Catégorie : HISTOIRE

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LE PROPHÈTE

Tout écrivain est prophète — du moins tout écrivain qui est fortement mordu par le présent — et, à cause de la vanité, presque tout prophète est écrivain.

Le prophète a intérêt à ne pas écrite, il peut toujours comp­ter sur l'indifférence des hommes qui n'ont pas écouté ou qui ont oublié ce qu'ils ont entendu. Cela pour ses erreurs. Tour à tour, le prophète veut qu'on se souvienne de lui, et qu'on l'ou­blie.

En fait, chez le prophète, l'exact et l'inexact se mêlent si bien qu'il est impossible de les séparer, et qu'on le voit dans la même phrase saisir tout le futur et le manquer tout.

Ayant perçu cette fatalité prophétique chez l'écrivain, je me suis proposé d'en faire un exercice conscient, ou un jeu... Sans doute, parce que je ne sais pas jouer aux cartes. Tout est com­pensation dans les démarches humaines, que chose d'écrit compense toujours un acte manqué.

Je me suis donc beaucoup trompé et j'ai eu souvent raison. Si je ne me suis trompé que dans les détails, et si j'ai eu raison dans les grandes lignes, mon amusement aura été assez sérieux.

Mais il y a une tout autre inclination que celle du jeu dans la prophétie ; il y a le sens de la mort. Tout prophète est un chien qui hurle à la mort de ceci ou de cela. Sous la plume, le prophète a toujours raison, car tout meurt. On peut prédire à coup sûr la mort de Jérusalem. A un ou deux siècles près.

Je pense sur le bord doré de l'univers

A ce goût de périr qui perd la pythonisse

En qui mugit l'espoir que le monde finisse...

Ce qui me séduit dans la prophétie, c'est la prétention appa­rente, la vanité. Mais cela est balancé par un tel risque de ridicule ! Et cela peut être aussi bien un entraînement à la modes­tie, si l'on avoue ses erreurs, si on les rappelle à ses auditeurs ou lecteurs.

Allons-y. J'ai cru aux débarquements non seulement en 1943, mais en 1942 (J'y crois encore). En 1941, j'ai cru aussi aux débarquements, mais allemands, en Angleterre. Je n'ai pas crû du tout à la guerre entre l'Allemagne et la Russie en 1941.

Voilà des exemples d'erreurs, je pourrais en donner d'autres. En revanche, j'ai cru contre d'inénarrables têtes molles, pen­dant l'hiver 1939-1940, à l'offensive allemande au printemps et à la dureté du choc.

Mais je croyais que nous tiendrions au moins six mois et péririons faute de secours anglais. Là, j'étais à mon affaire parce que j'avais senti dans l'intime de ma chair, en 1918, le mensonge de la victoire (Cf. Mesure de la France, livre introuvable, qu'on s'est bien gardé de jamais rééditer). Et depuis vingt ans, je tremblais de notre faiblesse. En 1923, au moment de la Ruhr, j'ai écrit un curieux article que je n'ai pas gardé et que, je n'ai jamais relu, dans une revue qui s'appelait, je crois, « Revue de l'Amérique Latine ». Je prononçais à peu près ceci : « C'est le moment où par miracle, la France tient seule, sans les anglo-saxons, l'Allemagne à la gorge, qu'elle doit en profiter pour se réconcilier entièrement avec elle. Sans quoi plus tard, la réconciliation ne dépendra plus que de l'Allemagne. »

Je me suis beaucoup trompé sur la Russie, je la comprenais mieux avant 1935, avant d'y avoir été. Je ne voulais pas y aller, j'avais raison. Je n'ai eu aucune confiance dans les voyages. Les longs séjours, oui, mais c'est autre chose.

Je suis resté 15 jours à Moscou, j'ai conclu de la mauvaise qualité des tramways à la mauvaise qualité des canons.

Mais aujourd'hui, j'exagère peut-être la puissance de la Russie. Notez, le calcul suivant : la Russie a 180 millions d'habitants, l'Allemagne 80 millions. Mais l'Allemagne n'emploie contre la Russie que la moitié de ses forces. Donc tout se passe comme si la France qui a 40 millions d'habitants se battait contre la Russie qui en a 180. Or, quand on se bat à un contre quatre, et qu'on tient le coup, on est dans la guerre coloniale. Vous me direz : mais les Allemands s'en vont de Russie. Repoussés par les Russes, ou appelés par le second front ? Ce n'est pas du tout la même chose pour ce qui est de l'appréciation de la Russie.

Ces supputations ne m'empêchent pas de croire que les Russes profiteront du second front, réalisé ou non, plutôt que les Américains Anglais. Grâce au panslavisme, au communisme, au snobisme. Le snobisme est une maladie qui peut perdre les empires.

Il y a encore tout autre chose dans la prophétie. Il y a l'impérialisme, comme disait le baron S... de la passion, le désir violemment projeté dans le futur, le besoin d'annexer à ce désir le futur. C'est une volupté qu'il ne faut pas toujours se refuser.

Toutefois, le prophète est meilleur quand il est détaché des partis, des opinions trop particulières. J'étais meilleur prophète avant 1934, avant d'être engagé dans le détail. Je le suis redevenu entre 39 et 40 parce que je m'étais retiré sous ma tente, dans une certaine mesure.

Aujourd'hui je prends trop souvent le contre pied de ma préférence. De là, cette foi dans les débarquements judéo-améri­cains (pas anglais). Mais c'est aussi que j'en veux aux Allemands de n'avoir pas été plus chambardeurs en Europe. Alors je les taquine avec cette menace. Ils n'en sont guère dérangés, semble t-il.

 

LE MINORITAIRE

Je me suis toujours trouvé dans l'opposition.

Cela est le propre de l'intellectuel, me dit quelqu'un. Voire !... Il y a toujours une majorité parmi les intellectuels. Je suis bien content d'être toujours contre cette majorité.

Un académicien m'a dit : « Je ne sais pas comment vous faites, moi je suis toujours d'accord avec l'opinion publique. »

Beaucoup me disent : « Vous vous êtes trompé, vous n'êtes pas monté dans le bon train ». Ils se font bien des illusions sur leur machiavélisme. On ne choisit pas son train. Même quand on est lâche ou crétin. Les gens qui se sont approchés de la colla­boration en 1940 et qui sont maintenant à Alger en chair ou en esprit n'ont pas choisi ; ils ont été choisis. Par le chef de gare mystérieux qui les a vu propres au wagon à bestiaux.

Du reste leurs tribulations ne sont pas finies.

En 1940 quand, à la fin août, je suis rentré à Paris, le nain qui, à certaines heures, se niche dans ma grande carcasse (voilà une phrase qui pourra toujours servir), me murmura : « Ah ! ça non, tu n'écriras jamais dans la presse parisienne. On te détesterait trop dans ton quartier. » Un mois après, je portais un article à Châteaubriant, sa solitude m'attirait.

Je savais qu'en tout état de cause, jamais les gens ne nous pardonneraient ce trait de non conformisme.

Puisque toute l'intellectualité française et européenne a été contre les Jacobins pendant 40 ans.

Avant tout, je me sens non conformiste, un protestant (moi qui suis catholique de formation). Je déteste avant tout le conformisme des milieux d'avant garde, des milieux « avancés », où j'ai toujours vécu ; c'est là qu'est le plus beau massif du conservatisme français. C'est le conservatisme qui ignore son nom. On est encore plus conventionnel dans les cafés que dans les salons. Ils commencent par conserver les vieilles formes de l'es­prit de la gauche littéraire ; puis le patriotisme des surréalistes de 40 ans vient imiter la vertu des dames sur le retour.

En 1914-1918, j'examinai en permission ces Messieurs de l'ar­rière dont j'avais admiré les œuvres de jeunesse, me prêcher le retour au bon sens et au sens commun. En 1939-1944, je suis resté fidèle à mon étonnement d'alors et j'ai vu les gens de ma géné­ration recommencer la même glissade.

« Votre grand tort, me disait encore l'académicien, c'est de ne pas causer plus souvent avec le marchand de marrons du coin... »

Certes, il y a un conformisme de la collaboration. Que je ne prise guère. La collaboration c'est le microscome : il y a là toutes les espèces comme dans le macrocosme. Il y a aussi des imbéciles qui croient que « c'est arrivé ».

Quand même, la sottise de la minorité a toujours pour moi son charme, c'est pourquoi j'ai vécu à proximité des milieux « d'avant garde ».

Opposition dans l'opposition, dans la vieille opposition de Sa Majesté, minorité de la minorité.

J'aime tout de même mieux un type qui croit dans Picasso, comme celui d'en face croit dans... je ne sais pas leur nom. C'est une faiblesse, mais je lui en veux bien aussi au type qui croit dans Picasso parce que celui-ci est arrivé. « Arrivé où ?» Comme disait l'autre. Proust ? Arrivé dans le sein des professeurs où tout le monde se retrouve. Le Bon Dieu, au moins, a un enfer, tandis que les professeurs finissent par pardonner à tout le monde, à Baudelaire, à Rimbaud, à Mallarmé. Dans un siècle, il y aura un candidat au doctorat qui fera une thèse « sur les écrivains collaborationnistes pendant l'occupation allemande ». Hélas ! mais, dans un siècle, tout cela continuera-t-il encore ? Je me flatte que non, à certaines heures, le prophète s'imagine que le monde va changer. Il a raison en ce sens que Rome est morte comme Jérusalem. Ça n'empêche pas qu'on nous embête encore avec des Rome et des Jérusalem de remplacement.

 

L'INTERNATIONALISTE

Je ne suis pas pacifiste, je n'ai jamais été pacifiste ; mais la guerre de 1918 m'a brouillé avec l'idée de guerre entre Européens. J'ai persisté dans cette brouille.

Déat et quelques autres, nous sommes des types restés fidèles à nos serments d'anciens combattants.

Cette odeur de revenez-y, en 1939, pour nous !

Je suis internationaliste somme toutes. Certes, j'ai horreur de l'internationalisme des individus qui est le cosmopolitisme ; mais l'internationalisme des nations me plaît.

C'est ici que nous sommes minoritaires, non conformistes (et prophètes).

Car le dernier des peigne-culs intellectuel qui s'est fait réformer en 1939, qui se dérobe aujourd'hui au travail en Allemagne, à la mobilisation en Haute-Savoie, à la mobilisation en Algérie, à la mobilisation sur le front russe, est nationaliste comme ne l'était pas Barrés. Ça ne l'empêche pas d'être éperdument anglophile ou russophile, c'est-à-dire prostitué dans son nationalisme jus­qu'à l'os.

Moi je ne suis pas germanophile, ni collaborateur au sens vague (pourtant je fais partie du Comité directeur du groupe Collaboration) ; je suis pour le national-socialisme en tant que précurseur du nationalisme européen.

A part ça, il ne faudrait quand même pas croire que je n'ai pas de sympathie pour les Allemands. Certes, j'aime également tous les peuples européens. Mais, parmi ces peuples, à part les Anglais que je n'oublierai jamais, pas plus que je n'ai jamais oublié ma première maîtresse, je commence à apprécier les Alle­mands. Je les connais mal, je ne parle pas leur langue, je ne connais pas aussi bien leur littérature que l'anglaise bien que somme toute j'ai plus lu Nietzsche que quiconque au monde.

Leur présence à Paris me crispe, j'en vois peu, mais enfin je suis séduit par leur solitude au milieu du monde. Eux aussi sont des mino­ritaires.

Et puis, ils sont plus braves que tout le monde ; ils se battent contre les Russes à un contre quatre. Je ne serais pas étonné que le mot qu'on prête à Staline soit exact : « Hitler, l'homme que j'admire le plus au monde. » II aurait dit cela à Téhéran, à Churchill et à Roosevelt.

Ce qui me choque assez chez les Alliés, ce n'est pas tant l'affiliation des Anglais et des Américains aux Russes que l'affi­liation même apparente seulement des Russes aux premiers. Sta­line touchant la main de ces vieux hypocrites bibliques, Churchill et Roosevelt, quel scandale ! Scandale momentané, vous me direz. Mais la vie passe, j'ai 50 ans et je vais ainsi de scandale en scandale.

Le flot de sang qu'on fait couler entre les Allemands et les autres peuples d'Europe ne peut pas me faire perdre la tête. Je comprends que cela fasse perdre la tête au brave type du coin ou à un académicien de deuxième classe, mais à Un Tel ou Un Tel ?

Il y a des flots de sang de tous les côtés. Les Anglais ont fait couler le sang de l'Irlande et de l'Inde pendant des siècles. J'unissais au compte de l'alliance anglaise, les un million sept cents mille morts de la guerre de 1914, les cent mille morts de 1939 et tous les morts des bombardements, et tous les morts de la Résistance. Et ce n'est pas du tout pour cela que je suis contre la politique anglaise.

Nous sommes couverts de sang. Mon grand-père qui était un petit bourgeois très doux, trouvait tout naturel que les Versaillais aient égorgé 20.000 communards. Et mon père en lisant son journal s'écriait :

Pas de pitié pour les rebelles Marocains ! Les Américains ont fondé l'Amérique sur le sang des indiens et des Noirs. Quant aux Juifs, on sait comment ils se compor­tent quand ils ont l'avantage.

Se n'est pas le flot de sang que je reproche à Staline, ni à Churchill, ni à Roosevelt, ni à Hitler donc.

Simplement je trouve que les Américains et les Russes sont trop loin de l'Europe pour la faire.

Alors je tâche de m'arranger avec Hitler. Ce n'est pas si mal. Et puis il est un contre trois.

Pierre Drieu La Rochelle

(Révolution Nationale 25 mars 1944)

 

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