parag khanna

 

Le Dr Parag Khanna est un indo-américain spécialiste de la géopolitique et de la mondialisation. Il est l’associé directeur de FutureMap, et l’ancien associé directeur d’Hybrid Reality ainsi que le co-fondateur et PDG de Factotum.

Selon lui, la combinaison du changement climatique, des privations économiques, de la guerre et de la technologie signifie que des milliards de personnes seront en mouvement tout au long de ce siècle. L’Écosse, avec son libéralisme et ses ressources naturelles, sera parmi les pays qui accueilleront de nombreux immigrés, comme il l’indique dans un entretien accordé au Herald que nous avons traduit pour vous ci-dessous.

Attention, les propos tenus dans cet entretien vont sans doute vous choquer tant ils sont lunaires. Mais ils sont nécessaires à avoir en tête, pour comprendre ce qu’il y a dans la tête des ennemis mortels de l’Europe.

L’avenir de l’Écosse, comme celui du reste du monde occidental, sera probablement asiatique. Le pays va se retrouver emporté par la « grande migration » à venir. Nous assisterons à une « brunification » de l’Écosse, alors que la démographie et l’immigration de masse se conjuguent pour changer le teint de l’Occident.

La culture politique de l’Écosse, avec son orientation favorable à l’immigration, ainsi que sa géographie et ses ressources naturelles, qui nous placent en bonne position pour résister à la crise climatique, feront de nous un aimant pour une nouvelle génération de migrants prêts à remodeler le XXIe siècle.

C’est ainsi que le Dr Parag Khanna  présente une analyse étonnante de l’avenir. Les affirmations de M. Khanna seront bien accueillies par les partisans de l’immigration, comme le SNP de Nicola Sturgeon, tandis que d’autres, seront furieux, voire effrayés. Les commentaires de Khanna s’inscrivent directement dans le cadre des guerres culturelles de plus en plus tendues en Écosse.

Khanna, qui vient de publier le livre Move : How Mass Migration Will Reshape The World And What It Means For You, est un expert en sciences politiques, en relations internationales, en économie, en géopolitique et en mondialisation. Il est membre de certains des groupes de réflexion les plus prestigieux au monde, notamment le Council on Foreign Relations, la Brookings Institution, New America et le Conseil européen des affaires étrangères.

 

Une migration de masse ?

Nous avons toujours été en mouvement, indique Khanna à qui veut bien l’entendre ; la migration est un élément central de la longue histoire de l’humanité. Depuis le début de la colonisation occidentale, les migrations se sont accélérées.

« Dans chaque siècle depuis, explique Khanna, le nombre de migrants a augmenté parce que le nombre de moteurs de la migration a augmenté. » Par le passé, certains Européens voulaient s’enrichir dans de nouvelles colonies, d’autres fuyaient des catastrophes comme la famine irlandaise. La guerre a joué un rôle, tout comme l’ouverture de l’Amérique, du Canada et de l’Australie. Lorsqu’il s’agit de la progression des migrations à travers les siècles, dit Khanna, « la décimale se déplace toujours vers la droite. Nous sommes passés de millions de migrants à des dizaines de millions au 18e siècle ». Aux 19e et 20e siècles, « nous avons des centaines de millions de migrants ».

Aujourd’hui, le changement climatique est venu s’ajouter aux forces qui poussent à la migration. Tout au long de ce siècle, des pans entiers de la planète deviendront inhabitables, selon les prévisions, ce qui entraînera le déplacement de populations entières.

« Au cours de ce siècle », dit Khanna, « en seulement 20 ans, le changement climatique est déjà à l’origine de 30 à 40 % du total des déplacements dans le monde. » Ainsi, les moteurs de la migration sont désormais triples : « Vous avez un tiers économique, un tiers politique [guerres et persécutions], et un tiers de changement climatique et, bien sûr, ils sont tous liés. Regardez la sécheresse en Syrie qui a entraîné l’urbanisation, les troubles politiques, la guerre civile et l’exode de près d’un quart de la population en tant que réfugiés. »

Au cours de ce siècle, dit Khanna, « nous parlons de milliards de personnes qui se déplacent – c’est ce que j’essaie d’expliquer, littéralement des milliards ».

 

En marche

Les populations d’Asie domineront la prochaine « grande migration ». « L’Asie compte plus de 50 % de la population humaine », explique M. Khanna. « Géographiquement, l’Asie et l’Europe partagent un méga-continent : l’Eurasie. En d’autres termes, il est beaucoup plus facile pour les Asiatiques de circuler autour de l’Eurasie que pour les Africains d’aller en Europe ou les Latino-Américains en Amérique. La population asiatique est également plus jeune et plus mobile… Si l’on veut résumer l’avenir de la démographie humaine en deux mots, c’est ‘jeunesse asiatique' ».

« Les taux de natalité asiatiques sont encore élevés et les taux de natalité occidentaux sont pratiquement nuls », déclare Khanna. « Par conséquent, par la loi de la simple arithmétique, toujours plus de la future population mondiale est asiatique… L’avenir est asiatique. »

Si l’on combine les populations de l’Inde, du Bangladesh et du Pakistan, elles dépassent la population de la Chine. M. Khanna estime que ce sont les jeunes du sous-continent qui constitueront la masse des futurs migrants. Une grande partie du sous-continent est plus exposée au danger climatique que la Chine, avec sa plus grande proportion de « zones vivables ».

La jeunesse chinoise est moins susceptible de vouloir quitter son pays, estime M. Khanna. La Chine est stable et forte et si les jeunes Chinois peuvent aimer étudier en Occident, « tout le monde n’a pas envie d’être un révolutionnaire politique et de vivre sous les libertés de la démocratie libérale ».

Fondamentalement, dit Khanna, « les Indiens veulent quitter l’Inde ». L’Occident doit se préparer à l’émergence de « l’Européen asiatique ».

 

Migrer ou mourir

L’EUROPE devrait considérer la migration de masse non seulement comme un avantage mais aussi comme une bouée de sauvetage, estime M. Khanna. Le débat occidental sur les migrations est complètement aveugle, estime-t-il. Nous avons des taux de natalité faibles, des populations vieillissantes, pas assez de travailleurs – notamment pour s’occuper de nos populations âgées croissantes – et beaucoup d’espace. « L’Europe devrait se livrer à une concurrence acharnée pour recruter autant d’Asiatiques intelligents que possible. »

Au lieu de cela, l’Europe a vu la montée des politiques nationalistes et populistes anti-immigrés. « Vous ne pouvez pas à la fois soutenir que les pénuries de main-d’œuvre s’aggravent et soutenir que le populisme reste une force immuable, car la vérité est que plus les circonstances démographiques et donc fiscales deviennent douloureuses, plus il est probable que le populisme doive se plier aux réalités économiques », explique Khanna.

« Nous avons tendance à considérer par défaut que l’identité nationale et les postures anti-immigration sont la norme persistante et que tout devra se tenir et attendre jusqu’à ce qu’une grande illumination se produise. Ce n’est pas du tout le cas. Si c’était vrai, l’Allemagne ne serait pas le pays d’immigration de masse qu’elle est aujourd’hui. »

Environ un million de migrants arrivent en Allemagne chaque année, et 13,7 millions de personnes sont des migrants de première génération. Les récentes élections ont vu l’Allemagne basculer à gauche avec une coalition SPD-Verts-Libéraux, et l’effondrement de l’AfD, parti de droite dure et anti-migrants. Cela prouve, selon M. Khanna, que « le populisme aboie plus qu’il ne mord ».

 

La mort du populisme

En fait, selon M. Khanna, « le populisme est complètement à côté de la plaque ». L’Italie, souligne-t-il, « compte plus de migrants que lorsque Matteo Salvini [le leader populiste de droite anti-migrants] était au sommet de son art ». M. Khanna note qu’après le Brexit, la démographie et la pénurie de travailleurs font « qu'il est en fait plus facile d’émigrer en Grande-Bretagne en tant que jeune Asiatique qu’il y a cinq ans – et juste sous le nez de Trump, l’Amérique est devenue plus diverse, plus métissée. Nous devrions vraiment considérer le populisme comme la bavure politique qu’il est ».

À moins que les nations occidentales ne souhaitent décliner inexorablement, « la politique d’immigration doit être dictée par l’offre et la demande » et non par des notions insulaires d’identité. Khanna note également que la manifestation actuelle du populisme pourrait, littéralement, être éphémère. La « génération populiste xénophobe, majoritairement âgée, se dirige vers le grand Brexit dans le ciel », affirme-t-il. En attendant, les politiques anti-migrants nuisent aux économies occidentales, affirme-t-il.

 

Être le Canada

Les démocraties occidentales doivent changer leurs politiques pour des raisons « pragmatiques, rationnelles et intéressées ». Si l’Occident continue à adopter des politiques anti-immigration, malgré les pressions économiques et démographiques, les migrants viendront quand même, mais de manière incontrôlée et dangereuse, comme nous l’avons vu dans la Manche. L’économie et la démographie font qu’à terme, « la Grande-Bretagne finira par revenir à des normes pro-immigration ». Le Canada, avec ses politiques libérales, « en dit plus sur l’avenir de l’Occident que la Hongrie ».

Selon M. Khanna, les médias ont faussé le débat sur l’immigration en se concentrant davantage sur des épouvantails tels que le populiste autoritaire hongrois Viktor Orban que sur le libéral canadien Justin Trudeau.

Se concentrer sur Orban va à l’encontre de « la nature de la réalité ». Selon M. Khanna, « le Canada absorbe plus de personnes en quelques années que la population entière de la Hongrie ; Orban est sur le point de partir, et personne ne veut aller en Hongrie de toute façon. Nous mettons toute cette attention sur un perdant périphérique plutôt que sur la plus grande histoire de migration de masse du 21e siècle : le Canada. Honte à nous pour cela. Nous nous rendons un très mauvais service ».

Des changements favorables à l’immigration se produisent discrètement partout dans les démocraties, malgré le récit selon lequel les frontières se ferment. Khanna cite le Japon qui se libéralise en raison du vieillissement de sa population. La rhétorique anti-migrants en Occident ne surprend cependant pas Khanna. Malgré les libertés et les avantages évidents, il y a toujours un « élément de course vers le bas » de la part des partis politiques dans les démocraties, et un accent mis sur l’indignation dans des médias libres. M. Khanna note que ce « court-termisme » joue également contre l’intérêt personnel en matière de changement climatique.

 

Le dilemme démographique

Selon M. Khanna, les pays occidentaux qui s’élèvent le plus contre les migrants sont « ceux-là mêmes où les personnes âgées meurent littéralement seules », car le vieillissement de la population se heurte au manque de personnel soignant. « De toutes les mesures permettant d’évaluer une société civilisée, l’une d’entre elles serait certainement : laissez-vous les personnes âgées mourir seules ? Je ne vois pas de crime moral plus grave que de traiter les personnes âgées de la sorte. C’est carrément barbare. La société occidentale devrait avoir honte d’elle-même. C’est répugnant. Nous pouvons choisir d’être un pays civilisé ou choisir de ne pas l’être ».

A Singapour, où « il y a pratiquement un soignant philippin pour chaque personne âgée », la négligence des personnes âgées serait scandaleuse. « Les personnes âgées sont traitées avec le genre de dignité dont [l’Occident] ne peut que rêver ». Il est clair, cependant, que Singapour est loin d’être une société libre et démocratique.

Face au destin démographique de l’Occident, les Européens, dit Khanna, « devraient en fait être les plus favorables à l’immigration dans le monde. Vous devriez vouloir que vos parents aient une infirmière philippine à Dresde pour que vous puissiez en toute conscience aller vivre à Berlin »

Les pays sages, ajoute Khanna, « se livrent actuellement une guerre pour l’infirmière philippine. Je compare l’infirmière philippine au Lionel Messi des soins de santé ».

 

Le retour de bâton

« La bonne gouvernance repose sur la compréhension pragmatique des besoins de la société d’un point de vue à long terme », dit-il. Pour l’heure, cependant, M. Khanna souhaiterait voir « des dirigeants démocratiquement élus plaider en faveur d’une politique d’immigration plus robuste, fondée sur les besoins démographiques ».

Les immigrés « contribuent davantage au système qu’ils n’en retirent, ils remplissent des services sociaux et économiques que les autochtones ne font pas, comme le ramassage des ordures ». Il faudrait cependant consacrer beaucoup plus de temps, d’argent et d’énergie à l’intégration, afin d’éviter que la « balkanisation » sociale n’entraîne des frictions raciales.

Khanna montre du doigt la France qui échoue lamentablement sur cette question. « Je pense que la France ne se ressaisira jamais », déclare-t-il sans ambages.

M. Khanna considère l’Allemagne comme le pays européen qui montre la voie lorsqu’il s’agit de créer une unité sociale entre les races. La Grande-Bretagne, malgré toutes les craintes que suscite le Brexit, ne s’en sort pas trop mal non plus en matière de cohésion et de migration. « Regardez le nombre de riches sud-asiatiques au sein des Lords – il n’y a pas d’équivalent en France. » Un bon logement, une bonne éducation et de bonnes perspectives d’emploi signifient une bonne intégration sociale.

 

La « brunification de l’Occident »

Selon M. Khanna, la migration signifie que le monde est déjà en train de se « métisser » sur le plan racial et, au fur et à mesure que le siècle avance, nous ne ferons que constater cette « métissage robuste du monde », c’est-à-dire le mélange génétique qui est inévitable du fait du brassage de populations différentes aux quatre coins de la planète. À Londres, Mohammed est déjà le prénom de bébé le plus populaire, ajoute Khanna. Nous verrons les effets des « migrations de masse se manifester au cours des 30 à 50 prochaines années », dit-il.

L’Occident va subir une « brunification », estime Khanna. « Si les jeunes Asiatiques représentent la majorité de la jeunesse mondiale et la majorité des migrants mondiaux, ils représentent aussi la majorité des futurs papas et mamans. Nous verrons une proportion de plus en plus élevée d’enfants au teint brun et de moins en moins d’enfants au teint blanc. Vous ne pouvez pas réfuter cela ou y faire quelque chose – tout cela fait partie de la belle et profonde marée de l’histoire et de la démographie. »

Ce que Khanna souhaite à l’échelle mondiale, c’est une « géographie programmable » – en d’autres termes, à l’ère du changement climatique et de la démographie déstabilisante, la capacité de déplacer les grands groupes de personnes qui veulent migrer vers les endroits où l’on a le plus besoin d’eux. Ainsi, la Russie, premier exportateur mondial de blé, a besoin d’agriculteurs, et le Bangladesh de personnes confrontées à la montée du niveau de la mer… pourquoi ne pas les réunir et résoudre deux problèmes mondiaux à la fois ? Cependant, il est évident qu’un Kremlin anti-migrants ne cautionnerait jamais une telle idée.

Que cela plaise ou non aux nationalistes et aux populistes, le changement climatique oblige les populations à se déplacer. Les villes côtières américaines pourraient être inondées. Khanna prévoit des implantations dans les régions polaires au cours du siècle.

Mais il est également conscient que les nations ne renonceront pas au contrôle de la politique d’immigration au profit d’une « technocratie mondiale ». Il est donc probable que les grands changements migratoires viendront de la « base », les migrants se déplaçant tout simplement, que les gouvernements nationaux le veuillent ou non. En fin de compte, cependant, M. Khanna pense que la plupart des nations « préfèrent être le Canada plutôt que la Russie – le succès engendre le succès, personne ne veut imiter les États en faillite ».

 

Quatre visions

KHANNA prédit quatre scénarios pour l’avenir dans un contexte de migration massive et de changement climatique : la « forteresse régionale », où les démocraties occidentales restent relativement stables mais ferment tout simplement les portes ; un « nouveau Moyen-Âge » caractérisé par un chaos mondial généralisé, où les régions les plus stables « se fortifient contre les migrants climatiques » ; les « barbares à la porte », où le changement climatique fait s’effondrer l’économie mondiale et où règnent l’anarchie et la guerre ; ou l' »aurore boréale » optimale, où les parties septentrionales habitables du monde absorbent jusqu’à deux milliards de migrants climatiques et où l’humanité parvient à prospérer, peut-être même en se déplaçant de façon saisonnière d’une région à l’autre en fonction des conditions climatiques extrêmes.

Nous pouvons facilement atteindre les « aurores boréales » si nous essayons, estime Khanna – nous avons la technologie pour le faire. « C’est la civilisation 3.0 », dit-il. « La civilisation 1.0 était nomade, agricole et pastorale ; la civilisation 2.0 était industrielle et sédentaire ; la civilisation 3.0 doit être régie par les principes de mobilité et de durabilité – déplacer les gens vers les ressources avec une empreinte environnementale minimale. »

Nous ne sommes pas très nombreux sur Terre, s’empresse-t-il d’ajouter. La totalité de la population mondiale pourrait se tenir côte à côte rien qu’à Singapour. C’est une grande planète. « Nous n’avons pas de problème démographique, nous avons un problème de distribution ».

 

L’Écosse, chanceuse ?

L’ÉCOSSE devrait s’estimer « chanceuse », estime M. Khanna. « Vous avez la chance d’être une oasis climatique. » Nous avons beaucoup d’eau et sommes bien placés pour résister aux crises environnementales. Bien qu’impuissant en matière d’immigration, le gouvernement écossais promeut également des « politiques pragmatiques« . Édimbourg est une « capitale cosmopolite ». L’Écosse « a un grand avenir », affirme M. Khanna.

Le Herald Scotland lui, semble se féliciter de ces prédictions et de ces conseils. Comme quoi, le ver est bien dans le fruit, jusqu’au trognon.

Sources : Breizh-info.com - 2022

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