Des boucles de ceinture du début du Moyen Âge arborant le mystérieux motif d'un reptile et d'une grenouille, découvertes en plusieurs régions de l'Europe, suggèrent l'existence d'un culte médiéval jusqu'ici inconnu des historiens, pratiqué par diverses populations, dont les Avars.

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Les boucles de ceinture de A) Lány, B) Zsámbék, C) Iffelsdorf, D) Nový Bydžov. 2023 Jiří Macháček,Stefan Eichert,Vojtěch Nosek,Ernst Pernicka. Published by Elsevier Ltd. / CC BY 4.0

 

Lorsqu'elle a été découverte près du village de Lány (Moravie-du-Sud, Tchéquie), les archéologues ont estimé qu'il s'agissait d'une décoration unique : une boucle de ceinture du haut Moyen Âge, portant le fascinant motif d'un « dragon » (ou simplement, un serpent) dévorant une grenouille. Or depuis sa mise à jour il y a douze ans, ils ont appris que d'autres curieux artefacts de la sorte ont été mis à jour ailleurs dans le pays, mais aussi en Allemagne et en Hongrie.

Une étude a donc été menée sur ces objets qui, s'ils ont été identifiés à des centaines de kilomètres les uns des autres, présentent une grande similarité. Les résultats, publiés dans le Journal of Archaeological Science de janvier 2024 et communiqués par l'université Masaryk de Brno, soulignent l'existence d'un culte païen médiéval jusqu'alors inconnu. Il aurait été même partagé par diverses populations de l'Europe centrale avant l'arrivée du christianisme.

 

Quatre boucles fabriquées selon un modèle commun

Outre la boucle de Lány, les autres fermetures ont été déterrées près de Nový Bydžov (Hradec Králové, Tchéquie), d'Iffeldorf (Allemagne) et de Zsámbék (Hongrie), à respectivement 110, 325 et 450 kilomètres de la première ville tchèque. De sacrées distances, à l'époque de leur création.

À l'aide d'une « combinaison novatrice » de techniques (iconographie, spectrométrie de fluorescence X à dispersion d'énergie, microscopie électronique à balayage, analyse isotopique du plomb, morphométrie numérique), l'équipe internationale de scientifiques est parvenue à conclure que les quatre artefacts ont été fabriqués à partir de cuivre extrait des monts Métallifères slovaques.

Une analyse de leurs formes, basée sur des modèles virtuels en 3D, suggère même que certaines proviennent du même atelier. Ou du moins, qu'elles ont été fabriquées à partir d'un modèle commun, en utilisant la méthode de la « cire perdue » ; un procédé ancien de moulage de coulée de métal, employé pour créer des pièces complexes avec des détails fins, tels que des sculptures ou des bijoux. Dans ce cas précis, des boucles de ceinture complexes à l'origine dorées.

 

Accessoires portés par les Avars, nomades conquérants

Comme le rappellent les experts, des recherches antérieures avaient déjà suggéré que de tels accessoires de ceinture avaient été produits au VIIe VIIIe siècle en Europe centrale.

Plus encore, ils étaient généralement portés par les Avars, une confédération de peuples cavaliers nomades originaires de la steppe eurasienne, qui ont établi dès la fin du VIe siècle un empire – plus précisément, un khaganat – sur les actuels Hongrie, Autriche, Slovaquie et Balkans.

Si le khaganat visait à maintenir une certaine unité, il rassemblait différentes tribus comprenant des Avars eux-mêmes, mais aussi d'autres groupes ethniques sous leur domination. Il entretenait aussi des liens (plus ou moins complexes) avec ses voisins ou les empires sédentaires.

Ainsi, bien que les boucles aient probablement fait partie du costume de ces nomades eurasiens, il est probable que leur « mode » ait été adoptée par les populations riveraines, comme les Slaves.

 

Un motif qui « reliait les divers peuples à un niveau spirituel »

Les auteurs de l'étude ne peuvent confirmer ce que l'image de ces boucles, le « reptile » attrapant sa proie, signifiait réellement pour ceux qui les portaient. Ils notent toutefois que les tableaux d'affrontements impliquant un dragon ou un serpent sont fréquents dans les rites païens :

La scène de combat était un idéogramme représentant un mythe cosmogonique [récit expliquant l'origine et la création de l'univers et de tout ce qui existe, ndlr] et de fertilité inconnus, mais manifestement important, bien connu de diverses populations du début du Moyen Âge d'origines différentes, écrivent-ils.

« Le motif d'un serpent ou d'un serpent dévorant sa victime apparaît dans la mythologie germanique, avare et slave. C’était un idéogramme universellement compréhensible et important », explique Jiří Macháček, chef du département d'archéologie et de muséologie de la Faculté des arts de l'université Masaryk. « Aujourd'hui, nous ne pouvons que spéculer sur sa signification exacte, mais au début du Moyen Âge, il reliait les divers peuples vivant en Europe centrale à un niveau spirituel. »

D'autant que les fameux monts Métallifères slovaques dont provenait le minerai de cuivre utilisé pour la fabrication des boucles de ceinture, se situaient… en dehors du cœur du khaganat avar.

Ces mystérieux objets révèlent ainsi un dense réseau de communication – peut-être motivé par un culte, suggèrent donc les experts – dans le bassin des Carpates et au-delà. « L'analyse [...] confirme les contacts à longue distance entre les élites avars et non-avars à travers l'Europe centrale. »

« Toutes ces conclusions jettent une nouvelle lumière sur le développement social, culturel et politique de l'Europe centrale au début du Moyen Âge », s'enthousiasment les chercheurs dans leur article. À travers cette combinaison de méthodes « qui augmente considérablement l'efficacité et la précision de la comparaison des artefacts métalliques », ils espèrent désormais « devenir plus efficaces dans la comparaison de différents artefacts représentés par un plus grand nombre de découvertes ».

MATHILDE RAGOT - 09/01/2024 - GEO

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