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Selon la légende, Aubert de Varangéville, de retour de croisade, rapporta de Bari une phalange du doigt de saint Nicolas. Cette relique attira de nombreux pèlerins en Lorraine, à Saint-Nicolas-de-Port, près de Nancy. En fait, le doigt miraculeux s’inscrit dans tout un contexte d’anciennes croyances que certains noms liés à Nicolas permettent de retrouver. Nicolas est évêque de Myre en Asie Mineure, Toutefois, en ancien français, mire signifie aussi « médecin » et cette homophonie peut expliquer la dévotion qui se développe autour de ce saint thaumaturge.

Si tous les saints sont, en effet, thaumaturges, la relique du doigt de Nicolas possède une particularité encore plus remarquable qui n’a jamais été soulignée. Selon le Dictionnaire de l’ancien français de Tobler-Lommatzsch, l’un des doigts de la main porte, en français médiéval, le nom de doit mire : il s’agit de l’annulaire. La désignation est ancienne puisque l’auteur latin Macrobe parle, lui aussi, du digitus medicinalis. Comme la relique guérisseuse de l’évêque de Myre était un doigt du saint, on peut supposer qu’il s'agissait bien de ce doigt mire.

En plus de ses dons de guérisseur, Nicolas est un excellent magicien. Grâce à ses apparitions providentielles, ce bon fantôme vient sauver les gens quand on l’appelle et il apporte, même parfois des cadeaux (comme cet argent offert à trois jeunes filles menacées de prostitution parce que leur famille est dans le besoin). C’est un trait qu’a conservé le Santa Claus mythique qui se déplace dans les airs sur un traîneau tiré par des rennes. Le véhicule aérien de Santa Claus s’apparente bien à ce cortège des revenants mentionnés dans les nombreux récits de la Chasse sauvage. Le folklore de Santa Claus (devenu Père Noël) insiste sur l’appartenance du saint à l’Autre Monde.

Nicolas est un génie du passage. Distributeur d’abondance et garant de fécondité comme d’autres saints de la même période (saint Martin par exemple), il possède un lien secret avec les richesses célestes ou souterraines. Nicolas est, en effet, lié aux richesses du monde souterrain. Le nickel est découvert en 1751 et on donne au minerai l’abréviation de Nicolaus qui est également le nom d'un lutin espiègle. En mythologie, les lutins (comme les nains) sont liés au monde souterrain et à ses richesses minérales (Kupfernickel désigne en allemand le « lutin du cuivre» avant de désigner le métal lui-même). Autre richesse du sous-sol : le sel. Le lieu primitif d’implantation du culte de saint Nicolas en France est Saint-Nicolas-de-Port à côté de Varangéville, important site lorrain d’extraction du sel depuis le Moyen Age. Comme pour rappeler ce lien séculaire de Nicolas et du sel, l’église de Varangéville est encore dédiée à saint Gorgon, un martyr qui eut les intestins salés par ses bourreaux. Saint Gorgon de Varangéville évoque irrésistiblement le Gargantua rabelaisien dont le lien avec le sel est bien rappelé dans le roman. Très utilisé en alchimie, le sel est ainsi particulièrement lié à Nicolas. Le plus célèbre alchimiste du Moyen Age porte le nom de Nicolas Flamel. Nul doute qu’il était initié aux secrets d’une chimie dont Nicolas était l’instigateur.

 

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Selon la Légende dorée, en effet, pour se venger de Nicolas qui a brisé sa statue, Diane se déguise en religieuse et donne à des marins se rendant chez le saint une huile combustible destinée à détruire le sanctuaire ou officie Nicolas. Déjouant ce piège maléfique, Nicolas apparaît aux marins et fait brûler l’huile sur la mer. L’huile magique de Diane (première apparition du pétrole au Moyen Age ?) est ainsi neutralisée par le saint qui déploie une magie (chrétienne) encore plus forte que celle de la déesse païenne. Derrière cette Diane, il faudrait plutôt voir une divinité païenne, la Dea Ana des Celtes, autrement dit la Grande Déesse, protectrice des forgerons, des bardes et des médecins. Mais l'essentiel de la mémoire païenne relative à saint Nicolas se concentre sur la figure du Père Fouettard qui accompagne régulièrement le saint dans toutes ses visites aux enfants d’Alsace, de Lorraine ou du nord de la France. Ce Père Fouettard est un croquemitaine, véritable Homme sauvage et fantôme hirsute, à la barbe rousse. Dans le folklore contemporain, il est le témoin fossilisé de l’ancêtre païen du saint. L’apparence du Fouettard rappelle celle de tous les hommes sauvages de Carnaval. Mi-homme, mi-bête, il incarne le monde primitif. Il appartient, en fait, à l’Autre Monde dont il est l'un des maîtres. C'est l’ogre-fée, un maître d’abondance et de richesse (un dieu plutonien des morts) mais dépossédé de ces traits positifs au profit du saint évêque qui le domine. Saint Nicolas le traîne derrière lui, comme d’autres saints le monstre ou la tarasque qu’ils ont apprivoisés. Saint Nicolas confirme l’aspect d’abondance de son ancêtre païen. En Sibérie, Mikoula est un dieu des récoltes et de la bière lié à l’ivresse. Le verbe russe nicolitsja signifie « s’enivrer ». Dans la postérité de Mikoula, Nicolas puis le Santa Claus deviennent de très carnavalesques distributeurs d’abondance au cœur de l’hiver.

Source : Philippe WALTER, Mythologie chrétienne, Imago, 2003

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