Catégorie : SOCIETE

19/07/2019 – 17h00 Montpellier (Lengadoc Info) – Ce mercredi, trois militaires, le sergent-chef Roellinger et les caporaux-chefs Vandeville et Guyot du 19ème Régiment de Génie sont décédés et 5 autres ont été blessés en Guyane alors qu’ils participaient à la mission « Harpie ».

Pour en savoir plus Lengadoc Info est allé à la rencontre de Jean*, un militaire français qui a participé à cette mission récemment.

Lengadoc Info : Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur les circonstances de la mort de vos camarades ?

Jean : D’après les éléments que j’ai pu avoir, nos trois camarades sont décédés alors qu’ils s’apprêtaient à faire exploser un tunnel creusé par les orpailleurs. Ils appartenaient au 19ème RG qui est un régiment du Génie. Leur boulot consiste à explorer les galeries souterraines creusées par les orpailleurs. On appelle ça la « fouille ». Lors d’une de ces fouilles, il semble qu’il y ait eu un retour de gaz au fond de la galerie. Il faut attendre les rapports d’enquête pour en savoir plus…

Lengadoc Info : En quoi consiste la mission « Harpie » de l’Armée Française sur le territoire de la Guyane ?

Jean : En fait, nous sommes en patrouille conjointe avec la Gendarmerie. Notre mission consiste en de la traque de « garimpeiros », ces brésiliens qui font des incursions en territoire guyanais pour chercher de l’or de manière tout à fait illégale et extrêmement polluante. Nous, on s’occupe de la traque et une fois qu’on les a attrapés c’est la Gendarmerie qui prend le relai. Il y a une procédure qui est mise en place, soit ils relèvent leur identité et les « garimpeiros » sont relâchés dans la foulée, soit ce sont des grosses têtes du trafic qui sont transportés en hélicoptère ou en pirogue pour une procédure judiciaire. Il faut préciser que tout ça se passe en pleine jungle à plusieurs jours de la civilisation…

Les orpailleurs organisent leur installation en deux camps. La zone de travail et la zone vie appelée « curhotel ». Cette dernière est la zone de repos pour les travailleurs où les prostituées préparent les repas et exercent leur métier. Quand nous arrivons sur zone et que nous tombons directement sur ce fameux « curhotel », nous mettons en place un dispositif pour les contrôler. En général, les personnes présentes se laissent faire. Ce sont des pauvres gens et la situation n’est pas tendue. Si nous tombons sur une zone de travail, on met en place un dispositif et on procède aux interpellations. Le seul moment où c’est chaud c’est lorsqu’il y a une levée d’or. Là c’est autre chose, les gars sont tendus, ils sont calibrés, fusils à pompe… ou si c’est vraiment un très gros site, avec des kalachs et là c’est très tendu parcequ’ils veulent protéger leur butin. Il y a régulièrement des échanges de coups de feu entre eux et nous.

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Base Opérationnelle Avancée de Maripasoula. Crédit : DR/Jean

 

Lengadoc Info : Combien de temps dure une de ces traques ?

Jean : La durée de la traque en jungle est très variable. On peut partir pour deux jours ou carrément une semaine en autonomie complète. On part en pirogue de la base de Maripasoula à la frontière du Surinam. Les brésiliens qui viennent orpailler ne passent pas directement du Brésil à la Guyane, ils passent par le Surinam puis pénètrent en Guyane parce que la législation est différente. On part en pirogue, c’est le moyen de déplacement principal en Guyane, les routes sont inexistantes… lorsqu’on atteint une des zones préalablement reconnue par hélicoptère, on gare les pirogues et on fait des percées dans la jungle. On passe des journées à collecter du renseignement, des traces de passage des « garimpeiros ». Les pilotes des pirogues sont des locaux, ils nous aident dans la collecte du renseignement. « Là il y a quelque chose de pas normal, l’eau a changé de couleur, on dirait qu’il y a du mercure** ». Moyennant un petit billet, ils s’avèrent de précieux atouts dans notre traque. On se base sur du renseignement militaire mais également sur du renseignement ouvert auprès de la population.

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Base Opérationnelle Avancée de Maripasoula. Crédit : DR/Jean

 

Lengadoc Info : Est-ce que la lutte contre l’orpaillage clandestin est la seule mission dont l’armée française s’occupe ?

Jean : La mission « Harpie » n’est pas la mission principale. Le but des forces françaises reste avant tout la protection du site aérospatial situé à Kourou. Ce sont les légionnaires qui en sont chargés. C’est de cette base que sont lancées les fusées Ariane…

Lengadoc Info : La mission « Harpie » est-elle une mission dangereuse ?

Jean : Les 4 mois que j’ai passé sur place, ça a été très chaud ! C’est très variable. Je dirai même que ça dépend des saisons… Parfois le niveau de l’eau des fleuves monte considérablement, c’est le moment où les « garimpeiros » en profitent pour passer en Guyane depuis le Surinam. Les soldats du Génie avaient mis en place un barrage fluvial pour les empêcher de passer. Mais les « garimpeiros » c’est à la vie à la mort, ils veulent passer coûte que coûte quitte à défourailler. Il faut bien avoir à l’esprit que sur place, c’est le far-west alors que c’est un département français. Les lois françaises sont très peu appliquées… C’est d’ailleurs pour ça que les « garimpeiros » viennent orpailler en Guyane plutôt que le faire chez eux. Au Brésil les autorités font un passage en hélicoptère au-dessus des zones exploitées et préviennent au mégaphone qu’ils repassent au bout d’une demi-heure pour vitrifier la zone. Et ils le font ! Les orpailleurs ne sont pas idiots et préfèrent venir en France où ils ne risquent qu’un contrôle d’identité par les gendarmes…

* Le nom a été modifié

** Le mercure est un composé servant à amalgamer l’or. Pour 1 kilo d’or, 1,3 kilo de mercure est utilisé et engendre une pollution qui impacte toute la chaine alimentaire…

Photos : DR

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