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L'été 1936 voit exploser toutes les haines accumulées en Espagne depuis plusieurs années. Le 18 juillet, le général Franco a lancé depuis le Maroc un appel à l'insurrection nationale contre le gouvernement de Madrid. Sur tout le territoire, les officiers nationalistes ralliés au pronunciamiento s'efforcent de se substituer aux autorités républicaines en s'appuyant sur une partie de l'armée, sur la Guardia civil et sur les militants carlistes ou phalangistes. Le mouvement échoue à Madrid, à Barcelone, à Valence et à Malaga ; mais Mola et ses « requêtes » réussissent à prendre le contrôle de Pampelune, de Burgos et de la Vieille Castille. Au sud de la péninsule, Queipo de Llano a pu faire occuper Séville grâce à un coup de bluff monumental, alors que l'armée d'Afrique franchit le détroit de Gibraltar. Quelques semaines plus tard, la prise de Badajoz permet aux forces nationalistes du Nord et du Sud de réaliser leur jonction. Pour Franco, promu de fait chef du soulèvement après la mort accidentelle du général Sanjurjo, il faut maintenant marcher sur Madrid, dont la prise signifiera la victoire des insurgés ; mais avant de songer à la capitale, une autre mission attend les soldats de Yagüe et de Varela : ils doivent aller délivrer les défenseurs de l'Alcazar de Tolède, qui soutiennent depuis deux mois un siège qui demeurera l'épisode sans doute le plus célèbre de la guerre civile espagnole.
Quand le soulèvement nationaliste a éclaté, les officiers qui adhéraient au mouvement se sont mis sous les ordres du colonel Moscardo, commandant l'Ecole des cadets, l'un des principaux sanctuaires de la tradition militaire espagnole. Ce dernier va ainsi pouvoir disposer de six cents gardes civils, qui se refusent à reconnaître l'autorité du gouvernement de Madrid. Contrairement à ce que rapporte la légende qui a entouré par la suite la résistance de l'Alcazar, les jeunes élèves officiers n'y ont pris qu'une part insignifiante, pour la bonne raison qu'ils étaient presque tous en vacances dans leurs familles à ce moment de l'été. Seuls huit cadets se rallieront au mouvement. En quelques heures, le colonel Moscardo et le lieutenant-colonel Romero Basar, qui commande les gardes civils, ont pris le contrôle de l'ancienne capitale de l'Espagne ; mais il faut rapidement compter avec la réaction du gouvernement de Madrid.
Dans les souterrains de la citadelle
Celui-ci n'entend pas abandonner la ville aux insurgés, mais la pagaille et l'incohérence qui règnent dans le camp républicain durant les premiers jours de la guerre civile vont favoriser la tâche de ces derniers. Le 19 juillet, le général Riquelme demande la reddition du colonel Moscardo, mais, au même moment, le ministère de la Guerre, qui n'est sans doute pas au courant de la situation à Tolède, lui ordonne de se faire livrer le million de cartouches et les armes qui se trouvent à l'arsenal de la ville... pour les faire parvenir à Madrid. C'est une aubaine pour les insurgés, qui vont récupérer un armement impressionnant en se gardant bien de le remettre aux représentants du gouvernement républicain. La lutte est maintenant ouverte et gagne en intensité au fil des heures. Des miliciens venus de la capitale viennent renforcer les troupes loyalistes, obligeant les insurgés à chercher refuge dans l'Alcazar à partir du 22 juillet.
De nombreux sympathisants ont rejoint les gardes civils par crainte des représailles et ce sont parfois des familles entières qui sont venues s'abriter derrière les murs de la puissante forteresse. Près de deux mille personnes, dont un millier de combattants, vont ainsi devoir soutenir un siège qui durera plus de deux mois. L'espace disponible est considérable, d'autant plus qu'au début les insurgés occupent tous les bâtiments qui entourent la célèbre citadelle, notamment le gouvernement militaire au long duquel s'étend un passage voûté, l'écurie n° 4, qui sera le théâtre de très violents combats.
Durant les premiers jours on se préoccupa surtout d'assurer l'intendance ; il fallait pouvoir nourrir, durant une période qui s'annonçait assez longue, près de deux mille personnes, dont de nombreuses femmes et des enfants ; les vivres risquaient de manquer rapidement. Ayant appris qu'un magasin proche de l'Alcazar disposait de réserves non négligeables, ce qu'ignoraient apparemment les assiégeants, le colonel Moscardo mit sur pied des expéditions nocturnes qui permirent d'accumuler plusieurs centaines de sacs de blé dans les souterrains de la citadelle : de quoi tenir plusieurs semaines. Le rationnement de la nourriture fut établi dès le cinquième jour, mais ce n'est qu'au cours du mois de septembre que les assiégés commencèrent à souffrir de la faim. Les réserves d'eau étaient considérables et ne posaient pas de problème. Le handicap principal résidait dans l'isolement par rapport au monde extérieur. L'Espagne était en éruption, partout la guerre civile faisait rage, et les insurgés de Tolède, sans liaison radio, au début tout du moins, ne savaient rien de l'évolution de la situation au moment où les troupes de Yagüe marchaient vers Badajoz et où les carlistes de Mola triomphaient à Irun et à San Sébastian. On imagine l'angoisse de ces hommes et de ces femmes complètement coupés des autres forces nationalistes et dans l'incapacité totale de savoir s'ils avaient une chance de sortir vivants de la citadelle...
« Adieu, mon petit, je t'embrasse très fort »
Le 24 juillet, le colonel Moscardo reçoit un appel téléphonique du chef des miliciens de Tolède, les communications continuant à fonctionner entre l'Alcazar et la ville. Il apprend que son fils Luis a été arrêté et reçoit de son interlocuteur l'ultimatum de se rendre dans les dix minutes, faute de quoi l'otage sera exécuté. Le colonel ne veut rien entendre. C'est à ce moment que se place le dialogue demeuré fameux. Le chef milicien donne l'appareil au jeune Luis :
«Allô, papa!
— Qu'est-ce qu'il y a, mon petit ?
— Rien, papa ; ils disent qu'ils me fusilleront si tu ne te rends pas. »
Le colonel répète alors au geôlier du garçon que l'honneur militaire lui interdit d'envisager une reddition et demande à parler une dernière fois à son fils :
«Je crois qu'ils n'hésiteront pas à te fusiller.
— Ils ne me feront rien. Que dois-je faire, moi ?
— Recommande ton âme à Dieu. Aie une pensée pour l'Espagne et une autre pour le Christ-Roi. ,
— Je ferai les deux. Je t'embrasse très fort, papa.
— Adieu, mon petit, je t'embrasse très fort. »
Le 12 août, l'épouse du colonel Moscardo était arrêtée à son tour avec son plus jeune fils, Carmelo. Ils rejoignirent Luis en prison ; deux jours plus tard ce dernier fut exécuté, près de la synagogue du Transito, l'endroit de Tolède où l'on fusillait tous ceux qui étaient suspectés de sympathie pour le mouvement franquiste. La mère et le jeune frère de la victime seront délivrés par les troupes nationalistes lors de la libération de la ville dans les derniers jours de septembre.
Durant tout ce temps, la lutte pour l'Alcazar s'est intensifiée. Près de huit mille hommes ont été amenés à Tolède par le gouvernement républicain pour tenter de venir à bout de la résistance des assiégés. Après plusieurs jours d'isolement, ceux-ci, à force d'ingéniosité, ont réussi à remettre en état un poste radio, qui leur permet d'entrer en contact avec le Portugal, une liaison précieuse grâce à laquelle ils vont pouvoir suivre l'avance des troupes nationalistes, qui annonce la proximité de leur délivrance. Les conditions de vie deviennent difficiles : femmes, enfants et vieillards ont été mis à l'abri dans les souterrains ; le service médical et chirurgical, assuré par trois médecins militaires, dispose de moyens dérisoires et il sera rapidement impossible de réaliser des anesthésies pour opérer les blessés, dont certains devront être amputés dans les pires conditions. L'électricité est coupée et la lumière est fournie par de misérables lampes qui utilisent la graisse des chevaux, dont la viande vient régulièrement améliorer l'ordinaire, au début du siège tout du moins.
Le dévouement d'un pâtissier français
Pour entretenir le moral, le commandant Martinez Simancas rédige un petit journal intitulé L'Alcazar, qui informe les assiégés sur le déroulement des combats et leur permet de prendre connaissance de la situation générale dans l'ensemble du pays... quand la radio a réussi à capter les nouvelles de Lisbonne. La bonne humeur ne perd pas ses droits et il arrive même que les voûtes austères de la citadelle portent l'écho de quelque chant populaire, accompagné d'accents de guitare, certains soirs où la pression de l'ennemi se relâche quelque peu. Le millier de combattants disponibles n'est pas de trop pour assurer la défense, et les tours de garde sont longs et épuisants. A l'extérieur, les combattants rouges s'exercent à l'action psychologique ; ils encouragent les assiégés à se rendre en leur promettant la vie sauve, sans succès... La nuit, de puissants projecteurs interdisent maintenant toute sortie destinée à la récupération du ravitaillement ; il faudra survivre avec ce qui se trouve déjà dans la forteresse. Dans les tout derniers jours de juillet, l'un des assiégés réussit à gagner régulièrement l'extérieur pour rapporter de la farine. Il s'agit d'un Français, Isidore Clamagiraud (sa mère est espagnole), un pâtissier. Du 29 juillet au 8 août, il pourra mener à bien ses sorties nocturnes, mais il sera finalement pris par les miliciens et promis au poteau d'exécution. (La chance voudra que le consul de France, de passage à Tolède, puisse récupérer le pâtissier Isidore au moment où ses geôliers l'emmènent vers la synagogue du Transite pour le fusiller.) La résistance acharnée de l'Alcazar commençait à exaspérer les autorités de Madrid ; dans toute l'Europe, l'acharnement des assiégés suscitait une admiration incontestable, amplifiée par le fait que les défenseurs étaient présentés par les journalistes comme des « cadets », c'est-à-dire de jeunes élèves officiers. Le 14 août, Badajoz est tombé et l'espoir commence à renaître derrière les murailles de la citadelle. Les bombardements de l'aviation et, surtout, de l'artillerie républicaine, redoublent d'intensité, sans entamer sérieusement le moral des assiégés.
« Tenez à tout prix »
Le 22 août, un avion venu des lignes nationalistes lance au-dessus de la forteresse un message du général Franco ainsi rédigé : « Du commandant de l'armée d'Afrique et du Nord. Aux braves défenseurs de l'Alcazar. Nous connaissons votre héroïque résistance et nous sommes en train de vous apporter la plus grande aide possible. Nous nous hâtons vers vous. En attendant, tenez à tout prix. Nous vous envoyons quelques secours. Vive l'Espagne ! » Les quelques boîtes de sucre et de chocolat qui ont été larguées représentent bien peu de chose, mais les défenseurs savent maintenant que les armées nationalistes songent à venir les délivrer. Le 30 août, on peut penser que l'issue est désormais proche. L'Alcazar, le journal des assiégés, annonce que les rouges ont été battus à Calzada de Oropesa par la colonne du général Yagüe, le vainqueur de Badajoz. Le 3 septembre, les nationalistes sont à Talavera de la Reina après avoir franchi trois cents kilomètres en deux semaines.
Les jours suivants, des aviateurs nationalistes survolent l'Alcazar et lancent de nouveaux messages. Le général Mola annonce qu'il s'approche de l'Escurial ; les jeunes filles de Burgos adressent une lettre aux « cadets », arrivée elle aussi par la voie des airs, où elles disent toute leur admiration.
Dans le camp républicain, on souhaite en finir le plus rapidement possible : la chute de l'Alcazar constituerait un choc psychologique susceptible de faire oublier la perte de Talavera, que le gouvernement de Madrid se refuse encore à annoncer. Le 8 septembre, le commandant Barcelo, qui dirige les opérations à Tolède, adresse un nouvel ultimatum aux assiégés, leur promettant la vie sauve s'ils acceptent de se rendre. Quelques heures plus tard, il demande au colonel Moscardo de recevoir le commandant Rojo, officier républicain qui fut instructeur à l'Alcazar et qui est respecté par les deux camps. Après deux heures de pourparlers dans la matinée du 9, le commandant redescend de la citadelle sans avoir rien obtenu. Les bombardements d'artillerie redoublent et les autorités de Madrid envoient de nouveaux renforts, alors que les avant-gardes nationalistes sont maintenant à vingt kilomètres de Tolède.
Le 11 septembre, les assiégeants consentent à autoriser la venue d'un prêtre, le chanoine de la cathédrale de Madrid, Enrique Vasquez Camarasa. On observe de part et d'autre un cessez-le-feu qui durera trois heures. Vers midi, le prêtre quitte l'Alcazar. Il ne peut que rendre compte de la détermination des nationalistes de tenir jusqu'au bout. Il a administré les sacrements aux grands blessés et aux mourants, mais il a aussi donné l'absolution à tous les défenseurs, dit la messe, donné la communion et baptisé un nouveau-né...
Un drapeau rouge sur Charles Quint
Les républicains, qui ont l'intention de faire sauter la forteresse, souhaitent une évacuation des femmes et des enfants. Le père Camarasa l'a fait savoir mais n'a obtenu qu'une réponse négative. Le soir du même jour, le commandant Rojo vient de nouveau parlementer et ce sont les femmes elles-mêmes qui lui signifient leur refus de quitter la forteresse, malgré les promesses de vie sauve qui leur sont faites. Une tentative supplémentaire de L’ambassadeur du Chili, qui s'engage à prendre sous sa protection femmes et enfants, n'obtient pas plus de succès. Moscardo ne reconnaît que le gouvernement nationaliste de Burgos et demeure méfiant, sachant par expérience ce dont sont capables ses adversaires. Alors que la colonne Yagüe se renforce, les républicains vont tenter d'emporter la décision en faisant sauter l'Alcazar. Des mineurs asturiens ont amené du matériel qui leur a permis de creuser des galeries dans lesquelles sont accumulées des quantités impressionnantes de dynamite. Les assiégés peuvent repérer au bruit l'emplacement des fourneaux de mines, et les secteurs menacés sont évacués à temps. La population civile de Tolède est invitée à se retirer à quelques kilomètres de la ville et, le 18 septembre à 7 heures du matin, un mineur allume la mèche qui va déclencher l'explosion. Celle-ci est formidable, la tour du sud-ouest éclate littéralement. Dans les minutes qui suivent, les miliciens déclenchent l'assaut, certains que leurs adversaires sont écrasés sous les gravats. Déjà le drapeau rouge flotte sur la statue de Charles Quint quand les défenseurs, jaillissant littéralement des ruines, viennent repousser au corps à corps les assaillants, dont la surprise est totale. La lutte va durer presque toute la journée, impitoyable, une lutte à mort entre deux Espagnes dont la coexistence est impossible. Vers 17 heures, les rouges doivent se replier avec de lourdes pertes. Alors que le combat faisait rage, à 8 heures du matin, une heure après l'explosion, la femme d'un sous-officier de la Garde civile a mis au monde une petite fille.
Soixante-huit jours de siège
La dynamite n'ayant pu venir à bout de l'Alcazar, le général Asensio, qui commande les forces républicaines, décide de l'incendier à l'essence. N'hésitant pas à faire le sacrifice de leur vie, plusieurs défenseurs se précipitent comme des démons sur les pompiers qui déroulent leurs tuyaux pour inonder d'essence l'hôpital de Santa Cruz, voisin de la citadelle. L'incendie allumé un peu plus tard va rendre l'atmosphère difficilement respirable, mais la pluie en limitera les effets. Au nord et à l'ouest de la ville, les flammes et la fumée servent de points de repère aux forces nationalistes. Le 21 septembre, les tirs d'artillerie font s'écrouler la dernière tour du bâtiment qui tenait encore debout. Dans la partie souterraine de l'édifice où les insurgés s'apprêtent à livrer le dernier combat, l'eau commence à se faire rare et le nombre des blessés augmente.
Le 24 septembre, les nationalistes sont à seize kilomètres de la ville et prennent leurs dispositions pour l'assaut. Le 25, les gouvernementaux font sauter la dernière des mines placées par les mineurs asturiens. Dans le champ de ruines qui fut naguère l'Alcazar, l'attaque des rouges est de nouveau repoussée. Le 26 septembre, le général Varela, qui commande l'avant-garde des forces de Yagüe, est aux portes de la ville et les gouvernementaux doivent relâcher la pression qu'ils exerçaient sur la citadelle. La bataille décisive aura lieu dans la journée du 27. Les miliciens opposent une belle défense aux regulares marocains et aux légionnaires du Tercio, qui finissent par avoir raison de leur résistance. Près de mille gouvernementaux sont tués et quand tombe le soir, les survivants s'enfuient en désordre. A 21 heures, les assiégés de l'Alcazar sont libérés. Dans les souterrains où il était réfugié avec sa mère, l'un des nouveau-nés du siège reçoit le prénom de Ramon Alcazar Restituto. Le lendemain matin, le colonel Moscardo reçoit solennellement le général Varela et lui présente la horde de fantômes héroïques dont il est le chef. Après soixante-huit jours d'un siège terrible, marqué par des combats très durs et par des, privations insupportables, il déclare à celui qui commande les libérateurs de Tolède la célèbre phrase : Sin novedad en el Alcazar, mi général (« Rien à signaler à l'Alcazar, mon général »)...
Jacques Hartmann
Sources : Histoire Magazine N°20 – 1981.
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«Le monde fut trompé par trois imposteurs : Moïse, Jésus et Mahomet.»: Frédéric II
«Le soleil du monde s'est couché qui luisait sur les peuples». Ainsi Manfred apprit-il à son frère Conrad la mort de leur père, Frédéric II de Hohenstaufen.
Empereur d'Allemagne grandi sous la lumière de Sicile, roi de Jérusalem excommunié, ami des arts et administrateur de génie, ce souverain est l'une des figures les plus attachantes du Moyen Age. En lui se nouent toutes les contradictions de son temps et l'annonce, encore vague, des siècles chatoyants de la Renaissance.
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Dans les veines de l'empereur Frédéric coule un sang prestigieux,- celui de ses deux grands-pères dont il porte les prénoms, Frédéric et Roger. Le grand-père Frédéric, c'est Frédéric Barberousse, l'empereur allemand dont la mort héroïque est digne des plus belles pages de la chevalerie — il fut emporté par les eaux tumultueuses du fleuve Salef alors qu'il conduisait ses troupes à la reconquête de la Terre sainte. Le grand-père Roger, lui, est le fondateur du royaume normand de Sicile, et ses exploits ont fait trembler pendant trente ans la papauté, Byzance et l'Islam. Hohenstaufen et Hauteville : Frédéric, par les deux lignées de ses ascendants, personnifie le vieux rêve impérial d'une puissance européenne étalée de la Baltique à la Méditerranée.
Allemand par son père, l'empereur Henri VI, normand par sa mère, l'impératrice Constance, Frédéric naît dans une bourgade proche de l'Adriatique, lesi, dans la marche d'Ancône.
Couronné roi d'Allemagne à deux ans — son père a voulu prendre cette précaution, pour assurer la continuité de la dynastie - Frédéric monte sur le trône de Sicile à quatre ans.
Avant de disparaître à son tour, quelques mois plus tard, la reine Constance confie au pape Innocent III la tutelle de Frédéric - et par là même le royaume de Sicile.
C'est une belle carte dans le jeu d'un pape qui plus qu'aucun de ses prédécesseurs entend développer et faire passer dans les faits au maximum les principes théocratiques (c'est-à-dire l'affirmation de la supériorité du pouvoir spirituel, représenté par le pape, sur le pouvoir temporel, représenté par l'empereur). Depuis le XIe siècle, une longue lutte, tantôt sourde, tantôt déclarée, a opposé la papauté et l'empire. Frédéric Barberousse a failli imposer la suprématie impériale, mais la papauté a réussi à dresser contre lui nombre de villes italiennes et à contenir ainsi ses ambitions. Il ne faut plus, jamais, qu'un empereur germanique puisse, en contrôlant l'Allemagne et l'Italie, tenir en respect le pouvoir du successeur de Saint-Pierre. En confiant le petit-fils de Barberousse au chancelier pontifical Gautier de Palearia, le pape Innocent III pense bien exercer à la lettre son droit de tutelle et couper suffisamment les ailes de l'aiglon pour qu'il ne puisse jamais prendre son envol.
L'enfance de Frédéric se passe dans un climat d'intrigues. Autour de lui, des clans se disputent l'influence. Il durcit son cœur. Son corps aussi, car il a déjà cette passion de la chasse, des oiseaux de proie qui ne le quittera jamais. Il s'initie, dans le même temps, aux jeux de l'esprit et manifeste une soif de savoir qui étonne et réjouit ses maîtres. Il a, pour ce faire, la chance de vivre dans un milieu privilégié.
Frédéric restera toute sa vie profondément attaché à la douceur de vivre et à la sensualité de la Sicile. D'où les accusations de débauche portées contre lui par ses ennemis.
En 1208, à quatorze ans, il atteint sa majorité légale.
Quelques mois plus tard, le pape Innocent III décide de le marier. L'épouse sera Constance d'Aragon, veuve du roi de Hongrie et de dix ans plus âgée que Frédéric. Le choix du pape est clair : en unissant maison d'Aragon et maison de Sicile il compte bien constituer à son profit une coalition dont le poids en Méditerranée sera décisif contre l'Islam.
Plus que de sa nouvelle épouse Frédéric se soucie d'imposer son autorité dans son royaume. Ce garçon à peine sorti de l'adolescence va manifester très vite les qualités d'un grand souverain. Il publie sans tarder un édit ordonnant à tous les propriétaires terriens de soumettre tous leurs titres de propriété à la curie royale aux fins d'examen. C'était, d'un trait de plume, mettre en question les pouvoirs de la féodalité, acquis au détriment de l'autorité royale. Les plus puissants barons s'étant révoltés, leurs châteaux sont assiégés, pris et rasés, les rebelles jetés en prison. Les musulmans, quant à eux, sont avertis qu'ils conserveront le droit de vivre selon leurs usages et croyances sur le sol sicilien à condition de manifester une fidélité sans faille au souverain. Puis, pour compléter l'affirmation de son pouvoir, Frédéric renvoie à leurs chères études les «conseillers» que le pape avait placés près de lui depuis son enfance, et tout spécialement le chancelier Gautier de Palearia.
I
Deux empereurs pour un empire
Innocent III va-t-il supporter cette émancipation ? Oui, car il a besoin de Frédéric. Le Welf Otton de Brunswick, qui a solennellement promis, avant d'être couronné empereur, de respecter scrupuleusement les droits, tous les droits, du Saint-Siège, s'est dépêché d'oublier ses promesses sitôt couronné. Il entend étendre sa puissance sur la Sicile, en l'enlevant à Frédéric. C'est la renaissance d'une menace contre laquelle la papauté a toujours lutté : le même homme maître de l'Italie du Nord et de l'Italie du Sud prendra dans une tenaille les Etats pontificaux.
Alors que Frédéric a déjà fait armer une galère pour s'embarquer et quitter avec les siens la Sicile dès qu'Otton approchera — le jeune roi n'a pas les moyens militaires de faire face —, il apprend que l'agresseur fait demi-tour, remonte vers le nord, regagne l'Allemagne. En vieux routier, Innocent III a retourné contre Otton le poids de l'institution impériale. Le pape a en effet fait savoir en Allemagne qu'il ne considérait plus Otton comme l'empereur légitime, qu'il l'avait d'ailleurs excommunie et qu'il convenait de le remplacer par Frédéric. Travaillée par la propagande pontificale, la Diète a élu empereur Frédéric.
Voilà affrontés deux candidats à l'empire : mieux, deux empereurs. C'est le type de situation qu'affectionne la papauté : elle peut, en jouant les arbitres, imposer au vu et au su de tous cette suprématie qu'elle revendique sur les choses de la terre comme sur celles du ciel. Mais Frédéric doit encore conquérir cet Empire que vient de lui donner le génie de l'intrigue d'Innocent III. Otton, rentré en Allemagne, n'est pas décidé à céder la place. Il faut aller le déloger.
Sans armée, sans argent pour en lever une, Frédéric II se met en route. Il n'a pour lui que la certitude, inébranlable, d'incarner la majesté impériale, d'être le légitime successeur du grand Barberousse et d'avoir par conséquent pour mission sacrée de restaurer, dans toute sa grandeur, l'empire. Ayant échappé de justesse aux embuscades des Milanais — irréconciliables ennemis des Hohenstaufen — Frédéric II passe en Suisse, où il trouve l'appui armé de puissants ecclésiastiques, l'évêque de Coire, l'abbé de Saint-Gall. Le voilà à la tête d'un embryon d'armée. La ville de Constance, où Otton, accouru avec une forte armée, compte bivouaquer, se donne en fait à Frédéric II.
Otton joue sa dernière carte en juillet 1214, en s'alliant aux Anglais contre la France. Au soir de la bataille de Bouvines, la partie est définitivement perdue pour lui.
Il a abandonné sur le champ de bataille les insignes impériaux et un aigle d'or, que Philippe Auguste fait porter à Frédéric II. Celui-ci peut, un an plus tard, se faire couronner solennellement à Aix-la-Chapelle, selon l'antique cérémonial.
I
Le vieux rêve romain
Frédéric se sent infiniment plus à son aise dans son royaume de Sicile qu'en Allemagne. Par goût personnel, sans doute. Mais aussi, peut-être, parce que la Sicile, par sa position, peut devenir l’épicentre géopolitique d'un empire méditerranéen. Frédéric, qui se remarie en 1225, après la mort de Constance, avec la fille du roi de Jérusalem Jean de Brienne, est probablement hanté par le vieux rêve romain : les aigles impériales régnant d'un bord à l'autre de la Méditerranée. Mais — contrairement à ce qu'ont pu croire certains auteurs — Frédéric II n'a rien d'un utopiste. Il sait bien que, depuis la renaissance de l'empire, sous Otton Ier (962), celui qui porte la couronne impériale est condamné à partager ses soins entre les deux pôles de son domaine, l'Allemagne et l'Italie. Perpétuel écartèlement, qui oblige chaque empereur à un va-et-vient sans cesse recommencé, sous peine de voir l'anarchie se développer dans l'un ou l'autre pays. Frédéric fait taire ses préférences, et s'impose de rester plusieurs années sur le sol allemand.
Pour y faire régner sa paix et son ordre, l'empereur applique deux séries de mesures. Les unes, répressives, matent ou éliminent les seigneurs pillards qui défiaient ostensiblement l'autorité publique. Les autres organisent ce que l'on a pu appeler, à juste titre, une «révolution aristocratique». Il s'agit, en effet, de reconnaître pleinement la volonté d'indépendance des grands féodaux, laïcs ou ecclésiastiques. Ces derniers ont toujours constitué une force de soutien décisive, en face des prétentions pontificales. Frédéric leur accorde des privilèges tels — celui de battre monnaie, par exemple, est révélateur — que l'image politique de l'Allemagne qui en résulte est celle d'une confédération dont les différentes composantes ont leur vie propre, le seul lien véritablement fédérateur étant la personne de l'empereur.
Lorsqu'il revient en Italie, c'est pour recevoir du pape Honorius III - Innocent III est mort en 1216 — les insignes impériaux, à Rome. Cette cérémonie romaine, tradition indispensable pour que la dignité impériale soit reconnue pleine et entière, est chargée d'un symbolisme puissant : coiffé de la mitre d'abord, de la couronne ensuite, tenant dans ses mains le sceptre d'or massif, le globe et l'épée, l'empereur apparait à ses peuples — quoi qu'en dise l'Église — pour ce qu'il est : l'héritier de la tradition franque de la monarchie sacrée, le détenteur de cette «vertu magique, préchrétienne» qui vient du plus profond du paganisme germanique.
I
La petite croix de laine rouge
Le même jour le cardinal d'Ostie vient mettre sur la poitrine de Frédéric II une petite croix de laine rouge : rappel de la promesse faite en 1215, à Aix-la-Chapelle, de partir pour la croisade. Frédéric, à vrai dire, est peu pressé de se mettre en route. Il demande d'abord de reporter son départ jusqu'en 1221. Mais, en 1221, les Sarrasins bougent en Sicile. On reporte donc le départ en croisade pour l'année suivante. Mais la reine Constance meurt. On partira donc en 1225. En 1225, puis 1226, de nouveaux soucis accablent l'empereur : les Lombards intriguent de nouveau. L'embarquement, c'est juré, aura lieu en 1227. Honorius III disparaît avant d'avoir vu partir l'empereur.
Le successeur d'Honorius, Grégoire IX, n'est pas homme à supporter longtemps les tergiversations. Frédéric s'embarque, certes, mais en pleine mer son navire fait demi-tour : une épidémie frappe ses troupes, lui-même est malade. Sans hésitation, Grégoire IX frappe l'empereur du décret d'excommunication, délie ses sujets de leur serment d'obéissance, interdit désormais qu'ait lieu la croisade.
l’excommunié à Jérusalem
C'est donc un empereur excommunié qui quitte Brindisi le 28 juin 1228, à la tête de quarante galères voguant vers la Terre sainte. Curieuse croisade en vérité. Frédéric fait savoir au sultan Malek al-Kamil - avec lequel il est en relation épistolaire depuis plusieurs années — qu'il souhaite une solution négociée. Les deux souverains, au grand dépit des fanatiques et intégristes tant musulmans que chrétiens, trouvent un terrain d'accord. Une trêve de dix ans est conclue, les Lieux saints sont cédés aux chrétiens, trois mosquées restant consacrées au culte musulman à Jérusalem. L'empereur excommunié réussit donc, par la diplomatie, là où ont échoué quarante ans de conflit armé. Cela malgré l'opposition du clergé chrétien, qui refuse de célébrer l'entrée de Frédéric à Jérusalem. L'empereur, en un geste qui en dit long, se couronne lui-même roi de Jérusalem. Il prend plaisir, lui qui se sent étranger à tout fanatisme et à tout sectarisme religieux, à converser très librement avec des lettrés musulmans, aussi détachés que lui des passions partisanes. Ce refus de l'intolérance monothéiste ne lui sera jamais pardonné.
De retour en Italie, l'empereur peut se donner tout entier à l'œuvre qui compte pour lui en priorité : créer un État digne de ce nom, baigné et animé d'une culture héritée de l'Antiquité.
Le premier devoir du monarque est d'être un justicier.
Frédéric fait établir un recueil de lois clair et rationnel, les Constitutions de Melfi, qui auront une renommée égale à celle du Code justinien.
Législateur, Frédéric est aussi un administrateur. L'introduction de nouvelles cultures (henné, indigo), les monopoles d'État du sel, du fer, des colorants, de la soie, du chanvre, la mise au point d'une administration financière stricte et efficace fournissent à l'empereur les moyens d'une grande politique. Expert lui-même en matière d'agriculture scientifique, Frédéric intervient personnellement pour encourager certaines initiatives.
La vision romaine de l'Empire qui guide Frédéric II est marquée, symboliquement, par les titres que lui donnent les documents officiels : (Frédéric empereur, César romain toujours auguste, roi d'Italie, de Sicile, de Jérusalem et d'Arles, heureux vainqueur et triomphateur). Même symbolisme sur les augustales, pièces d'or que Frédéric fait frapper et où l'avers porte son effigie en empereur romain couronné de rayons de soleil, le revers l'aigle impériale romaine.
I
Une atmosphère de propreté des plus païennes
Constructeur, il fait édifier des châteaux forts dont les aménagements intérieurs font d'aimables résidences, comme ce Castel del Monte, dont Frédéric est, là encore, l'architecte, et qui était orné de sculptures annonçant, deux siècles à l'avance, la Renaissance. Qui possédait aussi plusieurs salles de bain. «A une époque, note malicieusement Georgina Masson, où la saleté était souvent tenue pour un signe extérieur et visible de la chasteté chrétienne, le bain quotidien de l'empereur, pris même le dimanche, était considéré comme un scandale évident, presque un manque d'égard envers Dieu (...) Il semble d'après cela que la cour de Frédéric était tout empreinte d'une atmosphère de propreté des plus païennes. »
Suspect, pour l'Église, était de même l'intérêt manifesté par Frédéric pour la connaissance scientifique. L'empereur s'intéresse aux sciences naturelles et fait procéder à des expériences médicales. Il s'entoure aussi de poètes, qui font de sa cour un foyer de littérature courtoise. L'empereur lui-même écrit des vers — Dante le tiendra pour le père de la poésie italienne — et rédige un magistral traité de fauconnerie.
Une soif de connaître, de percer les secrets du monde entraîne Frédéric à envoyer aux plus réputés savants du monde musulman des «Questions» destinées à susciter un débat philosophique fondamental. Interrogations sur l'immortalité de l'âme, sur l'éternité du monde qui constituent autant de sujets brûlants.
On comprend que les bruits les plus fâcheux aient été répandus par ses adversaires sur l'orthodoxie chrétienne de Frédéric. En 1239, le pape Grégoire IX l'accuse formellement d'avoir nié que Jésus fût né d'une vierge, et d'avoir déclaré que le monde avait été trompé par trois imposteurs : Moïse, Jésus et Mahomet «De foi en Dieu, il n'en avait aucune», note quant à lui le chroniqueur franciscain Fra Salimbene.
Les dix dernières années du souverain sont marquées par une lutte de plus en plus implacable entre l'empire et la papauté. Le pape Innocent IV «fait de la théocratie une doctrine "totale"» (...) et, allant au bout de sa logique, Innocent IV excommunie et dépose Frédéric II lors du concile de Lyon, en 1245.
Seule la mort, pourtant, pourra abattre son adversaire. Sa disparition, en 1250, ouvre pour l'empire une tragique période d'abaissement : c'est «le grand interrègne». «Le grand règne de Frédéric II finit en catastrophe, remarque Robert Folz. Mais, si celle-ci emporta l'empire en tant qu'institution (...) elle ne peut déraciner de l'esprit des hommes l'espérance que le nom du dernier Staufen continuait à cristalliser.» Beaucoup crurent que, comme Barberousse, Frédéric II, réfugié au plus profond des montagnes d'Allemagne, attendait l'heure de faire renaitre l'empire.
P. VIAL
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Notion mêlant ruse, prévision, débrouillardise, la "mètis" s'exerçait dans la Grèce antique : savoir-faire de l’artisan, habileté du sophiste, prudence du politique... À partir du Vème siècle, les philosophes l'ont refoulée. En 1989, deux universitaires la remettent à l'honneur dans un essai. Ulysse (gravure de 1880), le héros humain de la métis Ulysse (gravure de 1880), le héros humain de la métis• Crédits : Getty Les éditions Flammarion rééditent dans la collection Champs Essais Les ruses de l’intelligence : la mètis des Grecs de Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant, paru à l'origine en 1989. La mètis, entre ruse et prudence L’ouvrage constitue le résultat de dix ans d’enquête sur une notion complètement oblitérée par les hellénistes modernes et contemporains, notion qui a pourtant irrigué tout le monde grec pendant plus de dix siècles. Cette notion, c’est la mètis, [qui s’écrit m – e accent grave – t – i – s] qui selon les mots des auteurs constitue "un ensemble complexe, mais très cohérent, d’attitudes mentales, de comportements intellectuels qui combinent le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d’esprit, la feinte, la débrouillardise, l’attention vigilante, le sens de l’opportunité, des habiletés diverses, une expérience longuement acquise ; elle s’applique à des réalités fugaces, mouvantes, déconcertantes et ambiguës, qui ne se prêtent ni à la mesure précise, ni au calcul exact, ni au raisonnement rigoureux." La mètis, pourtant, n’a jamais fait l’objet d’aucune formulation explicite ou d’aucun traité, aucun texte n’en donne les fondements précis, ni les ressorts. Les philosophes n’en parlent pas ou peu. Pour Platon, la mètis, tout comme la dextérité (euchéria), la sûreté du coup d’œil (eustochia) ou encore la pénétration de l’esprit (agchinoia) relèvent toutes d’un mode de connaissance extérieur au savoir véritable, elles sont, d’une certaine manière, étrangères à la vérité. Ça n’est pas le cas d’Aristote, chez qui la notion de « prudence », la fameuse phronesis, vertu pratique par excellence, se rapproche grandement de la mètis. Mètis, femme de Zeus, mère d’Athéna La mètis, c’est donc cette forme particulière d’intelligence, cette prudence avisée, perçue tantôt comme l’intuition suprême, tantôt comme la ruse absolue. Mètis, c’est aussi, et avant tout, le nom d’une déesse, fille de Téthys, la déesse de la fécondité marine, celle qui reçoit le soleil qui vient tous les soirs se coucher au terme de son voyage céleste et d’Okéanos, lui même fils d’Ouranos, le Ciel, et de Gaïa, la Terre. Mais si les Grecs la connaissent, c’est surtout parce qu’elle occupe une place éminente dans l’économie du monde divin. Elle est la première épouse de Zeus, celle qu’il mène à son lit aussitôt la guerre contre les Titans terminée. Sans son secours, sans l’appui des armes de ruse dont elle dispose, il n’aurait pas pu vaincre. Elle marque le couronnement de sa victoire et consacre sa primauté de monarque. Mais Zeus ne s’est pas contenté de s’unir à Mètis. Après qu’elle ait accouché d’Athéna, il l’avale. Sage précaution soulignent Détienne et Vernant, car si Zeus ne l’avait pas fait, Mètis aurait accouché d’un fils plus fort que lui et qui l’aurait sans doute détrôné. Ainsi, en avalant la déesse Mètis, Zeus est devenu le Dieu par excellence de la mètis, de ce mélange particulier de prudence et de ruse qui lui ont permis non seulement de conquérir le pouvoir, mais aussi de l’exercer et de le conserver. Il n’y a plus de mètis possible en dehors de Zeus et contre lui ou plutôt sa mètis est devenue la mesure de toutes les autres mètis. Pas une ruse ne se trame dans l’univers sans passer d’abord par son esprit. Rien ne peut le surprendre, tromper sa vigilance ou contrecarrer ses desseins. D’autres dieux, cependant, sont pleins de mètis. Héphaïstos, Hermès, Aphrodite. Athéna, bien sûr, puisqu’elle est le fruit des entrailles de sa mère, la déesse Mètis, au point d’être parfois même appelée Athéna Mètis. D’après les récits mythiques, elle jaillit dans l’éclat de la lumière et du tumulte, vêtue de bronze, poussant un immense cri de guerre. Sa force, elle la doit à son courage, à la hardiesse de son coup d’œil, à la rapidité de son exécution. Elle la doit surtout à sa mètis, qui chez elle se rapproche autant de l’habileté du renard que de son regard éclatant qui se mêle au feu terrifiant du bronze qui la pare. Mère de toute force et intelligence Mais la mètis n’est pas que l’apanage des dieux. Pour cela, il faut se rendre chez Homère et rouvrir le 13ème chant de l’Illiade, dit épisode des Jeux. Tout est prêt pour la course de chars. Le vieux Nestor, modèle du sage, prodigue des conseils à son fils Antiloque. Le garçon est fort talentueux bien que jeune, mais ses chevaux ne sont pas très rapides par rapport à ceux de ses adversaires. Nestor lui dit alors "À toi donc, mon petit, de te mettre en tête une mètis multiple pour ne pas laisser échapper le prix." Puis le chant se poursuit pour se transformer en louange : "C’est par la mètis, plus que par la force que vaut le bûcheron. C’est par la mètis que sur la mer vineuse l’homme de barre guide le bâtiment de course en dépit du vent. C’est par la mètis que le cocher l’emporte sur son concurrent." Par une manœuvre plus ou moins frauduleuse, Antiloque finit par gagner la course. Nestor commente : "Qui connaît les tours, même s’il conduit des chevaux médiocres, l’emporte."
href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-de-la-philo/la-metis-des-grecs?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR24h3phzQtl-FuoSWfx7tqR0WNqDrDfvZcJ4X7KPSsOWWy3vLukzD-2Y0o#Echobox=1542633764">https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-de-la-philo/la-metis-des-grecs?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR24h3phzQtl-FuoSWfx7tqR0WNqDrDfvZcJ4X7KPSsOWWy3vLukzD-2Y0o#Echobox=1542633764La Mètis, cette ruse qui fit les succès d’Ulysse (Juillet 2017)
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Ce soir, RMZ reçoit Pierre Vial et Jean-Paul Lorrain pour évoquer la traditionnelle Table ronde de Terre & Peuple qui se tiendra le 9 décembre prochain à Rungis et le dernier ouvrage de Pierre Vial sur les rites païens, du berceau à la tombe. Eugène krampon mène le bal en compagnie de Lord Tesla.
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les carnets de Nicolas Bonnal.
Soumis durant des siècles à la cruauté des ogres protestants anglais (l’un d’eux vint en France et faisait collection d’oreilles de nos prêtres), les « papistes » irlandais, à qui la littérature british doit pourtant les quatre cinquièmes de ses génies, ont eu droit à tout : déportation, esclavage (lisez White cargo de Jordan et Walsh), famine, extermination jusque dans les églises sous le puritain Cromwell qui voulait remplacer le déjà vieux dimanche des chrétiens par le sabbat des Juifs qu’il avait rappelés à Londres pour détrôner Amsterdam et conquérir les mers et les marchés financiers. Cromwell créa l’Océania d’Orwell, qui a depuis la vie dure. Lisez Harrington à cet effet. Sur la Grande famine, je vous recommande pour commencer la page Wikipédia en anglais sur an Gorta Mór, Pendant qu’on mourait de faim en Irlande, on exportait dans ses ports ! Ô liberté du commerce ! Que de crimes on déguste en ton nom !
Lire la suite : SWIFT : COMMENT DEGUSTER LES ENFANTS CATHOLIQUES IRLANDAIS.