En avril 2025, une étude apportait la première preuve physique que des gladiateurs affrontaient des fauves dans les provinces septentrionales de l'Empire romain il y a 1 800 ans. Aujourd'hui, ce sont les ours bruns (Ursus arctos) qui entrent dans l'histoire sanglante des arènes : une équipe d'archéologues vient de confirmer, pour la première fois, leur présence directe dans les spectacles romains à travers la découverte d'un crâne fracturé. Exhumé en 2016 à proximité de l'amphithéâtre de Viminacium (actuelle Serbie), l'os a fait l'objet d'une étude multidisciplinaire, révélée dans la revue Antiquity ce 1er septembre.
Quand les ours combattaient à Viminacium
Si les textes anciens et les mosaïques suggèrent depuis longtemps la présence d'ours dans les combats romains, jamais auparavant des restes osseux ne l'avaient confirmé de manière indiscutable. Du moins, avant la découverte de Viminacium, autrefois capitale de la province romaine Mésie sur les rives du Danube. Son amphithéâtre pouvait accueillir aux IIe-IVe siècles apr. J.-C. jusqu'à 12 000 spectateurs qui, – à l'image de ceux du Colisée à Rome – suivaient les jeux : des affrontements entre gladiateurs, mais aussi semble-t-il, des spectacles de chasse et de combat face à des animaux sauvages, appelés les venationes ; ou, à des rituels de torture et d'exécution des prisonniers par ces bêtes, la damnatio ad bestias.
Au sein de l'arène, les archéologues ont ainsi décelé les restes d'un ours brun mâle d'environ six ans, qui vivait entre 240 et 350 apr. J.-C. environ. Les analyses (imagerie radiologique, examen microscopique, étude de l'ADN ancien) ont montré qu'il présentait une fracture à l'avant du crâne, causée « probablement par une lance ou une arme similaire », notent les experts. La blessure a partiellement cicatrisé, mais une infection massive semble s'en être suivie, conduisant à une mort lente et douloureuse de l'animal.
« Nous ne pouvons pas dire avec certitude si l'ours est mort directement dans l'arène, mais les preuves suggèrent que le traumatisme s'est produit durant les spectacles, et que l'infection qui a suivi a probablement largement contribué à sa mort », déclare auprès de nos confrères de LiveScience Nemanja Marković, chercheur associé senior à l'Institut d'archéologie de Belgrade (Serbie) et auteur principal de l'étude. Cette dernière fournit en outre la première preuve ostéologique directe de la présence de ces animaux dans l'arène.
Captivité, blessures et mort dans les jeux
Les dents du spécimen, sévèrement usées et endommagées, témoignent également d'un comportement typique des animaux en détention prolongée : le mâchonnement compulsif des barreaux de cage. Un détail crucial, qui a poussé les chercheurs à conclure que l'ours avait vécu non par plusieurs semaines, mais plusieurs années en captivité, probablement dans des conditions de stress intense. Les signes d'infection et de blessures combinés à la courte durée de vie de l'ours – dans la nature, l'espèce vit entre 25 et 30 ans – témoigne ainsi d'années de souffrance endurées pour l'amusement de milliers de spectateurs.
L'étude révèle enfin que l'ours a été capturé localement, dans les Balkans, ce qui laisse à penser que les provinces romaines exploitaient la faune régionale – peut-être, pour éviter le coût des importations d'animaux exotiques. Pas si sûr, puisque les restes d'un léopard ont aussi été découverts dans la zone. Il faut dire que le commerce d'animaux sauvages dans l'Empire romain s'étendait alors de la Grande-Bretagne à l'Afrique du Nord.
Capturées, transportées, dressées de force puis abattues dans l'arène, les bêtes de Viminacium finissaient ensuite dépecées : leur viande était redistribuée, tandis que les ossements étaient jetés à proximité de l'amphithéâtre, montrent des recherches antérieures. Plus de 1 700 ans plus tard, la découverte de ce crâne d'ours brun ajoute une dimension que les mosaïques et récits antiques ne font qu'esquisser : celles des mécaniques de souffrance et de mort destinés à nourrir l'ivresse passagère des foules de la Rome antique.
Mathilde Ragot, Journaliste rédactrice web Histoire GEO.fr - 9 septembre 2025