Catégorie : Régions d'Europe

La République du Mont-Blanc

par Saint-Loup

Editions de La Table Ronde - 1982



II y a plusieurs façons d'imaginer la fin de l'Europe. Pour le romancier, cet événement sera la conséquence d'une immigration excessive, combinée avec l'impérialisme financier des « émirs du pétrole ».


L'auteur situe son analyse dans le cadre d'un nationalisme régional, de caractère essentiellement ethnique, dont les réactions s'observent là où fut, pendant des siècles, le duché de Savoie, communauté qui s'étend au Valais et au Val d'Aoste.

Le roman commence à la fin des années quatre-vingts, au moment où un petit groupe de spécialistes et de notables chamoniards s'inquiètent de ce qu'ils regardent comme une invasion africaine et musulmane dans toute la zone alpestre. Il y a là des guides, des professeurs, des artisans, un médecin, un curé, tous enflammés d'un grand amour de la montagne. Ils s'insurgent contre la commercialisation des ascensions, contre l'usage systématique des engins mécaniques. Alliés à des Italiens et à des Suisses de même origine, de même sensibilité, ils crieraient volontiers : « La Savoie aux Savoyards ! », en rêvant d'un espace européen qui serait constitué de régions indépendantes et homogènes.

Dans cet esprit, ils veulent fonder une société sur la base légale, mais les autorités françaises les en empêchent. Alors ils décident de s'unir clandestinement, excités qu'ils sont par une défection pour eux scandaleuse : la fiancée de l'un d'eux, Elyse, se laisse séduire par un prétendu « prince » noir, qu'elle épouse. Après avoir célébré la fête de la Saint-Jean, à laquelle ils donnent une signification païenne, les Savoyards créent une « République du Mont-Blanc », qui s'établira à trois mille mètres d'altitude, dans les « refuges » qui y existent et que les « Républicains » aménagent, en en chassant les touristes et en répandant la terreur par quelques attentats.

Cette partie du récit se tient dans un sentiment retenu, puissant et tranquille ; l'auteur en profite pour développer ses théories personnelles, d'inspiration naturiste et raciale, à laquelle se joint un certain antichristianisme de plein air ; avec un fond de passion, un mouvement plein de vie et un grand talent de conteur, qui se manifeste encore davantage par la suite, en s'élevant vers une sorte d'enthousiasme épique. Tandis que les montagnards réfractaires, au nombre de quelques centaines, s'organisent de plus en plus haut sur les pentes, jusqu'à vivre comme les Esquimaux, le pays d'alentour, envahi par les « immigrés », qui y imposent leurs mœurs et leur esprit, échappe de plus en plus à l'influence française.

Les années s'écoulant, des invasions diverses désolent et transforment aussi bien les provinces de l'est que de l'ouest, où règnent des potentats contre lesquels la République du Mont-Blanc, réduite à quelques dizaines d'hommes et de femmes, doivent se défendre. Beaucoup sont victimes d'accidents, ou désertent. Il en est qui trahissent leurs camarades, et manquent de provoquer leur anéantissement.

A la fin de ce roman, il n'y a plus qu'un ou deux couples, mais un enfant leur naît, juste à temps pour échapper à un déluge de neige, qui comblera les vallées, engloutira les villes, ne laissera plus, en ce coin du continent, que des êtres forts et rudes, adorateurs du soleil revenu.

Ce dénouement, très beau dans sa simplicité, donne à l'ouvrage sa dimension véritable, de rêve naïf, rigoureux et magnifique, nourri d'idées qui peuvent plaire ou déplaire, mais dont on ne peut nier la noblesse, s'exprimant dans un langage direct, efficace.

Calme et lourd comme le pas d'un vieil alpiniste.

R. Poulet

Source : Spectacle du Monde du 07/1982

FaLang translation system by Faboba