SAMAIN

Quand confluent le surnaturel et l’humain

 

 

Novembre: l'occasion de remonter jusqu'à nos sources pour y re­cueillir le « boire herbe » qui nous délivrera d'une amnésie bientôt bimillénaire. Au premier novembre correspond la fête la plus importante du calen­drier celtique: SAMAIN, fête guerrière et totale, début et fin de l'année. SAMAIN, sa forte imprégnation colore singulièrement l’avatar rachitique au­quel la fête primordiale a dû céder le pas: la Toussaint.

 

Avant tout, il peut être utile de préciser brièvement certaines notions, tant l'absence de sources sûres - mais cela est en passe de chan­ger - permettait aux celtomanes de scribouiller impunément.

Ces bonnes personnes avaient une fâcheuse tendance à mettre dans le même sac des notions aussi diverses que métempsycose, métamorphose, immortalité de l'âme, réincarnation, transmigration. On peut aujourd'hui considérer sans grand risque d'erreur que les Celtes ne connaissaient pas la notion de réincarnation; que la métempsycose n'est attestée que par deux exemples seulement, tous deux relatifs à des personnages mythologiques ve­nant de l'Autre Monde; par contre, on trouve trace, dans les textes mytho­logiques, de métamorphose. Quant à la croyance en l'immortalité, elle est formellement attestée. D'où il découle toute une littérature traitant du « havre de paix » qu'est l’Autre Monde (Sid) dans la conception celtique.

Cet Autre Monde, contrairement au Walhalla des cousins germani­ques - paradis réservé aux guerriers -, est un lieu de délices et de volup­tés, exempt de toute querelle, comme de toute spéculation intellectuelle. Le Sid (qui, étymologiquement, veut dire « paix ») est un lieu de festin, pour ne pas dire d'éternelles ripailles ! N'est-il pas désigné par d'autres métaphores des plus éclairantes: « plaine du plaisir », « terre des vivants », « terre des jeunes » ... Que nous sommes loin des béatitudes séraphiques de Saint Jérôme ou de Saint Augustin !

 

Quatre fêtes essentielles, d'importance inégale, ponctuent l'année celtique. Un mot immédiatement pour remarquer que les solstices ne semblent pas avoir joui de la moindre estime parmi les Celtes, puis­que les quatre fêtes se situent, très vraisemblablement, au 1er février, 1er mai, 1er août et 1er novembre. Au 1er février, on célèbre IMBOLC, dé­tourné par la tradition judéo-chrétienne en Chandeleur, qui coïncide approximativement aux Lupercales romaines. C'est une fête de la fécondité, dédiée à Brigit/Brigh, la grande déesse du Panthéon celtique. Des quatre grandes fêtes, IMBOLC (fête de la troisième fonction) est assurément la moindre. Au 1er mai, se célèbre BELTAINE, « le feu de mai », à rapprocher de la nuit de Walpurgis chez les Germains; c'est le commencement de la saison chaude, son symbolisme est solaire. C'est la fête sacerdotale par défini­tion, le feu étant l'un des attributs des druides. Au premier mai, en Gaule, la grande assemblée des Druides se tenait, rappelons-le, dans la forêt des Carnutes. Après l'aspect religieux, l'aspect juridique de la première fonc­tion est célébré lors de LUGNASAD, ou « assemblée en l'honneur de Lug », qui tombe le 1er août. C'est la fête du roi, fête du bon gouvernement, fête de l'amitié: à Lugnasad, les guerriers venaient désarmés.

 

Enfin, au 1er novembre, SAMAIN, (en gaulois Samonios - selon le calendrier de Coligny), c'est la fête militaire et totale, qui va plus particulièrement retenir notre attention.

 

Dans la tradition celtique, comme dans la conception nordique du monde, l'année est partagée en deux saisons, une saison froide et une saison chaude, qui est aussi la saison guerrière, et que Samain vient clo­re. L'autre pôle étant bien entendu Beltaine, parfois dénommé « caise na ngenti »: la pâque des gentils. Samain, qui clôt l'année écoulée et ouvre celle à venir, jouit donc d'une position dominante et privilégiée.

En Irlandais, « wythnos » - qui désigne la semaine - se traduit par « huit nuits ». Nous retrouvons cette idée en Breton, avec « antronoz »: « au-delà de la nuit », id est: le lendemain. Ainsi la nuit engendre le jour, et la saison sombre, qui donnera naissance à la saison claire, débute donc l'année à Samain. On comprend que Samain ait été la plus importante céré­monie du calendrier et du rituel irlandais (que nous citons par préférence, puisque c'est le domaine qui nous est le mieux connu).

 

Le banquet des guerriers

 

A la date de Samain, correspondent presque tous les événements mythiques ou épiques: c'est alors que meurent les dieux et les héros, c'est alors que Cuchulainn est blessé, qu'ont lieu les batailles de la mythologie et de l'épopée. « Les événements importants s'y concentrent ».

« Dans le récit fondamental de la bataille de Mag Tured, c'est à Samain que le Dagda a, avec la Morrigan ou déesse de la guerre, un rendez-vous galant à l'occasion duquel elle lui promet de venir en aide aux Tuâtha Dé Dânann contre les Fomoire ». « Samain est aussi le moment où tout l'état-major des Tuâtha Dé Dânann se réunit pour préparer la lutte décisive con­tre les Fomoire ». « Quand le roi subit la mort rituelle, blessé à mort par l'ennemi (...) c'est toujours à Samain » etc... .

 

La fête, dont l'inauguration par le feu est réservée aux drui­des, revêt un caractère solennel. La plus importante manifestation en est le « banquet militaire et royal », qui met un terme à la saison guerrière. On y mange du porc (animal de science et de guerre, dévolu à Dagda ou à Lug), de l'andouille, des noix; on y boit du vin (denrée rare) et de la bière en abondance.

 

On trouve des éléments relatifs à Samain dans « le petit hôtel d'Allen » (cycle ossianique) : « Finn s'assit alors sur le siège du héros au centre de l'hôtel, Goll l'aimable, fils de Morna, sur l'autre siège du héros, et les nobles de leur suite de part et d'autre de chacun d'eux. Chacun s'assit après eux suivant sa noblesse et son patrimoine, à l'endroit déterminé et convenable (...) Alors les serviteurs se levèrent en vraie foule pour servir et approvisionner l'hôtel. Ils prirent des coupes à boire (...) et l'on servit des boissons fortes et fermentées, des liqueurs agré­ables et douces à ces bons guerriers. La joie grandit chez les jeunes gens, la hardiesse et l'esprit chez leurs guerriers (...) Fergus à la bouche blanche se leva, à savoir le file de Finn et de Fianna. Il chanta des chants, des lais, et de beaux poèmes sur ses ancêtres et parents (...) puis le file alla en présence de Goll et lui récita des légendes. Les fils de Morna furent joyeux et de bonne humeur à cause de ces compositions poéti­ques».

 

Rencontre des vivants et des morts

 

Fête militaire, fête communautaire, Samain a aussi un caractère « religieux ». C'est une époque-charnière, qui n'appartient ni à l'année qui s'est écoulée, ni à celle qui suit. Ainsi Samain, période close au cours de laquelle les événements échappent aux contingences du temps, est le lien/lieu intermédiaire entre le monde des humains et l’Autre-Monde, une sorte de « Bifrost temporel ». Alors « tout le surnaturel se précipite, prêt à envahir le monde humain », selon l'heureuse formule de M.L. SJOESTEDT.

Ainsi comprenons-nous mieux pourquoi l’abondance et l’ivresse sacrée, l'obligation de paix et d'amitié sont de règle au cours du « festin de Tara »: celui-ci est une image passagère de l'existence dans le Sid, la « Plaine du Plaisir » (Mag Meld) - sur laquelle règne Manannan Mac Lir - dont il n'est pas exagéré de penser que Grecs et Latins, historicisant le mythe, ont fait « Thulé » (Strabon) ou « Ogygie» (Plutarque).

 

A Samain, le Sid est partout: c'est le temps hors du temps, durant lequel les vivants peuvent intervenir dans le Sid, et les habitants du Sid dans notre vie. F. LE ROUX et C.J. GUYONVARC'H sont formels: « Les Hyperboréens de la tradition littéraire grecque ne peu­vent avoie été que des Celtes ».

 

Mais ce festin opulent qui pouvait dégénérer (cf. « Mesca Ulad » : « l'ivresse des Ulates », récit d'une équipée des Ulates après un festin et une nuit d'ivresse lors de Samain) était généralement réservé aux guer ticulièrement retenir notre attention.

Dans la tradition celtique, comme dans la conception nordique du monde, l'année est partagée en deux saisons, une saison froide et une saison chaude, qui est aussi la saison guerrière, et que Samain vient clo­re. L'autre pôle étant bien entendu Beltaine, parfois dénommé « caise na ngenti »: la pâque des gentils. Samain, qui clôt l'année écoulée et ouvre celle à venir, jouit donc d'une position dominante et privilégiée.

En Irlandais, « wythnos » - qui désigne la semaine - se traduit par « huit nuits ». Nous retrouvons cette idée en Breton, avec « antronoz »: « au-delà de la nuit », id est: le lendemain. Ainsi la nuit engendre le jour, et la saison sombre, qui donnera naissance à la saison claire, débute donc l'année à Samain. On comprend que Samain ait été la plus importante céré­monie du calendrier et du rituel irlandais (que nous citons par préférence, puisque c'est le domaine qui nous est le mieux connu).

le banquet des guerriers

A la date de Samain, correspondent presque tous les événements mythiques ou épiques: c'est alors que meurent les dieux et les héros, c'est alors que Cuchulainn est blessé, qu'ont lieu les batailles de la mythologie et de l'épopée. « Les événements importants s'y concentrent ».

 

« Dans le récit fondamental de la bataille de Mag Tured, c'est à Samain que le Dagda a, avec la Morrigan ou déesse de la guerre, un rendez-vous galant à l'occasion duquel elle lui promet de venir en aide aux Tuâtha Dé Dânann contre les Fomoire ». « Samain est aussi le moment où tout l'état-major des Tuâtha Dé Dânann se réunit pour préparer la lutte décisive con­tre les Fomoire ». « Quand le roi subit la mort rituelle, blessé à mort par l'ennemi (...) c'est toujours à Samain » etc... .

 

La fête, dont l'inauguration par le feu est réservée aux drui­des, revêt un caractère solennel. La plus importante manifestation en est le « banquet militaire et royal », qui met un terme à la saison guerrière. On y mange du porc (animal de science et de guerre, dévolu à Dagda ou à Lug), de l'andouille, des noix; on y boit du vin (denrée rare) et de la bière en abondance.

 

On trouve des éléments relatifs à Samain dans « le petit hôtel d'Allen » (cycle ossianique) : « Finn s'assit alors sur le siège du héros au centre de l'hôtel, Goll l'aimable,» fils de Morna, sur l'autre siège du héros, et les nobles de leur suite de part et d'autre de chacun d'eux. Chacun s'assit après eux suivant sa noblesse et son patrimoine, à l'endroit déterminé et convenable (...) Alors les serviteurs se levèrent en vraie foule pour servir et approvisionner l'hôtel. Ils prirent des coupes à boire (...) et l'on servit des boissons fortes et fermentées, des liqueurs agré­ables et douces à ces bons guerriers. La joie grandit chez les jeunes gens, la hardiesse et l'esprit chez leurs guerriers (...) Fergus à la bouche blanche se leva, à savoir le file de Finn et de Fianna. Il chanta des chants, des lais, et de beaux poèmes sur ses ancêtres et parents (...) puis le file alla en présence de Goll et lui récita des légendes. Les fils de Morna furent joyeux et de bonne humeur à cause de ces compositions poéti­ques ».

 

Rencontre des vivants et des morts

 

Fête militaire, fête communautaire, Samain a aussi un caractère « religieux ». C'est une époque-charnière, qui n'appartient ni à l'année qui s'est écoulée, ni à celle qui suit. Ainsi Samain, période close au cours de laquelle les événements échappent aux contingences du temps, est le lien/lieu intermédiaire entre le monde des humains et l’Autre-Monde, une sorte de « Bifrost temporel ». Alors « tout le surnaturel se précipite, prêt à envahir le monde humain », selon l'heureuse formule de M.L. SJOESTEDT. Ainsi comprenons-nous mieux pourquoi l’abondance et l’ivresse sacrée, l'obligation de paix et d'amitié sont de règle au cours du « festin de Tara »: celui-ci est une image passagère de l'existence dans le Sid, la « Plaine du Plaisir » (Mag Meld) - sur laquelle règne Manannan Mac Lir - dont il n'est pas exagéré de penser que Grecs et Latins, historicisant le mythe, ont fait « Thulé » (Strabon) ou « Ogygie » (Plutarque). A Samain, le Sid est partout: c'est le temps hors du temps, durant lequel les vivants peuvent intervenir dans le Sid, et les habitants du Sid dans notre vie. F. LE ROUX et C.J. GUYONVARC'H sont formels: « Les Hyperboréens de la tradition littéraire grecque ne peu­vent avoie été que des Celtes ».

 

Mais ce festin opulent qui pouvait dégénérer (cf. »Mesca Ulad » : « l'ivresse des Ulates », récit d'une équipée des Ulates après un festin et une nuit d'ivresse lors de Samain) était généralement réservé aux guerriers, tandis que pour le peuple (les producteurs, la 3ème fonction) se dérou­lait une grande « foire ». Fête globale, Samain donnait aussi l'occasion d'une grande assemblée légale qui lui conférait son dernier aspect: juridi­que. « Voici la raison pour laquelle on célébrait Samain: parce que les lois étaient faites là par les hommes d'Irlande ». Et malheur à celui qui osait enfreindre un engagement, un règlement passé à l'occasion de l'assemblée lé­gale, et dont l'obligation courait jusqu'à l'assemblée suivante,un an après !

 

Intermède romain

 

Nous sommes en Italie, tout près du Tibre, le 27 octobre de l'an 312. Sous le signe de la croix, Constantin défait Maxence - dont l'é­tendard porte l'emblème solaire.

Cette date symbolique marque le triomphe armé du judéo-chris­tianisme sur le paganisme/polythéisme jusqu'alors honoré, sinon pratiqué en terre d'Europe. C'est le point de départ d'une vaste et habile entreprise de récupération. Trois siècles passent, et, en 607, Boniface IV travestit l'antique Samain en Toussaint, tandis que la fête des Trépassés est rejetée au lendemain. Ce n'est plus la fête commune aux vivants et aux morts, mais celle des saints suivie de celle des défunts. On évacue les vivants.

 

Fin de l'intermède

 

Au siècle dernier pourtant, les gens du Sid revenaient parmi les vivants au premier novembre, et ceci n'est plus attesté seulement par l'Irlande, mais bien, cette fois, par la Bretagne. Il est vrai que la Breta­gne (« Ledav ») passait pour être une voie d'accès privilégiée au Sid. Il suffit de lire Anatole Le Braz: « Le soir de la Toussaint, veille de la fête des Morts, (Goël ann Anaou) les défunts viennent tous visiter les vivants ». Ce soir-là, « la maîtresse de la maison recouvre d'une nappe blanche la ta­ble de la cuisine, et, sur cette nappe, dispose du cidre, du lait caillé, des crêpes chaudes. Les préparatifs terminés, tout le monde se couche ». Vers neuf heures, « des voix lamentables s'élèvent dans la nuit »: ce sont les chanteurs de la mort qui, au nom des défunts, interpellent sûr le seuil des maisons les vivants. « Ils disent la complainte des âmes. Les morts passent toute la nuit qui précède leur fête à se chauffer et à se régaler dans leur ancienne demeure » (in « La Légende de la Mort »).

 

Le chaleureux festin est devenu bien maigre pâture ... Bonne occasion de rappeler que les Celtes, ne croyant pas au « péché », ne croyaient pas davantage au « purgatoire » qu'évoqué immanquablement ce mot tubercu­leux

 

Aujourd'hui, malgré nombre de vicissitudes, la fête de la Toussaint/Samain revêt encore, en Bretagne armoricaine, une solennité et une ampleur insignes. C'est souvent, pour les membres dispersés d'un même « clan » l'occasion de se retrouver, de se réunir, de faire retour au village natal, à fin de rendre un hommage unanime aux parents disparus, aux ancêtres ou­bliés ... mais qui nous ont légué leur sang. Ce devrait être 1' occasion d'une affirmation de continuité, d'une fidélité à la vie et à la lignée. Ce n'est plus qu'une course pour avoir le chrysanthème le plus époustouflant, la bruyère la plus exubérante! L'Eglise catholique, oubliant - la première - le sens profond d'une fête qui lui avait été imposée, renonçant aux rites qui maintinrent si longtemps son prestige, n'est plus que la complice des marchands de fleurs.

 

Cette évocation, que nous voudrions « voyage de guérison », s'a­chève. Il ne s'agit pas de se déguiser en druide ou en bas breton du XIXème siècle. Il s'agit de récupérer toute la richesse et tout le sens de cette fête du début novembre, dénaturée et affadie par tant de faux sens. A la limite, est-il si puéril que l'homme de l'avenir veuille avoir les plus profondes racines, à fin d'imaginer de nouveaux rites pour le XXIème siècle sans pour autant renier ce qui fut - ni, a contrario, recommencer les mêmes erreurs -? Nous savons nous incliner devant les morts, nous savons les vé­nérer. Mais le sens de la fête, mais le sens du sacré, c'est aux vivants de contribuer à le re-découvrir. Alors une nouvelle communauté, équilibrée, pourra germer ...

 

PATRIK DE KERISPERT

 

De très nombreuses citations sont tirées du très important ouvrage de F. LE ROUX et CJ. GUYONVARC’H : Les Druides – OGAM – 1978

 

(Lu dans le N° 1 d’ARTUS 1979)

 

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