en 1954 dans l’hilarante Hugothérapie ou comment l’esprit vient aux malpensants (réédité en 2015 par Via Romana sous une couverture de Chard) après avoir lu tout son œuvre dans les geôles de la République. Portraits et entrevues, le gros volume que vient de faire paraître son fils, le cardiologue Jean-Pierre Cousteau, témoigne de cette maestria. On y retrouve des articles de Candide, de Je suis partout, de Paris-Soir (dont il assura la rédaction en chef en même temps que la direction de JSP après le départ de Robert Brasillach en 1943), de Rivarol, de Lectures françaises, des extraits de son passionnant journal de prison, Intra muros (éd. Via Romana 2017), également réuni par son fils – auteur, chez le même éditeur, d’une touchante évocation de ses parents dans Fils de collabos, neveu de résistant (cf. Présent du 20 septembre 2019). La Médaille pénitentiaire pour De Gaulle On y retrouve surtout la même fluidité de style, la même férocité distante… et aussi le même désespoir, la même révolte intérieure, camouflés sous l’ironie, à l’opposé des clameurs vengeresses des Décombres mais pas moins efficaces quand il s’agit d’exposer la vraie nature des « victimes ».
A cet égard, sont des modèles du genre les portraits de Marx Dormoy, du président Lebrun, du « merdelion » Edouard Herriot que PAC promut au grade de « colonel de l’Armée rouge » en raison de sa complaisance envers Moscou, du communiste Thorez, de Jean-Paul Sartre (« Où était cet intrépide avant le 32 août [1944] ? Aux Deux Magots. Il y était depuis le jour où les Allemands l’avaient libéré de son stalag […], libéré avant Brasillach » ou de Pierre Gaxotte, qui trahit en 1939 les confrères qu’il avait embarqués dans l’aventure de JSP. Tête de Turc évidemment privilégiée : De Gaulle auquel Cousteau offre la seule décoration pour laquelle « ses états de service le qualifient sans discussion possible » : la Médaille pénitentiaire. Dans la galerie de « leurs bobines », PAC ne se borne d’ailleurs pas à la France. Les Américains Henry Ford et F.D. Roosevelt passent aussi à la moulinette, de même que l’Anglais Churchill (un « clown » dont « la “ligne générale” consiste à trahir très ponctuellement son parti ») ou Hitler : « Ce n’est pas l’auteur de Mein Kampf qui a perdu la guerre. C’est l’homme qui a oublié Mein Kampf… Oublié qu’un accord même provisoire avec le bolchevisme est une malédiction. » Même Dostoïevski, auquel son codétenu Rebatet avait essayé de l’initier, n’est pas épargné, et l’on rêve aux portraits jubilatoires que PAC aurait brossés, avec sa verve vengeresse (mais toujours courtoise), de nos contemporains, de Macron à BHL, de Schiappa à Hanouna, de Biden à Erdogan.
Criante de vérité, également, la description des différentes sortes de journalistes – rédacteur en chef, spécialiste de la politique étrangère, critique dramatique, etc., sans oublier une espèce disparue : le patron d’une modeste publication assumant souvent seul la rédaction, la correction et la mise en pages, esclave attaché au « marbre » et surtout au plomb, voûté sous le poids des morasses et les mains éternellement noircies d’encre. Ceux qui ont connu la gutenbergeoise imprimerie de Rivarol (que les plus indulgents qualifiaient de balzacienne) comprendront.
Rendez-vous avec le père Noël et le Petit Père des peuples sont moins percutantes les « entrevues » (fictives) dont Cousteau inventa la formule dans Gringoire et Je suis partout, avec de faux entretiens – de Staline notamment –, avant de la renouveler, dans les années 50 pour Le Charivari et l’hebdomadaire Dimanche-Matin qui accueillit pas mal d’« indignes nationaux » après leur élargissement. Sous le pseudo d’Alcide Jolivet, il « interviewa » aussi bien des « Royals » (Elizabeth II et son prince) que Mao Tsé-toung, la jeune Françoise Sagan qu’Otto Skorzeny, André Malraux que le père Noël, Caroline de Monaco au berceau que Thorez (en mettant dans la bouche du leader communiste des extraits de ses odes authentiques à l’URSS) et même, post mortem, Staline en personne. Mais qu’on ne s’y méprenne pas : écrire dans un journal populaire, que les lecteurs achètent avant tout pour se distraire, est infiniment plus difficile, comme mon expérience au défunt Noir & Blanc me l’apprit, que de rédiger pour Le Monde un pensum sur l’épineuse question des îles Kouriles, casse-tête bien connu de notre ami Gollnisch. Il faut faire des prodiges pour, tout en les amusant, retenir l’attention de ces lecteurs, éveiller leur esprit critique et leur faire découvrir la réalité derrière les strass et la légende dorée.
PAC, qui refusait de considérer ces papiers comme strictement alimentaires, excellait dans cet exercice, où sa causticité et sa fantaisie au service d’un sens politique aigu et de solides convictions faisaient merveille. L’avenir si noir de l’homme blanc sa phrase sur l’Allemagne nazie qui aurait été, « malgré tous ses crimes, la dernière chance de l’homme blanc » fut décisive dans le verdict de mort prononcé à son encontre malgré le soutien du résistant Jacques Yonnet, membre du parti communiste, qui eut le courage inouï de témoigner à décharge contre cet « ennemi loyal ». Quelques semaines avant son décès, son dernier article dans Rivarol s’intitulait « Etre ou ne plus être » et traitait de l’avenir, qu’il prévoyait très sombre, de l’homme blanc. Le prurit de culpabilisation, les encouragements au métissage généralisé – voir le déluge de publicités inclusives, l’ahurissant discours de Nicolas Sarkozy prononcé à l’Ecole polytechnique le 17 décembre 2008, un demi-siècle presque jour pour jour après la mort de Cousteau – et les abdications devant les « racisés » avec la vague de cancel culture déferlant sur l’Occident attestent, hélas ! de la prescience dont le maudit avait fait preuve.
Camille Galic (
Portraits et entrevues par Pierre-Antoine Cousteau, éditions Via Romana. Avec préface de Pierre-Alexandre Bouclay, avant-propos de Jean-Pierre Cousteau et belle couverture de Chard. 410 pages, 29 euros