Le NON irlandais au replâtrage baptisé pompeusement "Traité de Lisbonne" a mis en émoi les gens qui, à Bruxelles et à Strasbourg, ont confisqué l’idée, la belle idée, européenne au profit du Système en place, dont ils sont les bénéficiaires. Leurs réactions ont été révélatrices : pour les uns, il faudra faire revoter les Irlandais (après leur avoir promis, sans doute, monts et merveilles en matière de subventions, pour les acheter ?) ; pour les autres, il faut purement et simplement s’asseoir sur le vote irlandais (ce qu’ont dit, avec leur cynisme habituel, les Anglais – qui, eux, n’ont rien à faire en Europe puisqu’ils sont les agents de Washington).

Autrement dit, la voix des peuples est quantité négligeable. Pire, elle est dangereuse. Belle illustration de l’immense duperie que constituent les couplets habituels sur la démocratie. Mais, nous assure cette grande conscience démocratique qu’est le journal Le Monde, prendre l’avis des peuples n’est jamais que "tentations démagogiques". C’est en tout cas ce qu’affirme Daniel Vernet, envoyé spécial de son journal en Autriche, et qui rend compte, avec la réprobation qui convient, d’une initiative du chancelier autrichien Alfred Gusenbauer. Celui-ci, appuyé par son ministre des infrastructures Werner Faymann, qui doit le remplacer à la tête du Parti social-démocrate (SPÖ), vient de se prononcer en faveur d’un référendum, chaque fois que des traités concernent les intérêts de l’Autriche.

Or c’est là, note, scandalisé, Le Monde, "une vieille revendication des populistes". Bref, l’horreur absolue. D’autant que la prise de position du chancelier a été publiée dans le quotidien Kronen Zeitung, très hostile aux institutions actuelles de l’Europe et qui (hélas, hélas !) "est lu chaque jours par 3 millions d’Autrichiens, soit plus de 40 % de la population en âge de lire un journal" . Ce qui en fait "rapporté à la population, le plus grand quotidien du monde". Ajoutons que, si le Parlement de Vienne a ratifié le traité de Lisbonne, il n’y a que 23 % des Autrichiens pour s’en dire satisfaits… Autant dire que les résultats d’un référendum sont prévisibles.

Quelle idée, aussi, de demander aux peuples leur avis sur ce qui constitue leur avenir ? Imaginez un seul instant qu’un référendum soit organisé, en France et chez ses voisins, sur l’immigration ? On sait à l’avance quel en serait le résultat. Donc, pas question. La voix des peuples n’a d’intérêt que lorsqu’elle va dans le "bon sens" (celui défini par les maîtres, officiels et officieux, du pouvoir). La gigantesque escroquerie qu’est le système "démocratique" va-t-elle survivre indéfiniment ? Peut-être, si les "veaux" (comme disait de Gaulle) ne sont motivés, indéfiniment, que par leur mangeoire. Mais même les veaux, sait-on jamais, peuvent devenir enragés. Surtout si la mangeoire commence à se vider.

Et puis le mépris souverain qu’affiche un Sarkozy à l’égard de ceux qui lui ont permis d’être élu commence à fatiguer certains. Les media, si décisifs pour être élu (et réélu), semblent las d’être traités en paillassons. La magistrature aussi. Et cette "grande muette" qu’est l’armée française pourrait bien se mettre à donner de la voix. Et à mordre ? Certes, je sais trop – y compris par expérience personnelle – ce qu’est devenue l’armée à partir de 1962, d’autant que le postulat multiethnique l’a transformée… de façon multicolore. Mais certains signaux se mettent au rouge. L’étrange, très étrange affaire de Carcassonne, a été l’occasion (qui tombait vraiment à pic… Vous avez dit hasard ?) de sabrer une armée décidément peu encline à accepter de se faire sepuku. La "réforme" (c’est à dire l’enterrement de première classe) organisée par l’Elysée a suscité la réaction, mesurée dans la forme mais très vive quant au fond, du mystérieux groupe d’officiers généraux et supérieurs autobaptisé "Surcouf". Lequel, malgré les ordres de flicage de Sarkozy, n’est toujours pas identifié. Comme si les services compétents faisaient preuve d’un zèle disons… très mesuré.

Tout cela devrait alerter un pouvoir politique lucide. Mais la lucidité suppose la prise en compte des réalités. Des réalités qu’à l’évidence l’actuel locataire de l’Elysée a choisi de mépriser. Jusqu’à quand ? Car l’ennuyeux, avec les réalités, c’est qu’elles ont la peau dure.

Pierre Vial

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