PIERRES DE NOTRE LONGUE MÉMOIRE :

LES BLOCS ERRATIQUES

 

Grands blocs erratiques, couverts ou non de sculptures symboliques, s’élevant au milieu des forêts et des prairies, ou émergeant des eaux, sources divines, chênes majestueux auxquels l’on suspendait les offrandes, bosquets entourés d’une enceinte sacrée : ce furent là les principaux temples des indigènes avant la conquête romaine (1).

Les mégalithes sont bien connus et nous avons tous à l’esprit les menhirs, les dolmens et les cromlechs qui sont des pierres érigées ou façonnées  par l’homme.


Les pierres qui dans l’ordre du développement humain furent les premières à jouer un rôle funéraire, social et/ou religieux au sens large sont les blocs erratiques qui se distinguent des mégalithes au sens strict car leur origine est au départ naturelle sans intervention humaine.

 

Mon propos concernera donc les blocs erratiques.

Il y a des milliers  d’années l’arc alpin et la plus grande partie de l’Europe étaient recouverts d’immenses glaciers et seuls les reliefs les plus élevés en émergeaient.

Ainsi le glacier du Rhône occupait une grande partie de la Suisse.

Lors des phases de réchauffement climatique, le glacier fondait et reculait emportant avec lui des fragments de roche qui étaient déplacés sur de longues distances.

Le glacier transportait en quelque sorte ces fragments rocheux « sur son dos ».

Ces fragments de roche ont été dénommés « blocs erratiques » car ils n’appartiennent pas aux terrains sur lesquels ils reposent : ils semblent perdus, tels des intrus dans un environnement qui n’est pas le leur.

J’aurais aimé imaginer que des  fées les auraient ainsi déposés au hasard de leur humeur, mais aujourd’hui aucun doute n’est permis quant à l’origine des blocs erratiques (2).

 

A partir de 5000 ans environ avant l’ère chrétienne, les blocs erratiques commencent à jouer un rôle social et religieux dans nos contrées.

Les premiers menhirs (blocs dressés) et les premières pierres  à cupules semblent dater de 4.500 à 4.000 années avant l’ère chrétienne.

Ce ne sont pas les Celtes qui en sont à l’origine puisque l’on considère généralement que ces derniers sont apparus en Europe longtemps après la construction des mégalithes.

 

Toutefois les Celtes se sont appropriés les constructions mégalithiques existantes de telle sorte que menhirs, pierres à cupules, etc… se sont « celtisés » au même titre que les bois et les rivières des pays que les Celtes ont occupés.

 

Le bloc erratique se différencie du menhir : ce dernier est une pierre dressée, plantée verticalement, ce qui implique l’intervention humaine alors que le bloc erratique en tant que tel procède d’une intervention uniquement naturelle.

Les blocs erratiques (ou du moins certains d’entre eux) ont constitué un objet de vénération pour nos ancêtres dès le cinquième millénaire avant l’ère chrétienne.

Il semble admis que leur fonction originelle était d’ordre funéraire et social dans la mesure où l’on peut imaginer que le culte des ancêtres jouait un rôle important à cette période et que la pierre se rattache indiscutablement à la notion d’éternité. L’on peut dès lors parler de pierre de  mémoire  (3).

Les blocs erratiques (ou du moins certains d’entre eux) ont pu à cette époque constituer un tombeau destiné aux reliques d’ancêtres et/ou de centre de cérémonie.
En tout cas, leur fonction sociale et religieuse ne fait aucun doute, même si l’on ne peut être plus précis (4).

Certains blocs erratiques montrent des dessins ou des gravures (voir par exemple la pierre des Gottettes), parfois également des cavités creusées dénommées cupules.
Une pierre à cupules est donc un bloc erratique dont la surface présente des orifices taillés par la main humaine par  bouchardage (5) .
L’on trouve de nombreuses pierres à cupules dans l’arc alpin (6) .

L’une de ces pierres à cupules, dénommée « La pierre aux écuelles » révèle 25 cupules creusées dans le roc, dont la plus grande a 25cm de diamètre et 12cm de profondeur.

La raison de ces orifices creusés (cupules) demeure énigmatique et controversée : configuration astronomique (carte des étoiles), cultes et rites des religions préchrétiennes : par exemple culte de la fécondité ou vénération de la foudre ou encore culte de l’eau.

 

D’aucuns affirment que ces pierres une fois « celtisées » ont servi d’autels aux druides pour des sacrifices d’animaux ou d’  humains  (7).

 

Les cupules ont également pu avoir d’autres fonctions et leur rôle a certainement varié au fil des millénaires et des siècles de telle sorte que l’on ne peut considérer une fonction unique invariable sur le plan temporel  (8) .

Les blocs erratiques ayant été déposés sans intervention humaine, ils n’ont pu avoir de fonction astronomique proprement dite, mais les cupules qui  les recouvrent pourraient avoir eu cette fonction sous forme d’une cartographie de certaines constellations  (9) .

 

C’est ainsi que l’on peut lire sur le petit panneau indiquant l’emplacement d’une pierre à cupules située non loin d’Apples (Bois de Duin) :

« …La disposition des dix cupules représente assez fidèlement les étoiles de la constellation des Pléiades.
Le sculpteur avait remarqué ce groupe d’étoiles très brillantes et très proches les unes des autres et l’avait fixé sur cette pierre.

Au néolithique, les prêtres et les chamanes accordaient beaucoup d’importance à cette constellation qui, comme la lune, influençait l’agriculture.

De nombreuses cultures et religions  font référence aux Pléiades »  (10).

 

 

Les blocs erratiques se trouvent aujourd’hui presque tous dans les forêts ce qui s’explique par la circonstance évidente que ceux qui s’étaient retrouvés au milieu des plaines rapidement  transformées  en champs, se virent utilisés comme carrières à ciel ouvert et se firent débiter pour construire des menhirs, des habitations et autres constructions.

Ceux qui subsistent aujourd’hui se trouvent perdus dans les forêts ce qui donne un charme tout particulier à leur découverte.

Nombre de  légendes s’attachent à certains de ces blocs : par exemple la pierre pendue (située au pied du Jura) pivoterait de 360° tous les ans à minuit le soir de Noël  (11).

 

D’autres pierres auraient la faculté de favoriser la fertilité féminine et l’on retrouve là sans doute tout un mythe originel.

Ainsi la pierre pouilleuse serait une pierre à papouilles qui favorise la fertilité des femmes qui s’y frottent, tout comme les pierres à glissades  (12).

 

Certains de ces blocs erratiques sont réputés par des géobiologues se trouver dans des lieux à haute énergie, comme d’ailleurs beaucoup de menhirs  (13).

 

Cette observation ne concerne que certains blocs erratiques.



Si de tous temps, les lieux de culte au sens large (notamment des religions préchrétiennes) ont été effectivement érigés dans des endroits propices sur le plan énergétique, l’origine des blocs erratiques (transportés par les glaciers sur leur dos, c'est-à-dire sans intervention humaine) donne à penser que c’est le fruit du hasard qui fait que certains d’entre eux se trouveraient dans des lieux énergétiques propices, sauf à imaginer – pourquoi pas – que les pratiques et rituels de nos ancêtres ont interagi avec le lieu et l’ont en quelque sorte spiritualisé.

 

Selon une autre hypothèse, certains blocs ont été déplacés vers des lieux énergétiques propices (14).


On trouvera ci-après un certain nombre de photos représentant quelques blocs erratiques dont certains sont des pierres à cupules. La pierre revêtue d’une gravure est la pierre des  Gottettes (qui se trouve non loin de Romainmotier), les autres photos représentent divers bloc erratiques revêtus ou non  de cupules. L’un d’entre eux dénommé « La pierre de Saubraz » est présenté comme étant un ancien « sanctuaire païen ».

 

Les diverses photos qui suivent ont été prises entre Léman et Jura.

Si aujourd’hui la plupart des blocs erratiques se trouvent tapis aux fonds des bois, certains demeurent facilement observables : par exemple les pierres de Niton qui émergent du lac Léman dans la rade de Genève face au quai Gustave Ador ou la pierre Féline au bord de l’autoroute Lausanne-Genève.

 

 Eric Vuylsteke,

 


 

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[1] Ce paragraphe est textuellement repris de la page 446 du Bulletin de l’Institut genevois de 1917, Tome XLII dans lequel l’archéologue Waldemar DEONNA a consacré une substantielle étude sur les Croyances religieuses et superstitieuses de la Genève antérieure au christianisme.

 

2 La théorie glacière de l’origine des blocs erratiques fut mise en lumière dès 1821 et développée par divers scientifiques de telle sorte qu’il y a plus de 150 ans au moins que l’origine glacière des blocs erratiques est unanimement admise dans les milieux scientifiques.

 

3 C’est d’ailleurs le titre d’un ouvrage publié  chez découvertes Gallimard « Les mégalithes Pierres de mémoire » par Jean-Pierre Mohen ; c’est aussi le titre d’une exposition en cours au musée d’Yverdon : « Pierres de mémoire, pierres de pouvoirs ».

4 Voir à cet égard concernant les statues-menhirs d’Yverdon « Hommes et Dieux du néolithiques », article de Jean-Louis Voruz publié dans l’Annuaire de la Société suisse de préhistoire et d’archéologie de 1992, p.37 et suivantes, voir particulièrement p.38 et la conclusion p.60 et 61.

 

5 Ces cupules  de forme circulaire ou ovale (voir photos qui suivent)  ont un diamètre variant de 1 à 30 cm et sont parfois reliées entre elles par des rigoles.

 

6 Mais également dans d’autres régions du monde.

 

7 Mais aucun élément ne vient corroborer pareille hypothèse.

 

8 Sur les pierres à cupules on peut renvoyer au site www.racines.traditions.free.fr

 

9 Tout ceci n’est bien sûr qu’hypothèse.

 

10 Il est à noter que l’on donne volontiers une signification astronomique aux menhirs : Voir Catherine Louboutin, « Au néolithique les premiers paysans du monde, Découvertes Gallimard, p.84 ;

Il est vrai toutefois que de nombreuses fonctions ont été proposées aux menhirs, tant  dans des écrits parascientifiques que dans des descriptions archéologiques et je reprends ici un passage de l’article précité de Jean-Louis Voruz, p.38, 2ème col. : « Gardiens de la sépulture rattachée à la terre mère, indicateurs signalant un sépulcre, poteaux indicateurs sur des routes ou des carrefours, repaires  de visée d’un observatoire astronomique, représentation de la carte des étoiles, électrodes bio-géologiques liées aux zones à forte activité tellurique, symboles axiaux de l’acte du monde, piliers mâles du monde, symboles phalliques de la puissance mâle, marqueurs de lieux de rassemblements et de cérémonies, monument du culte des eaux près des eaux sacrées, marqueurs sociaux d’identité ou de prestige de la communauté, marqueurs d’un prestige individuel ou familial, représentation à but religieux de héros déifiés ou de dieux, idoles vénérées, etc… ».

 

11 Il est à noter que la plupart des pierres qui se trouvent en équilibre instable se voient affublées d’une légende similaire ou semblable.

 

12 Pour éviter la censure, j’ai pris la photo sans les femmes qui se frottent à la pierre.

 

13 Voir Joëlle Chautemps, Guide des hauts lieux vibratoires de Suisse romande, Ed. Favre ; Voir aussi Lieux sacrés de Suisse romande : www.geniedulieu.ch

 

14 Voir Joëlle Chautemps précitée, p.17. Cette hypothèse présente un certain nombre d’interrogations sur le plan technique et apparaît donc délicate.

 

 

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3 fonctions